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Culture - LIVRE

« Le schmock », la racine d’une effarante montée du nazisme...

Avec un humour incisif, une dérision décapante, le sens du tragique enrobé d’un esprit caustique, moqueur et philosophe ainsi que le brio d’une formule et formulation littéraires heureuses, Franz-Olivier Giesbert aborde, une fois de plus, l’histoire du nazisme et ses désastreuses séquelles. Tout cela à travers son dernier roman mené tambour battant jusqu’à l’accablement extrême et presque « hystérisé » pour évoquer et décrire le führer alias, ici, le « schmock ». Un moment de lecture à la fois intellectuellement nourrissant et vengeur sur les inexplicables dérives de l’histoire...

« Le schmock » est l’un des romans les plus accomplis de Franz-Olivier Giesbert, fin analyste politique. Photo AFP

Voilà un livre qui interroge les mouvements de masse. Ces mouvements collectifs qui déciment les peuples et les rendent misérables. Mais aussi un livre qui, outre la dénonciation des abjections, tortures inadmissibles et plus viles déchéances, révèle en toute beauté, avec toutes les faiblesses humaines connues et reconnues, le sens de l’amour et de l’amitié.

Comment l’Allemagne, souverain berceau des philosophes, des poètes, des musiciens et des peintres, terre de Jean-Sébastien Bach, Hildegarde de Bingen, Novalis, Thomas Mann et Rainer Maria Rilke, pour ne citer qu’eux, est-elle devenue ce lieu de massacre pour toute l’Europe ? Par quelle lâcheté, complaisance, aveuglement, a-t-on permis cette noire montée du nazisme ? N’a-t-on pas vu les signes précurseurs et avant-coureurs d’une telle horreur ? Pourquoi les juifs n’ont pas fui à temps le cataclysme ?

Tout cela, à travers une histoire prenante et des personnages émouvants et captivants, est l’objet du dernier roman de Franz-Olivier Giesbert (ou FOG) Le schmock (395 pages, Gallimard). Au fil de ses narrations et de ses romans (à relire de toute urgence, si ce n’est pas déjà fait, son bijou de livre La cuisinière d’Himmler), l’auteur de L’arracheuse de dents revient inlassablement sur cette tragédie humaine que sont les années de plomb des deux dernières guerres mondiales. Bien entendu, FOG n’a pas fini de régler ses comptes avec ses racines juives, lui qui dit être de sang mêlé normand, allemand, autrichien, anglais, écossais, peut-être même, avance-t-il, antillais et amérindien, mais bien entendu aussi juif, comme on l’a déjà souligné...



(Lire aussi : Quand Franz-Olivier Giesbert part à la rencontre de Dieu...)



Weinberger vs Gottsahl
Au cœur de cet ouvrage historique romancé qui engage une réflexion sur les incroyables détournements et retournements de l’histoire, se trouvent deux familles munichoises amies : l’une juive, les Weinberger, et l’autre catholique, les Gottsahl. Une bourgeoisie éclairée qui lit La montagne magique de Thomas Mann, orne ses murs avec les toiles d’Egon Schiele et écoute Brahms plutôt que Bruckner… Et au milieu du chassé-croisé des amours et des amitiés, des rencontres, des réunions, des dîners en bonne entente ou des querelles sans lendemain (sauf celle avec le haineux et vindicatif Hitler alors miteux brimborion à l’armée), des passions surgies du fond des cœurs et des corps, émerge un personnage qui sort du rang. Un peintre raté recalé des Beaux-Arts d’Autriche, caporal zélé, lugubre, terne, lâchant des pets malodorants pour cause d’alimentation végétarienne, orateur théâtral et inquiétant.

Et à qui on n’a pas pris garde, avec sa moustache à la Charlot avant l’heure, pour ses aspects dangereux et mortellement toxiques. Bien entendu, c’est Hitler, que l’auteur qualifie de « schmock », qui veut dire, en yiddish, salaud, con, pénis. Mot anglicisé et utilisé abondamment dans les films de Woody Allen. Et FOG, dans un évident sens de l’exagération et de l’exaspération, n’a pas assez de mots acérés et acides pour fustiger le monstre nazi et en faire un portrait corrosif et vitriolé dans une absolue caricature.

