Le Premier ministre canadien Justin Trudeau au Sommet mondial des femmes à Toronto, en Ontario, le 10 septembre 2018. Geoff Robins/AFP
La crise diplomatique entre Ottawa et Riyad a fait naître, selon des responsables occidentaux, de « nouvelles lignes rouges » sur les droits de l’homme en Arabie saoudite, leurs pays devant désormais se garder d’évoquer tout haut ce sujet sensible. Le royaume ultraconservateur a annoncé début août l’expulsion de l’ambassadeur du Canada, rappelé son propre ambassadeur et gelé tout nouvel échange commercial ou investissement avec ce pays, après la dénonciation dans un tweet par Ottawa de l’arrestation de militants des droits de l’homme. Le Canada a affirmé que son gouvernement ne céderait pas aux pressions saoudiennes, réitérant son soutien à la cause des droits de l’homme, mais il semble bien isolé. « Nous avons atteint de nouvelles lignes rouges », indique un responsable occidental sous le couvert de l’anonymat. « Nous essayons de comprendre : est-ce que nos ministères des Affaires étrangères peuvent encore émettre des tweets critiques ? » ajoute-t-il. Les puissances occidentales, dont les États-Unis, n’ont pas, du moins publiquement, soutenu le Canada dans la crise avec Riyad.
« Silence assourdissant »
Le mois dernier, l’Union européenne (UE) avait décidé de publier un communiqué soutenant la position d’Ottawa avant de renoncer au projet, a indiqué un responsable occidental. Les ambassadeurs européens se sont contentés d’une « démarche », une note diplomatique, transmise lors d’une réunion privée avec le ministre saoudien des Affaires étrangères Adel al-Jubeir, selon la même source. « Les pays occidentaux vont y réfléchir à deux fois avant de critiquer publiquement la politique intérieure saoudienne », estime Bessma Momani, professeure à l’Université de Waterloo, au Canada.
« Le cas canadien a montré que de nombreux accords commerciaux pouvaient être compromis si les critiques envers l’Arabie saoudite énervaient ses dirigeants », indique-t-elle. Madrid, allié de longue date de Riyad, a aussi frôlé la crise diplomatique la semaine dernière quand le ministère espagnol de la Défense a annoncé qu’il annulait une vente à l’Arabie de 400 bombes à guidage laser pour 9,2 millions d’euros. L’annonce intervenait après des bombardements de la coalition progouvernementale menée par l’Arabie saoudite ayant tué des dizaines d’enfants en août au Yémen. Mais l’Espagne a fait volte-face jeudi en annonçant qu’elle débloquerait la livraison d’armes, et ce pour éviter de mettre en danger un contrat nettement plus important, la commande de cinq corvettes pour 1,8 milliard d’euros.
Cet exemple illustre la façon dont le royaume, dirigé de facto par le prince héritier Mohammad ben Salmane, a de plus en plus recours à l’arme économique pour étouffer toute critique. « Le prince a incontestablement étouffé les voix qui sont critiques envers la politique intérieure et (...) la politique étrangère, tout particulièrement au sujet du Yémen, depuis l’histoire avec le Canada », estime Bessma Momani. « Le silence des alliés du Canada est assourdissant », déplore-t-elle.
(Pour mémoire : Nouvelles arrestations de militantes des droits des femmes en Arabie saoudite)
« Mais à qui parler ? »
Plusieurs responsables occidentaux ont indiqué que les Saoudiens avaient demandé aux Canadiens de supprimer le tweet, dont la version arabe aurait particulièrement irrité les autorités. Un tweet qui pourrait être interprété localement, selon un responsable occidental, comme une tentative de « communiquer directement » avec le peuple saoudien, un grave délit pour le royaume. Non seulement le Canada a refusé de le retirer, selon plusieurs sources, mais depuis le 5 août, le compte Twitter de l’ambassade canadienne a vu le nombre de ses abonnés grimper de quelques centaines à plus de 12 000, et le fameux tweet en arabe a été retweeté des milliers de fois. Des responsables saoudiens insistent en privé sur le fait que, selon eux, la diplomatie à huis clos constitue une approche plus efficace que les dénonciations publiques. « Mais à qui parler des droits de l’homme au gouvernement (saoudien) ? Il n’existe pas de canaux clairs », s’interroge un responsable occidental. Le Centre pour la communication internationale du ministère saoudien de l’Information n’a pas répondu aux demandes de commentaires de l’AFP.
Pour Bessma Momani, les pays occidentaux doivent être clairs dans leur choix. « Si l’objectif est de préserver des contrats commerciaux, alors la critique publique n’est pas le (bon) moyen », dit-elle. « Si l’idée, c’est de soutenir (...) les acteurs de la société civile, alors les critiques publiques sont importantes pour montrer aux acteurs intérieurs et à la communauté internationale que la politique saoudienne est inacceptable », conclut-elle.
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quelle honte, les occidentaux se baissent devant ce pays pays qui payent les terroristes qui ont tués dans nos pays l'atteinte des droits de l'homme , c'est juste pour les pays qui sont pas pro-occidentaux ou pro-américains
13 h 12, le 16 septembre 2018