« et moi j’ai pris ma tête dans ma main et j’ai pleuré »
Nul autre que Prévert ne saurait exprimer avec une éloquente simplicité la profondeur de ma tristesse.
Une belle personne, Marie Denise Méouchy Torbey, a quitté ce monde en laissant derrière elle un abîme que ne sauraient combler ni la douleur de ceux qu’elle a cruellement abandonnés ni l’amour de voir un monde s’écrouler au rythme de l’impuissance, de la médiocrité et de la mauvaise foi de ses dirigeants.
Des ténors du barreau n’ont pas manqué de faire l’éloge de son immense gabarit professionnel : Boutros Harb, Élias el-Murr, Antonio Hachem, Mohammad Fawaz et tant d’autres. Il m’incombe, au vu de la proximité spirituelle, intellectuelle et familiale qui nous liait, d’évoquer la chaleur de son amitié et la grandeur de son âme. Sa gentillesse délicieuse faite d’empathie et de modestie la rendait attachante pour tous ceux qui ont eu le privilège de la côtoyer ou de recourir à la générosité de son cœur.
Issue d’une famille d’illustres magistrats et d’éminents hommes d’église, elle n’a pas hésité à quitter son charmant village natal de Jezzine pour intégrer et se laisser bercer par l’univers rural et débonnaire de Tannourine, haut lieu de la maronité s’il en est. Elle en devient vite l’icône et le repère incontournable, épaulée par son époux qui se dépensait sans compter dans les domaines médical et social.
Pour se mettre à l’abri des canons et de la folie meurtrière qui s’est emparée de toutes les factions rivales, elle succombe au chant de sirène de l’émigration qu’elle n’arrive pas à tolérer. Elle a hâte de regagner son havre de paix, dans la charmante demeure que son mari a conçue et construite sur la falaise surplombant la rivière qui coule au fond de son lit, empreignant l’endroit d’une harmonie qu’aucune figure de style ne saurait fidèlement décrire. Immanquablement, nous nous retrouvions sur le petit balcon où nous nous laissions envahir par la douce rêverie ponctuée par l’arôme du café moulu. Nous chroniquions l’actualité. Nous conjecturions les solutions que nous savions impossibles, nous nous lamentions sur des générations que la guerre a brisées, nous désespérions de nous rendre à l’évidence que nous étions acculés à la résignation et la résilience. Ces moments de tranquillité et de bonheur, elle les réservait à sa famille étendue. Elle s’y dévouait corps et âme en se coupant du monde extérieur, déconnectant tous les moyens de communication et faisant fi des urgences et des affaires pressantes qui ne cessaient de surgir à tout moment.
Que de fois nous faisions, souvent pieds nus, le trajet qui nous séparait de la vieille église plusieurs fois centenaire qu’elle avait fait restaurer de ses propres fonds. Tu croyais sans l’ombre d’un doute à son pouvoir miraculeux. Nous y brûlions des cierges car nous étions convaincus que le miracle allait finir par avoir lieu. Nous avons entrepris ensemble le voyage à Fatima et le pèlerinage à Compostelle. Nous avons traversé à genoux le couloir asphalté qui menait à l’autel de la cathédrale. Nous nourrissions une dévotion sans faille à la Madone que nos aïeuls ont de tout temps vénérée, construisant en son honneur 22 chapelles dans divers endroits du village.
Nous discutions, entre autres sujets de prédilection, de littérature. Ton auteur favori était Éric-Emmanuel Schmidt, qui, lors de son passage éclair au Liban, t’a dédicacé son dernier ouvrage. Tu essayais de le placer au-dessus de D’Ormesson, de Lenoir ou de Ruffin dont j’avais lu tous les bouquins. Tu n’as pas beaucoup aimé son Je dirai malgré tout que la vie fut belle que j’avais tellement aimé au point de le lire trois fois.
Ta perte laisse dans notre existence un vide que rien au monde ne saurait combler. Avec Éluard, tu nous fais « partager la mort avec la mort ». Tu es partie et le « feu s’est alors éteint » et la solitude s’est installée en despote sur notre quotidien. Je répète après Apollinaire : « Vienne la nuit, sonne l’heure, les jours s’en vont et je demeure. »
Il me tarde de te rejoindre dans le néant infini.
Agenda - Hommage à Marie Denise Méouchy Torbey
Rose sur la tombe d’une belle personne
OLJ / Par Mounir TORBAY, le 03 août 2018 à 00h00
« et moi j’ai pris ma tête dans ma main et j’ai pleuré » Nul autre que Prévert ne saurait exprimer avec une éloquente simplicité la profondeur de ma tristesse.Une belle personne, Marie Denise Méouchy Torbey, a quitté ce monde en laissant derrière elle un abîme que ne sauraient combler ni la douleur de ceux qu’elle a cruellement abandonnés ni l’amour de voir un monde s’écrouler au rythme de l’impuissance, de la médiocrité et de la mauvaise foi de ses dirigeants.Des ténors du barreau n’ont pas manqué de faire l’éloge de son immense gabarit professionnel : Boutros Harb, Élias el-Murr, Antonio Hachem, Mohammad Fawaz et tant d’autres. Il m’incombe, au vu de la proximité spirituelle, intellectuelle et familiale qui nous liait, d’évoquer la chaleur de son amitié et la grandeur de son...
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