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Culture

Pleurer ses morts, mais leur rendre leur dignité

Avec « Nuestras madres » (Caméra d’or 2019), projeté le 31 juillet dans le cadre de la Semaine de la critique, César Diaz signe un beau film qui passe d’une triste et tragique réalité historique aux troubles que celle-ci inflige aux survivants. Une invitation à s’interroger sur la vérité au Guatemala en braquant la lumière sur les massacres perpétrés en 1986, dans un film pétri d’émotion et de non-dits.

Extrait du film « Nuestras madres ».

Guatemala 2018. La guerre civile aura duré plus de 30 ans, de 1960 à 1996. Dans une ville meurtrie et bruyante, les radios diffusent en boucle les témoignages de la population victime des massacres. Le pays vit au rythme de ce procès et revit sans cesse ce triste jour de juillet 1982, lorsque des militaires investissent un village du nord du Guatemala, s’emparent des fillettes et des femmes, les enferment, les torturent, les violent puis les exécutent. Les enfants sont battus à mort, les adultes sont tués par balles ou victimes de grenades lancées dans la demeure où ils avaient été regroupés. Avant de se retirer, les militaires incendient le village. Au total, 256 personnes, pour la plupart des femmes et des enfants, mais aussi plusieurs nouveau-nés et des vieillards, ont été assassinés. Le lendemain, une patrouille de paramilitaires oblige les quelques survivants à creuser des fosses pour enterrer les restes calcinés des victimes. Personne ne saura jamais où sont jetés les cadavres.

Nous sommes en 2018, à des années-lumière des légendes grecques lorsque Antigone, au détriment de sa vie, clamait : « Il faut enterrer le cadavre, accomplir les rites funéraires, symboliser cette mort livrée au sol. » Nous sommes en 2018, et les Guatémaltèques réclament leurs morts pour leur offrir une sépulture digne.


Comment soigne-t-on les blessures de guerre ?

C’est l’histoire d’Ernesto incarné par Armando Espitia, acteur mexicain qui fut choisi par le metteur en scène au terme d’un casting qui a vu défiler plus de 500 personnes. Ernesto est un jeune anthropologue à la fondation médico-légale qui travaille à l’identification des disparus, tout en cherchant des réponses à propos de son père, un autre disparu de la guerre civile. Restituer aux familles les corps disparus est un travail de fourmi qui est fait par une seule association, indépendante, qui n’a jamais voulu avoir de liens avec le gouvernement. Le film s’ouvre sur un puzzle d’ossements que l’on reconstitue, au terme duquel on espère annoncer à chaque famille que leur mort leur sera rendu en toute dignité. Le combat d’Ernesto est d’ordres collectif et personnel. Et c’est par le biais d’une enquête sur un des disparus, comme dans un transfert de cause, qu’il est mis sur la trace de son père. Mais toute vérité n’est pas bonne à savoir. Et si sa mère dissimulait un secret rien que pour le protéger ? Privé d’un père disparu en 1981, César Diaz réussit à merveille et en toute pudeur les scènes de rapports mère/fils en se servant d’un véritable élément biographique qu’il avoue avoir eu du mal à gérer.

Dans le respect et la dignité, l’enchaînement de l’action est simple et dense, et la mise en scène sobre et classique, presque théâtrale par moments. Comme si le spectateur trouvait sa place dans une sorte de liberté, où il choisit tantôt de s’asseoir sur le banc avec les femmes du village à écouter leur témoignage, tantôt de suivre Ernesto et son fil d’Ariane. En outre, la puissance est dans la bande son. Ainsi, dans un silence rythmé par les notes d’un piano, la caméra opère un travelling sur le visage des femmes prêtes à raconter leur histoire, mais laissant plutôt chaque ride, commissure, regard ou sourire kidnappé crier leur douleur et hurler leur désespoir sans proférer un seul mot. Elles sont toutes les femmes et une seule à la fois. C’est toujours la force de cette bande son qui plonge le spectateur tantôt dans un brouhaha de mobylettes et de voitures pour accentuer le sentiment anxiogène et la folie assassine qui règnent en ville, tantôt au plus profond de la campagne avec des milliers d’oiseaux qui accompagnent les pas d’Ernesto dans une fausse tranquillité. Pour une première œuvre, Nuestras madres décroche la convoitée Caméra d’or à la Semaine de la critique à Cannes, mais aussi le prix SACD et le Grand Rail d’or. Armando Espitia forme tour à tour des duos bouleversants avec Aurelia Caal, et Emma Dib, et César Diaz honore les survivants autant que les morts en défrichant la terre, et ce qui reste comme dignité humaine.


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