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Culture - Rencontre

Ramsès l’Égyptien, héritier spirituel de Youssef Chahine

Venu au Liban pour le concert-spectacle qui s’est tenu à Baalbeck et dont il a assuré le visuel en hommage à Abdel Halim Hafez, le cinéaste a bien voulu accorder une interview à « L’Orient-Le Jour », avant son départ pour l’aéroport.


Amir Ramsès en plein tournage.

Avec ce nom prémonitoire, Amir Ramsès ne pouvait être que descendant d’une longue lignée à consonance pharaonique et de surcroît cinématographique. Très jeune, il se positionne pour renouveler un cinéma égyptien en quasi-perdition avant d’accepter en 2017 d’être directeur artistique du festival al-Ghouna en Égypte et redorer le blason du pays qui a vu naître très tôt l’industrie cinématographique.

Sa bouille d’adolescent, ses yeux d’élève studieux qu’il ouvre tout grand derrière ses lunettes en écaille ne laissent pas deviner son âge. Derrière un parcours « sérieux » et académique se profile un enfant rebelle et quelque part taquin. Il l’avouera lui-même d’ailleurs. « J’aime surprendre les autres et sortir des sentiers battus. »

« Youssef Chahine, mon mentor »…

Amir Ramsès a très vite baigné dans les eaux profondes du cinéma. Enfant, il aimait les salles obscures et surtout les œuvres hollywoodiennes comme les aventures d’Indiana Jones, mais lorsque son père l’emmène un jour voir, à l’âge de dix ans, Alexandrie encore et toujours, il en sortira tout ému : « C’est à ce moment-là que je décidais que j’allais faire le métier de réalisateur. J’ai compris à cet instant que dans un film, derrière le jeu d’acteurs, il y avait quelqu’un derrière tout cela. Un créateur d’une œuvre complète, voire un fabricant. »

Le hasard est bien curieux. Six ans plus tard, le jeune Ramsès décroche son bac puis est admis à l’Institut du cinéma au Caire, section mise en scène. Dans sa troisième année à l’institut, les bureaux de Youssef Chahine le contactent pour l’engager en tant qu’assistant. « J’étais alors premier de ma classe et francophone. C’est ce qui a probablement joué en ma faveur, car Youssef Chahine voulait toujours quelqu’un qui cause bien le français sur le plateau de tournage. J’ai tout abandonné, même une session d’études importante pour saisir ce rêve qui prenait forme. » Ramsès l’assistera sur la réalisation de Silence on tourne en 1999 et dans l’écriture d’Alexandrie… New York (2003). « Comme Chahine était fatigué à l’époque, il m’incombait d’aller en France surveiller la postproduction d’Alexandrie… New York. J’y suis resté quelque temps. C’était une nouvelle porte qui s’ouvrait. De retour au Caire, poursuit-il, Chahine– qui a toujours un petit coin réservé à Hamlet dans ses films – décide enfin de réaliser une œuvre consacrée entièrement à cette œuvre. Il me fait part de ce projet, mais malheureusement l’écriture n’aboutira pas et le scénario est resté dans le tiroir. Lui, s’est lancé sur le film Le chaos et moi sur mon premier scénario solo de long-métrage. »


(Lire aussi : Célébrer Abdel Halim Hafez en images et en musique)

Des projets divers et puis… al-Ghouna

Le bout du monde en 2006 est son premier long-métrage de fiction. Amir Ramsès n’avait alors que 25 ans. « Avoir été l’assistant de Youssef Chahine est une carte de visite en soi. Par la suite, je pris une pause et du recul par rapport aux films d’auteurs et je fis une comédie, War’et shafra, qui malheureusement – dit-il en riant – a cartonné en Égypte. Je dis malheureusement, parce que les producteurs ont pris l’habitude de me redemander par la suite si j’avais un autre scénario de comédie comme celui-ci. Ce film était aussi l’occasion de lancer trois comédiens qui appartiennent aujourd’hui à la catégorie A. »

Le cinéaste aime à prendre son temps, il n’est pas pressé. Il écrit un roman mais surtout il cogite sur une idée de documentaire qu’il a eue en 2003, Les juifs d’Égypte. Un projet risqué mais nécessaire. « C’est une partie de l’histoire devenue taboue dans notre pays. Elle était si déformée que j’ai senti le besoin de faire un éclairage là-dessus. » Malgré les problèmes de censure (nombreux) qui retardèrent la sortie du film en salle (2012) – il était projeté seulement dans des ciné-clubs – et après un combat ardu et des tractations avec l’État (ultime producteur cinématographique), Les juifs d’Égypte tient l’affiche dans cinq salles au Caire et cela durant quatre mois. « Ce qui est énorme, pour un documentaire, s’esclaffe-t-il. Aujourd’hui ce film qui voyage encore est déjà passé dans plus de 80 festivals. »

Si Amir Ramsès a toujours refusé de faire une quelconque concession sur sa manière de voir le cinéma, il avouera cependant que le 7e art est toute sa vie. « C’est tout ce que je sais faire. Quand je suis rentré voir un film de Chahine, je suis sorti de la salle, métamorphosé. Un être humain différent. C’est le même effet qu’ont fait par la suite sur moi les films de Wang Kar Wai, Emir Kusturica, Ziad Doueiri (West Beirut, L’Insulte) ou Yousri Nasrallah (La porte du soleil). C’est ça le cinéma pour moi. En outre, j’aime les défis. Le jour où on me taxe d’intello, je me tourne immédiatement vers les films d’action. Certes, je n’en écrirai jamais le scénario, mais je m’appliquerai à le tourner, en tant qu’exercice… un test. »

Janvier prochain, l’auteur-réalisateur commencera le tournage du film Couvre-feu, écrit il y a deux ans mais retardé à cause du festival al-Ghouna, auquel il a consacré beaucoup de temps et qui a pris actuellement sa vitesse de croisière. Dans ce film, il s’agira des rapports houleux entre une mère et sa fille coincées durant le couvre-feu de 2013. C’est un retour semble-t-il aux films intimistes comme il les aime. « L’atmosphère en Égypte ne soutient pas la libre industrie cinématographique. Il y a des thèmes auxquels on ne peut toucher et des acteurs souvent stigmatisés, conclut Ramsès, mais on doit continuer à créer. Je pense qu’il y a toujours des moyens de faire un film “même aveugle”, comme le disait Pedro Almodovar. »

Amir Ramsès a une foi immense dans le cinéma égyptien, pionnier du monde arabe. « Nous avons déjà vécu des périodes en dents de scie, nous nous relèverons. » D’ailleurs, sans paraître chauvin, il dira : « Même si les autres cinémas, marocain, libanais, tunisien, sont en pleine croissance, il n’en demeure pas moins que pour la population arabe le cinéma égyptien demeure comme un repère. »


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