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Lifestyle - Rencontre

Ahmad Kontar, l’avant et l’apprêt...

Poussé par l’horreur de la guerre en Syrie, où il est né et a grandi, Ahmad Kontar a débarqué à Paris en 2016 à l’issue d’un périple de deux mois. Repéré dans la rue par un directeur de casting, il est aujourd’hui représenté par l’agence Elite et impose son physique magnétique et lunaire comme l’un des incontournables du milieu...

Ahmad Kontar, un jeune mannequin syrien qui perce dans la Ville-Lumière. Photo Jorge Perez Ortiz

À première vue, ça doit ressembler au bonheur. On est le 21 janvier, au Palais de Tokyo pour le défilé hommes automne-hiver 2019 de Jacquemus, en plein dans les délires colorés de la semaine de la mode masculine. Alors que Les Moulins de mon cœur résonne en fond, les flashs crépitent à tout-va, les portables des attachés de presse tintinnabulent et les serveurs dressent le buffet, où miches de pain fraternisent avec mottes de beurre et pots de confiture. Presque échappé d’un poème de Pagnol, costume jaune vif qui laisse deviner sa musculature sculptée au couteau, le tout donc siglé Jacquemus, Ahmad Kontar rayonne comme un soleil planté dans la grisaille parisienne. Le mannequin de 22 ans seulement semble déjà caracoler au faîte de la félicité. Erreur. Il suffit de s’attarder un instant sur le fond de son regard aussi trouble, que troublé ou troublant, masque insondable de quelqu’un qui en aurait tant vu qu’à la fin plus rien ne le ferait ciller, pour comprendre que le jeune homme (re)vient de loin…


La chute de sa vie
Ahmad Kontar est né et a poussé à al-Suwayda, dans le sud-ouest de la Syrie, baignant dans une enfance qu’il jure « belle et insouciante. » Si « la bande de copains me disaient souvent qu’un jour je serais mannequin, un métier pas très bien perçu dans mon milieu, et surtout pas pour un mec », raconte-t-il, ce fils d’architecte meuble son temps libre à se noircir les genoux au foot et au basket, développant ainsi un corps qu’on penserait dessiné par un sculpteur de la Renaissance mais dont il ne prend pas conscience. Quand, à 15 ans, il atteint un niveau de championnat national de basket, la guerre en Syrie vient lui clouer les ailes et l’empêche de se rendre à la compétition. Refusant cette assignation contrainte à son village pour des raisons de sécurité, l’adolescent du signe du Taureau prend la vie par les cornes et choisit d’user de son corps de soldat de plomb pour faire, à sa manière, la guerre à la guerre. Il s’essaye au break dance qu’il découvre sur YouTube et l’enseigne à des enfants comme on conjure un sort. Il confie : « C’était la chute de ma vie. Comme je ne suis pas du genre prolixe ou à exprimer mes sentiments, le sport et la danse m’ont permis, à cette époque, de tout dégager. » Et d’ajouter : « Ce n’est qu’en me rendant à Damas, pour la première fois après le début de la guerre, que tout m’a explosé à la figure. Je ne pourrai oublier le moment où j’ai vu un homme mort dont on avait recouvert la tête avec un sac noir. J’étais trop jeune pour cela. Aujourd’hui encore, j’ai du mal à en parler. »


Grandir plus vite que son âge
Alors qu’il fait ses armes à Lattaquié pour un diplôme de génie, « à dix heures de bus de la maison », le désastre de la guerre finit de congédier les dernières bribes de son innocence lorsqu’une bombe tombe à quelques pas de sa sœur jumelle qui y survit par miracle. C’est ainsi que Ahmad Kontar et cette dernière se trouvent contraints de quitter le bercail pour la France où leur mère, psychanalyste de formation, résidait déjà. « Je ne mesurais toujours pas l’ampleur des choses, en faisant mes adieux à mon village, ma famille et mes amis. Heureusement, en quelque sorte, », se souvient celui qui, affublé, trop tôt, de la responsabilité de sa sœur, mettra deux mois, en bus, à pied, par tous les moyens qui s’offraient à lui, pour rejoindre Paris où il arrive en février 2016. À propos de l’expérience de ce périple sur laquelle il peine à mettre des mots tant le souvenir lui noue encore la gorge, il dit : « Ça m’a définitivement changé la vie. Il y a certainement eu un avant et un après ce voyage, comme si j’avais grandi plus vite que mon âge. J’ignore comment j’ai réussi à garder l’espoir. Je me rappelle que j’avais les yeux rivés sur l’objectif qui m’attendait à l’arrivée. J’avais peur que mes rêves disparaissent alors je me concentrais et je traçais mon chemin. Je ne pensais qu’à ça. »


