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Culture - photographie

Akram Zaatari, ventriloque de l’image

À travers « The Third Window », l’artiste devient anatomiste et traite ses photos comme des objets, en faisant fi de leur contenu, dont il examine l’épiderme pour en distiller une histoire ou en créer une...

« The Third Window », 2018, vue de l’exposition d’Akram Zaatari à la galerie Sfeir-Semler.

À l’issue de la rencontre avec Akram Zaatari, on se demande presque si cette heure passée avec lui, par ailleurs fort passionnante, aura servi à répondre aux questions que pose The Third Window, tant il semble avoir pris plaisir à semer le doute, « ne serait-ce que pour que le visiteur s’approprie ce qu’il voit et en propose sa lecture personnelle ». Bien que l’artiste de peu de mots, dont l’œuvre interroge les pratiques photographiques vernaculaires, refuse de sous-titrer ses pièces, il choisit toutefois d’en commenter une en particulier : un tirage à développement chromogène qui porte le nom de l’exposition.

Des transactions de l’image

À la mort tragique de Nahla Haidous en 1996, suite au raid de l’armée israélienne à Qana, sa plus récente photo d’identité, datant de quinze ans auparavant, est encadrée et placée sur sa tombe, une couronne de fleurs ayant été préalablement appliquée sur l’image d’origine. Dans un deuxième temps, cette image modifiée est employée par la journaliste Doha Shams dans un supplément du quotidien as-Safir avant que, dans un troisième temps, la reproduction du portrait initial encadré soit présentée dans les Rencontres internationales de la photographie à Arles en 1997. « Par-delà le sujet même de la photo, chacune des modifications qu’elle subit et que j’appelle transactions, chacun de ses mouvements en quelque sorte, permet d’en savoir plus sur l’histoire qu’elle abrite », clarifie Zaatari, faisant le lien avec l’ensemble de The Third Window, concept emprunté à l’essayiste français Paul Virilio et qui fait référence aux écrans capables de transporter le spectateur vers des mondes parallèles à travers l’espace et le temps.

« En se penchant sur une image, par-delà son contenu, on peut retracer les événements qui y sont liés à travers les imprévus qui surviennent au moment de sa prise, et ensuite la manière dont elle a évolué avec le temps », explique-t-il. Si l’artiste au talent en accordéon, jonglant habilement entre les techniques et les médiums, avait jusqu’alors focalisé sa pratique autour de l’étude du contenu d’une photo, sa fabrication, ainsi que les notions d’archivage, il s’écarte à présent de cette démarche pour traiter la photo comme un objet porteur d’une histoire, « un peu comme si on arrêtait de se définir uniquement par notre lieu et date de naissance, et qu’on examine les événements de notre vie dans sa globalité pour en distiller une définition de nous, meilleure et surtout plus juste », résume-t-il. Des pratiques photographiques auxquelles il s’était exhaustivement intéressé, il déplace donc ses appétences de laborantin vers l’exploration de ce qu’il appelle les non-pratiques photographiques, une disparition, une contamination, une reconfiguration, et les traces que celles-ci laissent sur l’image.

Des objets savants

En parcourant l’exposition qu’accueille la galerie Sfeir-Semler – après le MACBA de Barcelone, le K21 de Düsseldorf et le Musée national d’art moderne et contemporain de Corée – où cohabitent (entre autres) projections vidéo, tirages en argentique et à jet d’encre, plaques de transfert d’aluminium ou peinture acrylique, comme autant de scalpels se posant sur des images en perdition, se devine, en filigrane, un Akram Zaatari qui se double d’un anatomiste de ses photos. Il confirme : « S’il fallait comparer cette démarche à une autre, je pense que l’exposition propose l’équivalent, pour une photo, du manuel d’une voiture qui montre les détails des pièces et du moteur, toutes ces choses qui sont invisibles à l’œil nu, mais qui en disent plus sur cet objet et sur le cours de sa vie. »

