Au lieu de prendre une retraite méritée, l’infatigable professeur Pierre Farah a repris « son bâton de pèlerin » pour former des médecins dans une contrée lointaine et difficile, le Tchad. En pleine forme, le super octogénaire continue de travailler et de se consacrer à son métier. Celui-ci le galvanise d’autant plus qu’il l’enseigne dans un pays qui compte seulement 1 000 médecins pour 12 millions d’habitants, dont l’espérance de vie se situe entre 40 et 45 ans.
Parfois, le hasard fait bien les choses. Ou comme il aime à le rappeler, « le hasard ne sert que les esprits préparés ». En 2007, alors qu’il était de passage à Paris, « une rencontre fortuite » avec le père Angelo Gherardi va changer le cours de sa vie. Le missionnaire jésuite, un « homme d’exception, animé d’une foi rarissime », installé depuis plus d’un demi-siècle au Tchad, a fondé, en pleine brousse, l’hôpital Goundi et des dispensaires dans les zones les plus éloignées, offrant des soins à une population des plus pauvres et des plus vulnérables.
En 2005, avec le soutien de donateurs européens, père Angelo construit sur un terrain de 15 hectares concédé par l’état, dans la banlieue de la capitale N’Djamena, un centre hospitalier universitaire (CHU), le Bon Samaritain, et en annexe une école d’infirmiers, ayant un objectif précis : former gratuitement des médecins, qui, en contrepartie, iront travailler pendant sept ans dans les zones rurales défavorisées. Le missionnaire déplore toutefois l’absence de praticiens et de professeurs pour gérer cet ambitieux projet, dans le cadre duquel 25 étudiants étaient déjà inscrits. Les mots du père Gherardi – un « bulldozer » qui ne recule devant aucune épreuve – vont droit au cœur de Pierre Farah, qui prend aussitôt sa décision. En novembre 2007, il débarque à N’Djamena et se met à l’œuvre, donnant des cours et exerçant sa profession de chirurgien. En tant que bénévole bien sûr. En 2008, il devient le doyen de la faculté de médecine du CHU – le Bon Samaritain. Il y est encore aujourd’hui.
La solidarité en action…
Grâce à lui le fonctionnement du complexe hospitalier universitaire est assuré. Membre fondateur et ancien président de la Sifem (Société internationale francophone d’éducation médicale), le Pr Farah utilise son carnet d’adresses pour faire appel au réseau médical francophone. « Le bouche-à-oreille a fonctionné », dit-il. Des candidats se présentent spontanément « avec un merveilleux élan de solidarité et de générosité ». Professeurs et médecins, essentiellement des volontaires français et des Libanais, répondent à l’appel. Côté libanais, les docteurs Georges Khayat, Claudia Khayat, Maroun Moukarzel, Patrick Baz, Khalil Kharrat, et d’autres s’engagent. Certains se rendent à N’Djamena, deux semaines par an, d’autres y restent un mois ou deux, « assurant des cours intensifs aux étudiants et soignant des patients ». Au CHU, pas de numerus clausus, on cherche en permanence des spécialistes. Toutes les compétences sont les bienvenues.
(Lire aussi : « Acteurs de santé et patients s’humanisent l’un l’autre, c’est la grandeur de notre profession »)
Ouste le marabout
Le Bon Samaritain est « le couronnement de ma carrière », dit-il. C’est devenu aussi le lieu de vie de Pierre Farah. Depuis bientôt douze ans, il alterne trois mois en Afrique et dix jours à Beyrouth, puis « je rentre chez moi à N’Djamena ». En faisant escale à Paris, il s’offre une razzia à la librairie Gallimard : les dernières nouveautés, y compris des polars. Car c’est la lecture qui occupe en grande partie ses soirées. Dans ses bagages aussi, son nœud papillon qui a toujours fait partie intégrante de son dress code des grandes occasions : il le portera pour la remise des diplômes ou pour le mariage de l’un de ses étudiants. Les dimanches, il s’attable, avec ses collègues, dans un restaurant libanais pour se délecter d’une variété de mezzés. Le lendemain rebelote. Les journées ne sont pas faciles. En raison des traitements prodigués par le nganga, autrement dit le devin-guérisseur ou le marabout, « les patients qui arrivent au CHU sont déjà dans une phase critique. Et souvent il faut opérer en urgence. Il y a des cas désolants de pathologies infectieuses qui auraient pu être rapidement guéris, mais par manque de soins, elles ont évolué et sont devenues gravissimes ». D’autre part, le Pr Farah fait observer que « la médecine n’a pas de prix, mais elle a un coût, et c’est une de nos difficultés. Aussi, on enseigne à nos étudiants de favoriser la prévention. Et avant de penser au scan et à l’IRM, qui sont coûteux, il faut mener soigneusement une auscultation. Celle-ci est l’examen de base qui permet de faire un diagnostic. La palpation est souvent oubliée par les jeunes médecins » !
Le complexe hospitalier universitaire, le Bon Samaritain, bénéficie des aides financières provenant de l’ADF (Agence française de développement), et de l’OMCFAA, Organisme des missions catholiques qui soutient l’action des jésuites. Celui-ci accorde aux étudiants des prêts permettant de couvrir leurs frais de scolarité et de subsistance pendant leurs années d’étude. « Ces prêts sont à rembourser sur 10 ans après l’obtention de leur diplôme. En contrepartie, ils s’engagent à servir pendant sept ans une structure sanitaire publique ou privée située en zone rurale sous-médicalisée. Les meilleurs de ces étudiants seront dans l’avenir les cadres et chefs de service du Bon Samaritain. » Une stratégie mise en œuvre pour assurer à long terme le suivi du projet : soigner et sauver des vies humaines.
Une belle compensation à la générosité et à l’engagement indéfectible du Pr Pierre Farah, qui aura donné de sa personne pour lutter contre la désertification médicale dans ce coin de l’Afrique. L’humanité a besoin de l’humanitaire, et cet homme qui célèbre, en 2019, sa troisième promotion d’étudiants, avant de rentrer définitivement au Liban, en est un bel exemple.
commentaires (5)
Quel grand homme ! Cela donne espoir en l humanité !
Bardawil dany
12 h 35, le 18 septembre 2018