C’est une histoire de rêves et de détermination. D’entraide féminine et de solidarité active. De bonne cuisine contre mauvaise fortune… L’histoire d’une femme inspirante, porteuse d’espoir dans un univers de destins brisés par la guerre, l’exil et la misère. Mariam el-Chaar est née et a grandi dans le camp palestinien de Bourj Brajné, un territoire de 2 kilomètres carrés au sud de Beyrouth où sont entassés aujourd’hui quelque 40 000 réfugiés*. Elle n’a connu d’autre univers que ce camp aux allures de bidonville, où des bâtisses insalubres se chevauchent dans un dédale de ruelles étroites aux puissantes odeurs d’égout. Dans cette enclave à l’horizon bouché, où même le ciel est obstrué par de dangereux écheveaux de fils électriques, les rêves ne franchissent pas le seuil d’une réalité amère.
Ceux de la studieuse Mariam el-Chaar, âgée d’un quarantaine d’années, l’auraient portée, dans une autre vie et un autre environnement, vers le journalisme. « J’ai toujours aimé écrire. Je voulais mettre ma plume au service des opprimés, porter leurs revendications, les aider en leur donnant voix et visibilité. Malheureusement, aînée d’une famille de six filles, j’ai dû abandonner mes études secondaires pour trouver un emploi et aider mes parents », regrette-t-elle encore aujourd’hui. Elle sera éducatrice en maternelle durant dix ans. En parallèle, elle occupe son temps libre en apportant un coup de main administratif aux organisations des Nations unies qui opèrent au sein du camp. Notamment la Women’s Program Association (WPA) qui, avec le support de l’Unrwa et d’autres donateurs, offre des formations et de petits prêts aux femmes et aux jeunes. En juillet 2006, lorsque la responsable de la WPA quitte le pays, on lui propose d’abandonner l’enseignement pour la remplacer. « Cela a été le grand tournant de ma vie, assure-t-elle. En me retrouvant aux commandes de l’action sociale, je pouvais mettre à profit mon appartenance au camp et ma connaissance intime des problèmes de ses habitants pour essayer d’y apporter des solutions. »
La jeune femme se lance dans le travail, déterminée à aider, en premier lieu, ses consœurs. « La plupart des femmes ici sont confinées chez elles sans aucune activité, alors que beaucoup aspirent à travailler afin d’apporter un complément de revenus à leur famille », explique-t-elle. C’est pour leur créer des emplois qu’elle démarche en 2012 Alfanar, une organisation parrainant des projets d’entrepreneuriat social (voir cadre ci-joint) pour l’aider à développer un projet de traiteur. Un sondage entrepris auprès des femmes du camp avait montré leur intérêt pour la cuisine. Un an plus tard, les plans marketing et de gérance établis, les formations faites et les fonds avancés, « Soufra » (table en arabe) voit le jour. Évidemment spécialisée dans la cuisine palestinienne, très peu connue au Liban, la petite entreprise de catering se développe rapidement jusqu’à devenir, en trois ans, totalement autosuffisante. Un premier succès pour Mariam et son équipe d’une trentaine de personnes, qui va les encourager à démarrer un second projet encore plus audacieux : un « food truck » qui devrait contribuer à faire travailler encore plus de gens tout en faisant découvrir plus largement aux Libanais les mets typiquement palestiniens.
Un food truck nommé Soufra
Sauf que l’entreprise se heurte, cette fois, à la complexité administrative ainsi qu’aux interdictions et autres limitations des droits de propriété qui touchent les réfugiés au Liban. Près de deux ans de lutte acharnée, d’espoirs déçus, d’annonces en dents de scie avant que la ténacité de Mariam – qui, entre-temps, a pris des cours de conduite pour pouvoir conduire le car ! – ne se révèle payante. L’achat du food truck est enfin concrétisé. Et la petite équipe de catering de Soufra commence – timidement– en 2018 sa tournée des festivals et événements. Un petit tour aussi à la rue Hamra fera notamment le bonheur de ces femmes « heureuses de travailler, de sortir de chez elles, de se sentir utiles à leur communauté », raconte, avec une satisfaction teintée d’émotion, celle qui a été la cheville ouvrière de tout ce bouleversement positif. Mais ce ne sont pas là les seuls projets enclenchés par cette dynamique entrepreneuse sociale. À son actif, toute une liste d’idées développées, grâce au financement participatif, pour améliorer le quotidien du camp. À l’instar de la nouvelle garderie répondant aux normes en vigueur dans les sociétés développées ; du potager écoresponsable (avec des herbes, aromates et quelques légumes poussant dans des bacs à compost) installé, avec l’aide de Ziad Abi-Chaker, sur le toit de la cuisine, ou encore du livre de recettes de Soufra disponible en librairie et dont les bénéfices des ventes sont également reversés aux femmes qui y ont contribué.
Elle travaille actuellement sur l’ouverture d’un « véritable restaurant de cuisine palestinienne. Il serait situé à l’entrée du camp de Bourj Brajné, de manière à permettre l’interaction entre les habitants du camp et ceux du dehors », indique-t-elle.
Des idées, de la compassion et de la détermination. Voici les trois ingrédients essentiels que Mariam el-Chaar met dans toutes ses entreprises. Trois qualités qui en font une personnalité inspirante… Même pour Susan Sarandon ! Cette héroïne du quotidien, en travaillant à dispenser le bien-être autour d’elle, a fini par réaliser ses rêves de jeunesse. « Différemment, mais encore plus amplement », reconnaît Mariam avec la sérénité de ceux qui ont trouvé un sens à leur vie.
*Le camp de Bourj Brajné comptait, à l’origine, 20 000 réfugiés palestiniens, auxquels sont venus se greffer, depuis la crise syrienne, environ 20 000 autres réfugiés palestiniens – et syriens – de Syrie.
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commentaires (1)
COMME QUOI LA TENACITE PAIE !
JE SUIS PARTOUT CENSURE POUR AVOIR BLAMER GEAGEA
06 h 23, le 06 mars 2019