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Moyen Orient et Monde - Conflit

En Irak, ces déplacés dont personne ne veut

Les plaies sont encore à vif dans un pays dont près d’un tiers du territoire a été occupé durant trois ans par l’EI.

Dans le camp de déplacés de Hammam al-Alil près de Mossoul. Archives AFP/Zaid al-Obeidi

Certains voudraient revenir, mais en sont empêchés, d’autres, ramenés contre leur gré, se retrouvent confrontés à leurs communautés devenues hostiles : les déplacés accusés de lien avec les jihadistes sont aujourd’hui l’encombrant héritage d’une guerre dont l’Irak aimerait tourner la page.

Cheikh Adnane al-Bazi est très clair : « Les tribus ne peuvent pas accepter les gens du groupe État islamique, les familles de martyrs et celles qui comptent des blessés ou des déplacés non plus. » Pour ce chef tribal de Samarra, dans la province de Salaheddine au nord de Bagdad, faire revenir les familles de ceux qui lui ont personnellement pris un frère, un oncle et un cousin et ont par deux fois fait exploser sa maison est impossible en l’état. D’autant plus que des attaques, principalement contre les forces de l’ordre, sont toujours rapportées chaque semaine.

Pourtant, depuis deux semaines, plus de 2 000 déplacés ont été embarqués dans des bus – contre leur gré selon l’ONG Human Rights Watch (HRW) – par les autorités, pressées d’en finir avec les camps qui accueillent encore une bonne part des 1,6 million de déplacés du pays.

De la province de Ninive, où se trouve Mossoul, l’ex-« capitale » de l’EI en Irak, ces déplacés ont été emmenés dans des camps dans leurs provinces d’origine, Salaheddine, Anbar ou Kirkouk, plus au sud.


(Lire aussi : Quand les vergers de Baïji deviennent de véritables « champs de la mort »)



Grenades et manifestations
À Ash Sharqat, dans la province de Kirkouk, des grenades ont été jetées à deux reprises sur les camps où ils sont arrivés. Dimanche à l’aube, des hommes armés venus les attaquer ont même blessé deux militaires postés aux entrées, selon un responsable des services de sécurité. Des manifestations d’habitants refusant ces retours ont également eu lieu, notamment dans la région de Tikrit, avant d’être dispersées par les forces de l’ordre.

Les plaies sont encore à vif dans un pays dont près d’un tiers du territoire a été occupé durant trois ans par l’EI avant d’être entièrement repris par les troupes fin 2017.

Une fois de retour, ces familles risquent gros, notamment dans les vendettas tribales qui déchirent les régions sunnites. Quand l’EI y a débarqué mi-2014, les clans ont choisi leur camp. Depuis, ceux qui ont pris faits et armes contre les jihadistes n’ont de cesse de réclamer aux autorités qu’elles empêchent toute réinstallation de membres des autres clans ayant rejoint l’EI. Cette semaine encore, des chefs tribaux ont plaidé devant le gouverneur de la province de Salaheddine pour qu’il ferme le camp d’al-Chahama, au nord de Tikrit.

Selon le spécialiste Hicham al-Hachémi, « 371 000 déplacés sont considérés comme des proches de jihadistes ». Parmi eux, « il y a 118 000 déplacés dont la réintégration semble impossible en raison de refus locaux et tribaux », poursuit M. Hachémi. Dans certaines régions, des femmes ayant déclaré renoncer à leur mariage avec un jihadiste ont, elles, été autorisées à rentrer au compte-gouttes.


(Lire aussi : Des centaines de déplacés irakiens renvoyés dans leur région d'origine)


On ne veut pas de nous
« Alors que personne ne peut arrêter les vengeances tribales, l’État ne peut pas poster un policier devant la maison de chaque famille pour la protéger », note M. Hachémi. À Haditha, dans la province d’Anbar, les autorités ont cependant été forcées d’agir, rapporte à l’AFP Belkis Wille de HRW. « Dès leur arrivée, il a été clair que des familles risquaient d’être tuées. La police les a donc emmenées dans une école à trois kilomètres de là », explique-t-elle. Et même là, une grenade a été jetée sur l’établissement.

Oum Haydar, 41 ans, a également atterri dans une école, à Samarra, après avoir quitté en 2015 sa localité d’al-Ishaqi plus au sud, pour fuir l’EI qui avait enlevé son mari, dit-elle à l’AFP.

Si certains déplacés refusent de rentrer chez eux, elle dit en rêver mais en être empêchée. « Les forces de sécurité ont vérifié si nos noms apparaissaient dans leurs ordinateurs et ils n’ont rien trouvé » parmi les personnes recherchées pour « terrorisme », affirme-t-elle à l’AFP. « Mais quand nous voulons rentrer, on nous répond que nous sommes de l’EI et qu’on ne veut pas de nous », se lamente-t-elle, dans une petite cuisine aménagée où elle tente chaque jour de rassembler de quoi nourrir ses quatre enfants.

Les petits, eux, errent autour d’elle, faute de pouvoir sortir ou étudier. « Je ne peux pas les inscrire à l’école ni faire aucune démarche administrative, à chaque fois, on me répond : “vous êtes des déplacés” », lâche-t-elle.



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