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Moyen Orient et Monde - Religion

Face à la répression, les prêtres russes sortent du silence

Des prêtres orthodoxes dans la cathédrale de Moscou, le 6 janvier 2019. AFP/Mladen Antonov

Leur initiative a pris de court les autorités : des dizaines de figures de l’influente Église orthodoxe russe ont pris cette semaine la défense des manifestants d’opposition condamnés par la justice, brisant l’alliance traditionnelle entre le clergé et le pouvoir. Pour les experts de la question religieuse, c’est le symbole d’une révolution silencieuse au sein de l’opaque Église russe. Le signe, également, de l’arrivée d’une nouvelle génération de prêtres qui ne craignent plus de critiquer leurs supérieurs.

Dans une lettre ouverte signée mardi, près de 150 ecclésiastiques ont demandé que les tribunaux reconsidèrent les condamnations « répressives » qu’ils ont prononcées contre six personnes, en majorité accusées de « violences » contre la police lors des manifestations de l’été à Moscou. Ces peines de plusieurs années de prison « ressemblent à un moyen d’effrayer les Russes », dénonce la lettre, qui dit vouloir « exprimer l’espoir que les citoyens russes vivent en ayant confiance dans leur système judiciaire ». Les signataires ont publié leur missive sans l’accord de leur hiérarchie et de l’influent patriarche Kirill, un soutien fidèle de Vladimir Poutine.

L’initiative relève du « simple soutien chrétien aux personnes qui en ont besoin, et rien de plus », assure le père Konstantin Momotov, recteur d’une église de Volgograd (Sud) : « Si je vois que quelqu’un a besoin de protection, en tant que prêtre, je veux y participer. » Un autre signataire, le père Evguéni Lapaïev de Tioumen, en Sibérie, abonde : « Les mesures prises par les autorités et les tribunaux sont excessivement sévères. »

Largement partagée sur les réseaux sociaux, la lettre a été accueillie favorablement par de nombreux Russes, même si certains la considèrent comme tardive. Le quotidien Vedomosti l’a qualifiée de « pas courageux et profondément chrétien (...) attendu par la société depuis longtemps ». Ksenia Loutchenko, spécialiste de l’Église orthodoxe russe, relève que l’initiative est « totalement inattendue » et qu’il « n’y avait rien eu de semblable depuis des années ». « Ils sont parvenus à s’unir sans la direction de l’Église », salue-t-elle.

« Un pas courageux »

Aucun haut dignitaire de l’Église n’a commenté la lettre, mais le synode a publié un communiqué affirmant que les signataires n’avaient pas une connaissance suffisante du droit pour commenter les jugements. Ce qui rend cette lettre ouverte unique est la diversité des signataires : hormis certains ecclésiastiques libéraux connus de Moscou, et ceux de l’étranger, elle implique de nombreux prêtres de faible rang originaires de tout le pays.

Selon l’expert en religion russe Roman Loukine, ces prêtres, ceux-là mêmes qui risquent le plus gros en allant « contre le système », sont frustrés de la direction que prend l’Église depuis plusieurs années. C’est une « révolution dans l’Église », assène-t-il, menée principalement par des prêtres âgées d’une quarantaine ou d’une cinquantaine d’années. « Ils n’aiment pas que l’Église soit aussi proche des autorités. Ils disent que cela nuit à leur mission de prêche auprès des jeunes », explique-t-il.

Certains d’entre eux s’étaient déjà illustrés cet été à Moscou en permettant à des manifestants de s’abriter dans leurs églises pour échapper aux policiers.

Selon Dmitri Sverdlov, ancien prêtre ayant perdu son statut après s’être exprimé contre sa hiérarchie en 2012, les signataires vont « inévitablement » devoir en payer les conséquences. « Le système de l’Église demande une obéissance absolue » et celle-ci dispose de « ressources énormes » pour faire taire les voix critiques dans ses rangs, que le patriarche Kirill appelle « traîtres en robe », ajoute l’expert, selon qui les prêtres pourraient notamment voir leurs allocations financières réduites au « minimum vital ». Ksenia Loutchenko estime pour sa part que le patriarche attendra de voir la réaction des autorités au mouvement actuel de protestation contre la répression, mené par de nombreuses personnalités de la société civile et du monde de la culture, avant de décider sur l’attitude à tenir. Quelles qu’en soient les conséquences, cette prise de parole est « un changement important » dans un pays où, selon une étude de 2017 du centre de recherche Pew, 71 % des Russes se disent fidèles à l’Église orthodoxe. « Cela montre qu’ils sont prêts à prendre des risques pour les gens. »

Ola CICHOWLAS/AFP

Leur initiative a pris de court les autorités : des dizaines de figures de l’influente Église orthodoxe russe ont pris cette semaine la défense des manifestants d’opposition condamnés par la justice, brisant l’alliance traditionnelle entre le clergé et le pouvoir. Pour les experts de la question religieuse, c’est le symbole d’une révolution silencieuse au sein de l’opaque...

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