Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

L’art pour tous et tous pour l’art

Bravant les codes institués, le vernissage de « Raw » * se tiendra demain jeudi 27 juin, trois semaines après son ouverture, avec une séance de « live painting » des trois artistes Sara Chaar, Semaan Khawam et Fadi el-Chamaa.

Sara Chaar, Semaan Khawam et Fadi el-Chamaa, trois artistes contraires dans leurs idées, leurs œuvres, leur temporalité. DR

Sara Chaar, Semaan Khawam et Fadi el-Chamaa, trois artistes contraires dans leurs idées, leurs œuvres, leur temporalité, se rejoignent dans une même expérience de peinture sur papier chaque jour, côte à côte, à la galerie Kaf *. « L’ordre et la chaos. L’espoir et la désolation dans une boucle infinie. » Le manifeste de l’exposition se dépeint dans la production artistique des artistes, dans un esprit d’opposition et de collectif à la fois, sous l’intitulé Raw.


L’introvertie exposée

Sara Chaar, perchée sur un tabouret en tailleur et blouse tachée, gribouille au fusain sur une sculpture offerte par un voisin. Elle a débuté en peinture en 2009. Sa pratique est liée à son histoire personnelle, à un besoin de s’exprimer. C’est sous les directives de son voisin peintre qu’elle elle a appris les rudiments de l’art pictural. À Abou Dhabi, où elle a vécu un certain temps, en parallèle à son activité de designer graphique dans la publicité, elle installe son atelier dans son salon. Naissent des figures, un mélange entre l’animal, l’insecte et l’humain. Avec ces créatures, elle bâtit un petit monde. De retour à Beyrouth, contactée par la galerie Lebanese Talents, elle y expose pour la première fois son travail. L’exposition Raw à la Kaf Gallery est sa seconde. « Je suis introvertie. Je vis dans un petit cocon où je suis toujours avec mes dessins, mes livres, mes mains sales, je pourrais y rester des années », avoue l’artiste, qui se plie à l’exercice brut de création en continu, en collectif. Bienvenue dans sa sphère intime.


L’oiseau philosophe

Semaan Khawam, son expresso aux lèvres, les cheveux noués, joue avec la fumée de sa cigarette. Il dit avoir « osé » la peinture en 1998. Travaillant dans une usine de mode, écrivain publié, il quitte Beyrouth à plusieurs reprises pour mieux s’y retrouver. « J’ai appris en travaillant, et seulement en travaillant. ». De ce travail naît « Birdman », son personnage qu’il tient de la récurrence de la représentation d’oiseaux dans sa pratique artistique. Il projette en lui toutes ses peurs, son anxiété, son amour, fait passer ses sentiments profonds à travers la peinture. En 2010, il ouvre dans son large studio un espace de collaboration entre artistes, « Square 16 », dans l’objectif commun de faire un travail sur les relations entre l’art, la société, mais aussi la survie en tant qu’artiste, en tant qu’humain, de beaucoup de guerres et de conflits internes. Le concept trouve écho dans l’exposition Raw, où Semaan Khawam s’associe à Sara Chaar et Fadi el-Chamaa, des artistes complètement différents, mais partageant un même objectif : déconstruire le label péjoratif d’artistes naïfs, d’outsiders parmi les outsiders pour déverrouiller une liberté de penser et de créer.


L’addict bariolé

Fadi el-Chamaa, assis sur un siège trop bas, complice et souriant, mélange l’arabe, le français et l’anglais pour conter son art. Habitué de la photographie, il se tourne petit à petit vers la peinture à partir de 1982. Employé comme commercial dans la publicité, il décide de se dédier à cent pour cent à sa peinture en 1987. Vers la fin des années 90, marié avec deux enfants, il reprend son travail dans la publicité pendant une quinzaine d’années. Mais sa passion le rattrape : « Je suis vraiment accro à la peinture. C’est comme de la drogue, j’ai besoin de peindre tous les jours. » Chamaa explore une grande variété de médiums, de styles, de techniques qui l’invitent à l’introspection et à concentrer son esprit au-delà de la matière pour explorer le spectre de ses émotions. Ayant vécu en Inde, les différentes couleurs qui s’y rencontrent se sont mélangées dans son esprit et ont considérablement influencé sa création. Participant à l’expérience Raw dans sa seconde édition, Fadi el-Chamaa explique que le corps devient dépendant après 21 jours de pratique, il en voulait encore. C’est pour lui un moyen de créer ce qu’il ressent sur le moment et de travailler principalement sur le clash des couleurs.


L’art pour tous

Durant trois semaines sans interruption, les trois artistes ont créé en public une multitude d’œuvres collectives et personnelles, s’empilant dans tous les coins de la galerie, attendant d’être manipulées, choisies. « On travaille tous sur le même médium, peinture sur papier. Ce qui est intéressant, c’est l’interaction du public avec la peinture. Il faut chercher la peinture que personne n’a encore vue. Il y a là une relation intime, il faut se plonger plus profondément dans la production d’un artiste. Ce n’est pas dans un cadre, ce n’est pas coincé derrière du verre », explique Fadi el-Chamaa. Et c’est tentant. Qui n’a jamais rêvé de braver l’interdit, ce « Ne pas toucher » que l’on voit placardé partout devant les œuvres d’art ? Pour ceux qui n’ont pas poussé les portes d’une galerie depuis longtemps, c’est l’occasion d’en faire un événement, un instant de communication réciproque. Quant à ceux qui n’ont jamais osé ou même envisagé de franchir le pas, allez réaliser le rêve de Seeman : « J’aimerais qu’un chauffeur de taxi s’arrête, rentre dans la galerie et regarde notre travail. Il faut que les gens sachent qu’ils ont le droit, que ce n’est pas que pour l’élite, que tout le monde peut apprécier l’art et posséder de l’art. Entrer dans une galerie peut être impressionnant, intimidant, ici on veut que les gens se sentent à l’aise, qu’il y ait une connexion, certaines personnes ont acheté ici leur première œuvre d’art, et c’est beau. » Oui, c’est beau.


L’art pour chacun

Les trois autodidactes sont devenus ce qu’ils sont par l’expérimentation. « Nous sommes des enfants », dit l’un d’eux. Ils s’amusent, essayent et retirent de cette joie du jeu la meilleure chose de leurs vie, de leurs journées. Cette énergie, ils ambitionnent de la communiquer au public libanais, de le sortir de sa zone de confort pour explorer de nouvelles choses. Ils partagent donc entre eux les recettes des œuvres vendues, indépendamment de son créateur, brisant la compétition et la recherche d’intérêt. Ils veulent casser l’ego à un niveau personnel, rendre leur travail humble et, surtout, l’art accessible à chacun, affirmant qu’il « suffit juste d’une œuvre en particulier pour tomber amoureux » .


*Kaf Gallery Rue Géryès Tuéni, St-Nicholas, Achrafieh. Tél. 961 (1) 334984. Jusqu’au 8 juillet.


Pour mémoire

Semaan Khawam, birdman en apesanteur

El-Chamaa vs Khawam : divergences et cohérence...

Sara Chaar, Semaan Khawam et Fadi el-Chamaa, trois artistes contraires dans leurs idées, leurs œuvres, leur temporalité, se rejoignent dans une même expérience de peinture sur papier chaque jour, côte à côte, à la galerie Kaf *. « L’ordre et la chaos. L’espoir et la désolation dans une boucle infinie. » Le manifeste de l’exposition se dépeint dans la production...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut