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Moyen Orient et Monde - Iran

Pourquoi Telegram est dans la ligne de mire de Téhéran

Dernier espace hors de contrôle du gouvernement sur internet, l’application est très populaire dans la République islamique.

De jeunes Iraniennes plongées dans leurs téléphones portables. Photo archives/AFP

Le 20 avril, tous les officiels iraniens, tous les employés du gouvernement, toutes les chaînes publiques ont fermé leurs comptes professionnels sur Telegram, suite à une demande du gouvernement qui devrait, selon toute vraisemblance, décider prochainement d’interdire totalement cette application très populaire en Iran.
Très prisée des médias officiels, mais aussi des entreprises et des politiciens, la seule application de ce type autorisée par les autorités serait devenue une menace pour la République islamique. Le guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a lui-même fermé son compte, alors qu’il utilise quotidiennement des applications censurées dans le pays comme Facebook ou Twitter, comme pour signaler que cette fois-ci il n’y aurait pas d’exception.

Quarante millions d’Iraniens, soit la moitié de la population, utilisent l’application. Ils y lisent l’actualité, y travaillent, s’en servent pour communiquer avec leurs amis, lire la météo ou promouvoir leurs idées. Protégé de la censure du fait du cryptage des échanges, c’est l’un des seuls espaces de discussion autorisé. L’application est aussi le plus important canal de marketing et de communication du pays puisque environ deux cent mille personnes en tirent des revenus grâce à leurs activités sur la plate-forme et que les entreprises y font la plus grande part de leurs publicités. « Telegram représente la quasi-totalité de l’internet iranien. C’est une variable permanente de la vie quotidienne dans le pays », explique à L’Orient-Le Jour Babak Rahimi, professeur et expert des médias iraniens.

Les retombées économiques de la fermeture de l’application seraient lourdes, selon tous les experts. « La fermeture complète du réseau constituera une atteinte très lourde pour le secteur informatique iranien florissant, mais aussi pour les entreprises d’e-commerce, se basant sur Telegram. L’impact sur la classe moyenne iranienne sera très fort », développe M. Rahimi.
Officiellement, le pouvoir justifie sa décision par le danger que représenterait la création d’une cryptomonnaie, comme souhaité par le fondateur russe de Telegram, Pavel Durov. Le Conseil suprême iranien du Cyberespace a en effet rédigé de nouvelles lois stipulant l’interdiction de proposer des services financiers pour les applications étrangères. Selon le gouvernement, cette monnaie constituerait une menace pour l’économie iranienne. « Cet argent résiderait hors du pays, empêchant l’État de faire des bénéfices, et il est possible que les Iraniens n’y aient jamais vraiment accès du fait des sanctions américaines contre l’Iran. Cette cryptomonnaie pourrait mener à une perte de valeur de la monnaie iranienne », confirme à L’Orient-Le Jour Mohammad Reza Azali, co-fondateur de TechRase, la start-up iranienne sur les médias.

Modèle chinois
Mais c’est surtout le monopole que l’application a acquis sur la toile iranienne qui inquiète les autorités qui se trouvent dans l’incapacité de contrôler la masse d’utilisateurs. L’État avait déjà bloqué son accès en janvier, dans le but de stopper la propagation de manifestations antirégime, avant de la réautoriser un mois plus tard. Cette fois, l’interdiction à venir est annoncée comme définitive. Pour briser l’exclusivité de Telegram, le gouvernement propose l’utilisation de réseaux sociaux iraniens comme Soshour en alternative. « L’idée de remplacer les nouvelles technologies médiatiques étrangères par des technologies locales est un vieux projet du gouvernement. L’Iran suit le modèle chinois, qui a initié son propre domaine internet et mobile, mais pour l’instant c’est un échec », décrypte Babak Rahimi. L’État veut reproduire la même opération qui avait mené les Iraniens à se détourner de l’application Viber. Suite au ralentissement du réseau, soupçonné d’être hacké par le gouvernement, les Iraniens se sont tournés vers Telegram, plus facile d’utilisation, avec une politique de sécurité des données plus poussée.

Il est toutefois peu probable que les utilisateurs iraniens se dirigent cette fois-ci directement vers ces nouvelles applications de partage. Selon les experts, elles ne sont pour l’instant pas capables d’accueillir les 40 millions de comptes iraniens. Mais c’est surtout la défiance envers le pouvoir qui avait procédé à des centaines d’arrestations après que des appels à manifester eurent circulé sur Telegram qui pourrait encourager une partie des utilisateurs de l’application à ne pas migrer vers un espace de communication pouvant être contrôlé par l’État. « Le gouvernement est actuellement en train de réviser les lois sur l’espace privé et c’est une inquiétude pour les citoyens, qui craignent pour leur intimité », note Hamid Jafari, co-fondateur de la start-up iranienne TechRasa et expert en cyberpolitique.

« Pas les moyens de bloquer son accès »
Telegram n’est en effet pas soumise à la censure de la République iranienne : Pavel Durov, cofondateur de Telegram, a toujours refusé de lever le cryptage chiffré qui agit sur les publications des utilisateurs. « Pour l’instant, les Iraniens se méfient des réseaux locaux, en lien avec l’État. Cela est amené à évoluer si des entreprises privées qu’ils considèrent sûres développent leurs propres applications », poursuit M. Jafari. Les autorités travaillent aujourd’hui sur cette idée en offrant l’assurance que les données ne seront pas utilisées à des fins invasives. Se voulant rassurant, l’ayatollah Khamenei a déclaré la semaine dernière que « violer la sécurité et l’intimité du peuple est religieusement “haram” (interdit selon la loi islamique) et doit être évité ». « Cette manœuvre pourrait aider la migration vers les réseaux sociaux locaux », selon Mohammad Reza Azali.

L’interdiction de Telegram, déjà effective en Russie, devrait prendre effet d’ici à deux mois en Iran. Les experts doutent pourtant de la réelle possibilité d’un blocage complet, du fait de l’attachement des Iraniens à cet espace de discussion. L’utilisation de VPNs ou réseaux privés virtuels, très répandue en Iran, pourraient leur permettre de contourner l’interdiction, selon Babak Rahimi. L’application peut aussi s’adapter : « Il est très probable que Telegram trouve un moyen de rester accessible aux utilisateurs iraniens, comme l’application l’a fait en Russie. Le gouvernement n’a pas les moyens de bloquer son accès », assurent les fondateurs de TechRasa.


Pour mémoire

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Le 20 avril, tous les officiels iraniens, tous les employés du gouvernement, toutes les chaînes publiques ont fermé leurs comptes professionnels sur Telegram, suite à une demande du gouvernement qui devrait, selon toute vraisemblance, décider prochainement d’interdire totalement cette application très populaire en Iran. Très prisée des médias officiels, mais aussi des entreprises et...

commentaires (2)

CHEZ L,OBSCURANTISME TOUT CE QUI EST TECHNOLOGIE ET NOUVEAUTE OU MODERNISME EST DANS SA LIGNE DE MIRE OBSCURE !

LA LIBRE EXPRESSION

09 h 20, le 27 avril 2018

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Commentaires (2)

  • CHEZ L,OBSCURANTISME TOUT CE QUI EST TECHNOLOGIE ET NOUVEAUTE OU MODERNISME EST DANS SA LIGNE DE MIRE OBSCURE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    09 h 20, le 27 avril 2018

  • Telegram n'est-elle pas l'application largement utilisée par les terroristes pour communiquer entre eux en toute sécurité parce que justement, elle est chiffrée? On s'offusque si l'Iran veut l'interdire, mais que fait-on pour empêcher son utilisation par des personnes dangereuses?

    NAUFAL SORAYA

    07 h 32, le 27 avril 2018

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