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Culture - Exposition

L’art et le néon de Adel Abidin

L’artiste irako-finlandais présente à la galerie Tanit un ensemble d’œuvres qui explorent les thèmes de la propagande religieuse, des nettoyages ethniques et de la dévaluation de l’humain.


Une première installation d’images, impressions sur métal monté sur aluminium. Photo Michel Sayegh

En vitrine, visible depuis la rue, des tubes de néon déploient, en lettres lumineuses, ces mots terribles : « We came to kill your father » (« Nous sommes venus tuer ton père »). Une phrase choc qui donne le ton, subversif et iconoclaste, de l’exposition « Ya! » qui se tient jusqu’au 20 mars à la galerie Tanit de Beyrouth. En l’occurrence, un ensemble d’installations, de pièces photographiques, sculpturales et vidéos signées Adel Abidin qui entraînent les visiteurs dans un parcours en gradation émotionnelle, allant de l’ironie sous-jacente au coup de poing en plein dans les tripes.

L’œuvre en néon, qui ouvre le circuit de l’exposition, est la fidèle transcription de ce qu’a vécu une Finlandaise au cours de la guerre civile qui a secoué son pays en 1918. « Cette phrase n’a cessé de résonner dans ma tête », avait-elle confié à Adel Abidin en lui racontant son histoire. Elle a résonné aussi chez cet artiste issu d’une région du monde où de nombreuses victimes subissent encore la même barbarie. C’est donc à partir de ces mots sanglants que l’artiste irako-finlandais a entamé son projet d’une série d’œuvres qui questionnent la situation actuelle d’un monde arabe toujours en quête d’une figure paternelle, religieuse ou politique.

Politiquement (in)correct

À commencer par cette série de pseudo-portraits des 12 imams chiites disparus ceinturant les murs de la première salle de la galerie. Il s’agit, en réalité, d’une série d’images agrandies, découpées et montées sur des plaques de métal, de détails vestimentaires et guerriers attribués à chacune de ces figures religieuses : casque, courroie, flèche ensanglantée, tête de lion, position des mains, linge blanc… Des éléments symboliques que l’artiste a repris des immenses posters qui parsèment les rues irakiennes et qui représentent, avec le même et indifférencié visage, ces 12 imams…

Dans cette exposition, dont l’intitulé « Ya ! » fait référence aux « Ya Ali, Ya Hassan… » que psalmodient les fidèles chiites, Adel Abidin s’attaque donc à cette immémoriale et toujours actuelle tendance des populations à l’idolâtrie. Une quête aveugle d’une figure paternelle qui, de la vénération des déités à celle des leaders politiques, fait le lit des propagandes religieuses et des extrémismes de tous bords, lesquels aboutissent, au final, à la dévaluation de l’être humain.

Féroce critique des aliénations idéologiques, des sectarismes et autres dysfonctionnements qui gouvernent nos sociétés, l’artiste, nouvelle coqueluche de la scène conceptuelle internationale, développe ainsi, sous un langage visuel souvent sarcastique et provocateur, une démarche éminemment humaniste.

En transposant dans son travail les paradoxes des éléments mentaux qui dominent le quotidien des gens – comme dans Politically Correct, une sculpture en acier inoxydable formée d’une répétition des mots graduellement écrasés jusqu’à l’écrabouillement total – Abidin provoque, secoue, éclaire, amène à réfléchir et à ressentir plus profondément… À réagir aussi peut-être à cet écheveau de fausses croyances, fausses informations, fausses mémoires qui tissent notre monde contemporain.

Lavages à grands jets

Explorant les rapports entre les arts visuels, la politique et l’identité, Adel Abidin présente aussi dans cette exposition une vidéo et une installation cinématique qui abordent, avec une terrible crudité, les thèmes des purifications ethniques, des répressions culturelles et de l’histoire vue sous des angles biaisés.

La première, intitulée History Wipes, élaborée à partir de vidéos d’archives que l’on retrouve sur YouTube, déroule des images de violences et de massacres accompagnées d’un casque audio, où une voix off distille dans l’oreille du spectateur les directives à suivre pour effacer celles qui le gênent. Ténébreux clin d’œil à ces victorieuses idoles politiques qui réécrivent l’histoire selon leur convenance, en en effaçant des pans entiers. La seconde, Cleaning, met en scène des hommes et des femmes soumis à une humiliante et sauvage séance de lavage à grands jets... Des images d’une vertigineuse force expressive que le visiteur reçoit, lui aussi, comme une claque en pleine figure ! Certes, toutes les pièces de ce projet n’ont pas cet impact-là. Certaines sont même inintelligibles. Sauf que l’expérience d’un art inconfortable que propose cet artiste vaut certainement le détour…

De Bagdad à Helsinki

Né en 1973, à Bagdad, Adel Abidin a fait les beaux-arts à Bagdad dans les années 90 avant de poursuivre sa formation à l’Académie des beaux-arts de Helsinki, au début des années 2000. Depuis, il partage son temps entre la Finlande et la Jordanie. Artiste pluridisciplinaire, il a participé à plusieurs foires, biennales et expositions. En 2007, il a représenté la Finlande à la Biennale de Venise, avec Abidin Travels (www.abidintravels.com), une installation vidéo autour d’une (fausse) agence de voyages qui propose des séjours à Bagdad. Une pièce majeure qui dénonce avec humour les artifices de la société d’information, et qui lui a valu une notoriété internationale. Il a également représenté l’Irak, en 2011, à la 54e édition de la Biennale de Venise avec une installation vidéo intitulée Consumption of War.

Galerie Tanit

Rue d’Arménie, Mar Mikhaël, imm. East Village. Jusqu’au 20 mars 2019.

Tél. 971(0)1562812.

En vitrine, visible depuis la rue, des tubes de néon déploient, en lettres lumineuses, ces mots terribles : « We came to kill your father » (« Nous sommes venus tuer ton père »). Une phrase choc qui donne le ton, subversif et iconoclaste, de l’exposition « Ya! » qui se tient jusqu’au 20 mars à la galerie Tanit de Beyrouth. En l’occurrence, un...

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