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Moyen Orient et Monde - Éclairage

Les sanctions sont-elles capables de faire plier un État ?

Quelles que soient leur nature ou leur ampleur, les mesures punitives ont montré leur efficacité dans certains cas, mais se sont révélées inefficaces dans d’autres.

Une femme iranienne devant un mur coloré à Téhéran, le 5 novembre 2018. Atta Kenare/AFP

Lundi dernier, la seconde salve des sanctions « les plus fortes de l’histoire » décrétées par les États-Unis contre l’Iran est entrée en vigueur. Ces dernières touchent tous les secteurs de l’économie iranienne et ont pour objectif de susciter un changement radical au niveau des ambitions nucléaires, balistiques et régionales de l’Iran. Mais la République islamique reste formelle, elle ne cédera pas aux pressions américaines.Si les sanctions ont réussi à devenir des moyens de dissuasion contre des pays tiers, elles n’ont pas toujours le résultat escompté. Depuis la fin de la guerre froide, les politiques d’imposition de mesures punitives contre des États, des organisations ou des personnalités ont considérablement augmenté. Elles sont devenues l’« arme des puissants » censée faire plier un État sans recourir à la force. De ce fait, elles se situent « entre les mots et la guerre », comme l’affirmait en août 2017 Carl Skau, représentant de la Suède au Conseil de sécurité des Nations unies. Mais si les cas de sanctions dans l’histoire ont été nombreux, peu ont entièrement atteint leurs objectifs.

Le grand exemple de succès des sanctions concerne l’Afrique du Sud. En 1986, dans le but de mettre fin au régime raciste de l’apartheid, une série de mesures punitives d’ordre économique et un embargo pétrolier sont imposés par l’ONU contre la future « nation arc-en-ciel ». En 1991, ce régime est aboli. Certes, les sanctions économiques n’ont pas fait tomber à elles seules le régime ségrégationniste, mais elles y ont grandement contribué en s’ajoutant aux problèmes de chômage, de pauvreté, de racisme et de division de la population déjà présents. Un élément permet d’expliquer pourquoi ces sanctions ont eu un tel impact : la proximité dans les relations avec les pays « sanctionneurs ».


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« La stratégie des sanctions a fonctionné face à l’Afrique du Sud en partie parce que c’est un pays proche de l’Occident. Si on observe l’historique de l’imposition des sanctions dans le monde, on remarque qu’elles ont le plus de chance de marcher si le pays sanctionné est proche du pays “sanctionneur” », explique François Nicoullaud, ancien diplomate et ambassadeur de France à Téhéran de 2001 à 2005. Pour que des sanctions aient le plus de chances d’avoir de l’effet, « le pays sanctionné doit appartenir au même “monde” ou avoir des relations économiques étroites avec le pays “sanctionneur”. D’autre part, plus l’État sanctionné est petit et faible par rapport au pays qui le sanctionne, plus il va être fragilisé. Enfin, les sanctions et le but recherché doivent être proportionnels. Trop souvent, et c’est ce qui explique l’échec de nombreuses sanctions, la décision de sanctionner est prise en réaction et son but pas clairement défini. Quand l’objectif est trop gros, les sanctions ont peu de chance de réussir », poursuit l’ancien diplomate. Cela expliquerait pourquoi des sanctions appliquées à certains pays autocratiques ou autoritaires destinées à changer la nature de leur régime n’ont pas fonctionné.


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Inefficacité contre les régimes autoritaires

Au contraire, il semble que ces régimes, une fois sous le coup des sanctions, se renforcent. Si l’on prend l’exemple de l’Irak, même si l’embargo imposé par la communauté internationale après la première guerre du Golfe (1990-1991) a eu des conséquences très lourdes sur l’économie et causé la mort de plus d’un million et demi de personnes, le régime est néanmoins resté en place. Il aura fallu l’intervention militaire américano-britannique de 2003 pour voir la dictature de Saddam Hussein tomber. L’Iran résiste malgré les dizaines d’années de sanctions et d’embargo qu’il a subies, et qu’il subit à nouveau depuis mai dernier. Idem pour la Russie qui arrive, malgré les nombreuses sanctions imposées par les États-Unis et l’Union européenne, à moderniser son armée et être une puissance incontestable sur la scène internationale. Enfin, Cuba, l’ancien allié communiste de l’Union soviétique, a vécu pendant plus de cinquante ans sous le coup de l’embargo américain mis en place en 1962 sans que le régime de Fidel Castro ne courbe l’échine face à l’Oncle Sam. L’ancien président américain Barack Obama avait officiellement reconnu en 2016, soit deux ans après le rapprochement entre les deux pays, que les sanctions avaient « échoué à faire avancer les intérêts américains ». « L’exigence des demandes à ces régimes de se suicider est rarement coopérative. C’est le cas des États-Unis envers l’URSS, l’Irak, l’Iran et Cuba. Plus un pays est ouvert, et plus il y a de discussions et de dialogues à l’intérieur du régime, plus celui-ci est fragilisé. Dans les régimes autoritaires, les sanctions sont moins évidentes à appliquer », estime François Nicoullaud.


De graves souffrances à la population civile

Au final, de manière générale, les régimes autocratiques ou autoritaires restent en place, et la première victime des sanctions économiques est la population. Selon l’ancien secrétaire général des Nations unies et Prix Nobel de la paix Kofi Annan, cité dans un article de Carole Gomez, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IRIS), « si les sanctions peuvent dans certains cas apparaître comme des outils performants, certains types de sanctions, notamment les sanctions économiques, sont des instruments grossiers infligeant souvent de graves souffrances à la population civile sans toucher les protagonistes ». Par ailleurs, même si un sentiment de frustration, de colère et de désespoir gagne la population, elle ne peut pas s’exprimer pleinement contre ses dirigeants.

Dans le cas iranien, la population multiplie les manifestations, mais ne peut agir directement et pleinement contre le pouvoir en place sous peine d’être violemment réprimée par le bras armé du régime, les pasdaran, qui ont prouvé à de nombreuses reprises qu’ils n’hésitaient pas à tirer dans la foule pour calmer l’ardeur des manifestants. Par ailleurs, les sanctions actuellement en vigueur en Iran ont pour effet de renforcer les conservateurs au détriment des modérés. « Dans le cas iranien, il est compliqué de faire en sorte que les sanctions aient le résultat recherché. L’Iran est loin culturellement et économiquement du pays qui le sanctionne, et ce n’est pas un pays faible (…) Il a une population de 80 millions d’habitants et des ressources qui lui permettent de résister », estime M. Nicoullaud. « Le but des sanctions d’amener l’Iran à faire hara-kiri pousse au contraire celui-ci à résister et non à faire des compromis avec le pays “sanctionneur” », conclut M. Nicoullaud.


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