Ces photos deviennent donc des corps d’étude dont l’artiste fait fi de l’identité énoncée par le sujet pour mieux en desquamer la peau, traquer leurs fêlures et, plus globalement, examiner leurs accidents dans la perspective de distiller une histoire souterraine. « C’est la raison pour laquelle j’ai choisi le terme objets savants pour définir ces photos, dans la mesure où celles-ci portent en elles une certaine connaissance, ne serait-ce que leur histoire », explique celui qui finit par doter ces matières naguère silencieuses d’une capacité de se raconter. Les tirages cyanotypes de Un-Dividing History, où fusionnent et se contaminent des œuvres de la Fondation arabe pour l’image et d’autres de Yaacov Ben-Dov, photographe et « père du cinéma juif », défient l’apartheid. The Body of Film et ses 14 tirages à jet d’encre sur tissu ultraviolet rétro éclairé témoignent de la guerre par le biais des détériorations de l’épiderme photographe. À travers les plaques de transfert d’aluminium et les tirages intaglio et chine-collé de Against Photography, l’artiste, en recourant à un scanner qui enregistre uniquement les reliefs, vide les images de leur portée descriptive et esthétique afin de les faire dévier vers une narration alternative. Car « faire parler ces images, c’est aussi, parfois, leur faire dire ce que l’on veut. C’est ainsi qu’on tombe dans un certain jeu de manipulation de ces supports », conclut l’artiste dont chacune des expositions ne lève qu’à moitié le voile sur son personnage. Un peu comme la frappante Archeology qui clôt le parcours en apothéose, avec le portrait d’un athlète photographié par Antranick Anouchian, mais dont on ne devine que la partie inférieure du corps, le reste ayant été pris dans les filets du temps. Et si Akram Zaatari était, en somme, l’œuvre centrale de The Third Window ?

Galerie Sfeir-Semler

Secteur la Quarantaine, Beyrouth.

« The Third Window » d’Akram Zaatari, jusqu’au 5 janvier 2019. Tél. : 01/566550

À l’issue de la rencontre avec Akram Zaatari, on se demande presque si cette heure passée avec lui, par ailleurs fort passionnante, aura servi à répondre aux questions que pose The Third Window, tant il semble avoir pris plaisir à semer le doute, « ne serait-ce que pour que le visiteur s’approprie ce qu’il voit et en propose sa lecture personnelle ». Bien que l’artiste de...

commentaires (2)

Sans vouloir contredire mon précédant commentateur... L'artiste a le don, ou le savoir-faire de créer une oeuvre à partir de n'importe quel objet qui l'inspire. Dans ce sens certains photographes professionnels peuvent se révéler des artistes accomplis, des narrateurs ou des poetes. Dans l'histoire contemporaine le monde a connu des photographes d'exception dont leurs clichés et photos s'exposaient dans les galeries les plus en vogue. Je suis heureux qu'un photographe libanais excelle dans cette noble discipline. Un photographe est un oeil... Rend visible l'oubli, parfois même l'invisible.... Mettre l'accent sur un événement, un objet ou une date precise à partir d'une photo ... Est une forme d'écriture très puisante, une intelligence.

Sarkis Serge Tateossian

10 h 08, le 24 octobre 2018

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Commentaires (2)

  • Sans vouloir contredire mon précédant commentateur... L'artiste a le don, ou le savoir-faire de créer une oeuvre à partir de n'importe quel objet qui l'inspire. Dans ce sens certains photographes professionnels peuvent se révéler des artistes accomplis, des narrateurs ou des poetes. Dans l'histoire contemporaine le monde a connu des photographes d'exception dont leurs clichés et photos s'exposaient dans les galeries les plus en vogue. Je suis heureux qu'un photographe libanais excelle dans cette noble discipline. Un photographe est un oeil... Rend visible l'oubli, parfois même l'invisible.... Mettre l'accent sur un événement, un objet ou une date precise à partir d'une photo ... Est une forme d'écriture très puisante, une intelligence.

    Sarkis Serge Tateossian

    10 h 08, le 24 octobre 2018

  • JE REPETE COMME TOUJOURS QUE LA PHOTOGRAPOHIE EST UN DON ET UNE EXPERTISE... MAIS JAMAIS UN ART !

    LA LIBRE EXPRESSION

    06 h 31, le 24 octobre 2018

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