Le podium et les frontières
À Paris où Kontar avoue qu’au départ, « je sortais très peu, j’étais en fait angoissé lorsqu’on m’abordait dans la rue », il se consacre à des cours de langue française, au sport, à la danse et à ses études de kinésithérapie. Un jour, à la sortie du métro, Christopher Landais, un directeur de casting, le repère et l’invite à défiler pour la marque GmbH. Quoique réticent à l’idée, il relève le défi qui, rit-il presque, « m’a parachuté, du jour au lendemain, littéralement, dans un monde dont je n’avais pas le mode d’emploi. C’est sans doute pourquoi je suis toujours resté très méfiant et surtout très lucide ». Aussitôt, sa plastique de rêve et l’intensité de sa présence, de sa prestance, qui tranchent avec l’avidité des mannequins habituels, cambriolent l’attention du milieu de la mode, notamment l’agence Elite qui le représente depuis quatre mois. Sans doute car, à rebours de l’image convenue, lustrée, lissée, du top model disparaissant en porte-fringues, Ahmad Kontar charge ses prestations d’une vérité intime, d’une fêlure personnelle qu’il transfigure, confiant : « Je ressens les mêmes regards se poser sur moi qu’au moment où on me regardait traverser les frontières, et ça me porte. Je pense que c’est de là même que je puise ma confiance sur un podium. »

En marge de chacune de ses apparitions lunaires et magnétiques, que ce soit par exemple pour le défilé de Jacquemus, les affiches du Festival d’Hyères dont il est le visage ou le look-book d’Hermès qui sortira prochainement, le mannequin prouve surtout que la mode peut continuer à fabriquer autre chose que des robots aux émotions enrubannées d’indifférence. Il affirme ainsi : « Je garde une distance avec ce milieu duquel je prends le meilleur, les voyages, le beau, l’ouverture sur d’autres mondes qui m’a permis de sortir de toutes mes idées reçues et de devenir plus tolérant d’une certaine manière. » Et de conclure : « Ça me met toujours autant en colère de sortir d’un défilé au Ritz, en pensant à toute la fortune dépensée pour un défilé, et retrouver à quelques mètres un SDF qui doit passer la nuit dans la rue et dans le froid. C’est cet aspect de mon métier avec lequel j’ai du mal à m’accommoder. » Voilà pourquoi Ahmad Kontar aspire à se réaliser, aussi, dans son métier de kinésithérapeute, « pour guérir par le sport », et continue, loin des projecteurs, à donner des cours de danse à des réfugiés en France. Histoire de panser des blessures qu’il ne connaît que trop bien. Et de danser les siennes.

À première vue, ça doit ressembler au bonheur. On est le 21 janvier, au Palais de Tokyo pour le défilé hommes automne-hiver 2019 de Jacquemus, en plein dans les délires colorés de la semaine de la mode masculine. Alors que Les Moulins de mon cœur résonne en fond, les flashs crépitent à tout-va, les portables des attachés de presse tintinnabulent et les serveurs dressent le buffet, où...

commentaires (4)

12 photos ! du torse de ce "bel homme" sous tous les angles...qui donnent le tournis...ouauuuuuh ! Irène Saïd

Irene Said

16 h 08, le 05 avril 2019

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • 12 photos ! du torse de ce "bel homme" sous tous les angles...qui donnent le tournis...ouauuuuuh ! Irène Saïd

    Irene Said

    16 h 08, le 05 avril 2019

  • Bravo, bravo....

    Eddy

    09 h 51, le 04 avril 2019

  • Très beau titre:) Gilles Khoury réussit toujours avec brio à nous faire vivre sur papier les gens ou les situations qu'il dépeint et sans longueurs inutiles!

    Tina Chamoun

    09 h 33, le 04 avril 2019

  • Quelle belle histoire et que cet homme est beau, à l'intérieur comme à l'extérieur!

    Marionet

    08 h 56, le 04 avril 2019

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