Et ainsi s’ébranlent les péripéties de Munich à Karlsfeld pour finir bien plus tard à New York et Dunkerque. À travers les intermittences du cœur, les cheminements professionnels, les chocs (im)prévisibles, les identités révélées, soigneusement cachées, substituées ou adroitement usurpées, les fuites, les rafles et les camouflages, les actes de bravoure ou de trahison, se révèle une brochette de personnages. À travers Élie, Elsa, Harald, Lila, Karl et bien d’autres moins importants, comparses indignes et serpillières des SS tels Schmeltz ou Von Hohenorff, se trace une ligne tortueuse et tourmentée, mais implacable comme le couperet d’une guillotine, pour une traversée humaine sous la loi de l’extermination, l’exode, les camps de concentration, les sévices corporels les plus fous, le dépouillement, la dépossession, la mort. Jusqu’à la nausée.

Le roman refermé, reste un goût de cendres laissé par tant de vies gâchées et délibérément détruites. Depuis l’hyperinflation de 1920 (la livre de pain au pays de Goethe coûtait alors trois milliards de marks !) à l’écrasant traité de Versailles (entre l’Allemagne et les Alliés suite à la Première Guerre mondiale) en passant par la crise de 1929, Hitler, telle une anguille, remonte la pente et donne une nouvelle voie (voix) à l’Allemagne. Même si le luciférien guide pestait contre les Allemands car, confiait-il, ils ne suivaient pas tous l’anathème hystérique et despotique jeté contre les juifs, source de tous les maux d’après son cerveau dérangé. Comme si tous les êtres, dans leur universelle fraternité, ne sont pas tous la créature de Dieu. Mais le train, tout en déraillant, marchait inexorablement, sous ses ordres indiscutables.

Un des romans les plus accomplis de FOG, fin analyste politique (revoir ses livres sur Mitterrand, Chirac…) et qui manie aussi aisément le versant historique que la fiction admirablement romancée car nourrie d’une prodigieuse culture et d’étourdissantes saillies pleines de dérision et d’ironie.

On imagine la beauté de cet ouvrage entre larme et sourire s’il était porté à l’écran. Dans la lignée de La liste de Schindler de Spielberg ou Le choix de Sophie de Pakula, avec, en plus, un sens joyeux, narquois et exubérant pour la vie. Même si l’un des personnages lâche cette sinistre phrase :

« La vie est un cauchemar dont la mort nous délivre », le livre, par-delà toute leçon à retenir contre la tyrannie et la folie sans freins des gouvernants, est à savourer jusqu’à la dernière page, la dernière ligne, le point final.



Pour mémoire 

Entre confessions et autodérision... « Un très grand amour » de Franz-Olivier Giesbert


Voilà un livre qui interroge les mouvements de masse. Ces mouvements collectifs qui déciment les peuples et les rendent misérables. Mais aussi un livre qui, outre la dénonciation des abjections, tortures inadmissibles et plus viles déchéances, révèle en toute beauté, avec toutes les faiblesses humaines connues et reconnues, le sens de l’amour et de l’amitié. Comment l’Allemagne,...

commentaires (2)

Le nazisme n'est pas mort, il a changé de visage, cest tout. Frantz Olivier Giesbert fait semblant de l'ignorer.

FRIK-A-FRAK

11 h 43, le 18 août 2019

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Commentaires (2)

  • Le nazisme n'est pas mort, il a changé de visage, cest tout. Frantz Olivier Giesbert fait semblant de l'ignorer.

    FRIK-A-FRAK

    11 h 43, le 18 août 2019

  • Passionnant. Merci pour cette présentation du livre.

    Sarkis Serge Tateossian

    09 h 09, le 18 août 2019

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