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Culture - Exposition

Dialogue des sensibilités entre 18 photographes libanais à Paris

À l’occasion de la troisième Biennale des photographes du monde arabe, l’Institut du monde arabe a opté pour un accrochage inédit de la scène contemporaine libanaise, intitulé « Liban, réalités et fictions », qui se déroule jusqu’au 24 novembre.

Un portrait de la regrettée May Arida par Lamia Maria Abillama, de la série « Clashing Realities », 2006-2019.

Forts de leur succès de 2015 et de 2017, l’Institut du monde arabe et la Maison européenne de la photographie se sont à nouveau associés pour faire découvrir au public parisien 47 artistes du monde arabe, dont les créations sont réparties en neuf lieux, comprenant la Cité internationale des arts, la mairie du quatrième arrondissement et plusieurs galeries.

Mardi 10 septembre, au dernier étage de l’Institut du monde arabe, qui surplombait une île de la cité paisiblement baignée dans une lumière dorée, Jack Lang, président de l’IMA, a accueilli les premiers visiteurs de l’exposition « Liban, réalités et fictions », qui, selon lui, est parvenue à « capter le Liban contemporain, un pays constamment sous tension, qui vit intensément ». L’ambassadeur du Liban, Rami Adwan, a ensuite ajouté qu’il s’agissait du « vrai printemps arabe, celui qui replace dans son contexte un monde arabe en perte de repères ».

Le parti pris de l’exposition est de montrer des œuvres très récentes, pour la plupart créées dans les années 2010, et dont le projet est toujours en cours. L’idée est de faire contrepoint à la photographie de reportage, en proposant un regard artistique et personnel, ce qui n’empêche pas les artistes d’évoquer leur environnement, leurs préoccupations, ou les réminiscences de la guerre civile. L’exposition s’articule en deux temps ; le premier espace est lié aux réalités du pays, aux communautés, au paysage urbain, au patrimoine... La seconde séquence est plus onirique, et intègre plus nettement l’imaginaire et la fiction dans la création.


(Interview : « On a l’impression que les photographes libanais naviguent dans l’intranquillité »)


La plupart des artistes présentés sont libanais, même si certains ont décidé de vivre en dehors de leur pays, tout en le gardant comme matrice d’inspiration, à l’instar de Nadim Asfar (La Montagne, 2014-en cours) qui rend hommage aux paysages de montagne et véhicule de manière intangible la notion de patrimoine. D’autres sont des photographes de passage : Demetris Koilalous a tenu un journal de voyage visuel, où il partage, dans Antiparadise, A Lebanese notebook (2011), des éléments épars de sa mémoire, des panoramas, des motifs décoratifs rencontrés au hasard des façades, ou des impacts de balle. Enfin, certains, comme Ieva Saudargaité Douaihi (Dernière ville, 2013-en cours), ont élu domicile au Liban, et expriment leur stupeur face aux curiosités urbaines de Beyrouth.

Deux projections encadrent ce dialogue des sensibilités entre 18 artistes, Beyrouth centre-ville (1991), un court métrage documentaire de Tanino Musso sur la capitale libanaise au sortir de la guerre, et Land Escape, une installation de Zad Moultaka, conçue spécialement pour l’exposition, où il associe une vidéo et des paysages imaginaires à une composition musicale. « Il s’agit d’une œuvre visuelle et auditive composée d’images représentant des dunes et des montagnes, défilant devant nos yeux. Un vent souffle doucement au-dessus de nos têtes, ramenant d’étranges rumeurs. Mais est-ce du vrai vent ? S’agit-il de vraies montagnes, ou bien d’un espace imaginaire créé par l’enfant, pour échapper à la violence qui l’entoure ? Mon œuvre questionne les espaces intérieurs et extérieurs, et la capacité de l’homme, de l’enfant, à transformer une réalité violente par la force de son imagination », explique l’auteur, qui met le public face à ses peurs les plus intimes, superposant le bruit des bombes à des paysages rêvés de quiétude.



Liban : de la réalité...
Le visiteur est d’emblée immergé dans la réalité libanaise, et ce qu’elle peut avoir de plus violent, avec les photographies de Lamia Maria Abillama, extraites de la série Clashing realities (2006-en cours). « Alors que j’étais au Brésil pendant la guerre de 2006, j’ai vu, en me regardant dans une glace, toutes les femmes libanaises en uniforme de l’armée, projetées dans un pays gangrené par la violence. J’entendais les canons, je ne voyais que de la destruction. J’ai alors décidé d’approcher des femmes et de leur demander d’endosser l’habit militaire, pour concrétiser cette vision et pour montrer cette violence qui leur colle à la peau, comme de la vermine. Sur mes photos, on dirait qu’elles sont dévorées, elles n’ont plus de peau », précise l’ancienne avocate devenue photographe de renommée mondiale.

Lamia Maria Abillama, « Clashing realities » (détail), 2006. © Lamia Maria Abillama


Dans cette lignée, la série The Missing of Lebanon (2010) de Dalia Khamissi rend visibles, dans les regards absents des proches, tous les disparus de la guerre.

Vicky Mokbel interroge, avec EDL : On-Off/In-Out, l’espace urbain, en saisissant le message lourd de sens d’appartements vides ou délabrés, ou en représentant l’emblématique immeuble d’Électricité du Liban sous des angles variés et inédits. Puis c’est la ville de Tripoli qui est esquissée par fragments, à travers l’œuvre de Bérine Pharaon (Another stranger, 2017).

La thématique de l’exil est également abordée, autour de l’actualité syrienne au Liban, avec Omar Imam (Live, Love, refugee, 2015), et par le travail de Gilbert Hage, qui a réalisé en 2009 une série intitulée Eleven views of Mount Ararat. Naila Kettaneh-Kunigk, de la galerie Tanit, expose régulièrement l’artiste et éclaire sa démarche. « Cet ensemble représente des intérieurs de Bourj Hammoud, où on retrouve une photo, une aquarelle ou une petite toile du mont Ararat, symbolique dans la culture arménienne. C’est une réflexion sociologique sur le déplacement en général ; la manière de photographier, très directe, rappelle un peu la technique des photographes de l’école de Düsseldorf. »

Nightshift 1 à 12 (2015), de Myriam Boulos, plonge le public dans une soirée undergound, interrogeant le positionnement de l’individu par rapport au groupe, dans un contexte où les injonctions contradictoires sur les jeunes femmes libanaises créent un certain malaise.

Myriam Boulos, « Nightshift », 2015. © Myriam Boulos


L’artiste libano-autrichienne Tanya Traboulsi propose, quant à elle, Ich Shreibe Dir später (Je t’écrirai plus tard, 2015-2019). « J’ai réalisé cette série avec mon iPhone, lorsque je voyageais en Italie, en Autriche et au Liban. Je venais de perdre mon père, et je ressentais le besoin d’être légère, mobile et flexible, de me décharger. Puis j’ai installé mes photos par paires, mélangeant volontairement les pays, afin de créer une communication entre ces binômes. C’est une façon de raconter de petites histoires visuelles, que le visiteur peut aussi construire dans son imaginaire » , confie celle qui a remporté le prix de fondation Boghossian pour sa série Seules en 2013.


... à la fiction
Entre les deux séquences de l’exposition, l’on passe par un escalier, tapissé de chaque côté par une composition photographique de Vladimr Antaki (Beyrouth mon amour, 2017) qui fait penser de prime abord à un papier peint aux motifs géométriques et colorés. « Il y a quelques années, j’ai commencé à photographier des façades de maisons et d’immeubles pendant mes longues balades à pied, à Beyrouth. J’ai été frappé par le nombre d’immeubles très cossus, aux volets fermés, et aussi par la réaction de certaines personnes, qui me disaient souvent de ne pas photographier tel ou tel élément, censé donner une mauvaise image de la ville. J’ai décidé de créer une mosaïque de ces bribes de façades, de façon qu’on ne puisse les qualifier de riches, pauvres, chiites, druzes ou autres » , explique l’auteur de l’ouvrage The Guardians (2019). En s’approchant du mur, le visiteur peut découvrir du linge en train de sécher, des hommes au balcon en flanelle, de la peinture écaillée sur le rebord des fenêtres...

L’espace beyrouthin, Lara Tabet (Unederbelly, 2017) a choisi de le réaménager en imaginant une fiction policière, où le visiteur suit un tueur en série, au fil des prises de vue nocturnes, qui construisent un récit. François Sargologo élabore lui aussi une diégèse visuelle dans Beyrouth Empire (2017-2018), et ancre dans ses photos de la capitale libanaise des images de contes et de légendes folkloriques du monde arabe.

François Sargologo, « Beyrouth Empire, scène IV : 60e jour de printemps », 2017-2018. © François Sargologo


Dans la série Le Naufrage (2018), la plasticienne Maria Kassab opère un jeu de collage qui superpose plusieurs réalités, illustrant le phénomène de dislocation ontologique opéré par des bouleversements géopolitiques. Le motif marin, repris et découpé dans chacune des œuvres, représente l’engloutissement des objets, des personnes et des identités. Catherine Cattaruzza explore également son intériorité, et la difficulté à cerner sa propre identité, marquée par une enfance au Liban, qu’elle considère comme son pays, et où elle a choisi de s’installer en 1992. « La guerre a entraîné la perte des traces de mon enfance, je me sens étrangère en France, et je n’ai pas de passeport libanais. La série que je présente, I can’t recall the edges (2016-2019) est composée de neuf photos sur des espaces d’entre-deux, des terrains vagues, situés sur la route qui relie Beyrouth à Saïda. Je travaille en argentique avec des pellicules périmées, la technique photographique ne m’intéresse pas : cela met l’inconnu au centre de mon travail, car on ne peut pas anticiper le résultat. Mes photos expriment une fragilité du territoire et un état de transition permanent, qui reflète aussi ma situation personnelle. C’est une sorte d’archéologie contemporaine sur un territoire en évolution. »

Gomme arabique, encre de Chine, jeux de transparence avec superposition de papier japonais : Caroline Tabet recompose ses tirages selon différents procédés, pour créer un effet de souvenir, abîmé par l’affect et par le temps. Avec Recueil (2012-2013), elle met en scène des paysages de ville ou de montagne, recomposés par couches successives, semblables à des matières organiques en perpétuel devenir, alliant l’espace et le temps.

La dichotomie du titre de l’exposition, « Liban, réalités et fictions », est trompeuse ; et elle s’estompe très vite dans l’esprit du visiteur, aux prises avec l’intériorité des artistes, qui livrent avec une sincérité parfois déconcertante leur expérience intime du Liban, dans ce qu’elle peut avoir de fascinant, de décevant, de sublime ou de douloureux.

Forts de leur succès de 2015 et de 2017, l’Institut du monde arabe et la Maison européenne de la photographie se sont à nouveau associés pour faire découvrir au public parisien 47 artistes du monde arabe, dont les créations sont réparties en neuf lieux, comprenant la Cité internationale des arts, la mairie du quatrième arrondissement et plusieurs galeries.Mardi 10 septembre, au dernier...

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