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Lifestyle - La Mode

La folle planète de Joe Arida

Il a longtemps erré dans un espace temps intermédiaire avant de prendre la décision de se poser. La terre est sa planète définitive. Elle est folle et cela lui convient. Sous le label « La Terre est folle », LTF pour simplifier, Joe Arida crée des vêtements et de petits meubles qui racontent son histoire et celle de sa génération.

Joe Arida arborant son tee-shirt « Power ». Photos DR

Ses abayas se repèrent au premier coup d’œil. C’est une force ; cela signifie que son identité est déjà marquée et son style affirmé. À ses débuts, pourtant, Joe Arida n’avait jamais pensé s’orienter vers la création de vêtements. Avec un diplôme en marketing et une sous-spécialisation acquise à Londres en histoire de l’art, psychologie, publicité et médias, il ne savait pas vraiment où il allait. Enfant, entre la guerre qui effilochait son environnement, le divorce de ses parents, la maladie de sa petite sœur qui achevait de justifier ses échecs scolaires, il pressentait pourtant que seule la beauté le sauverait ; le réconcilierait avec le chaos du monde. Parallèlement à ses études, il suivait avec assiduité des cours d’arts plastiques et se découvrait une passion, voire un réel talent pour la couleur et la composition, quel que soit le sujet. Plus tard, engagé chez Leo Burnett en qualité de rédacteur, il y rencontre la scénariste, réalisatrice et directrice artistique Danielle Rizkallah, « preuve vivante qu’on peut s’amuser en travaillant sans sacrifier le résultat ». De cette expérience, il dit garder une admiration pour les femmes fortes, les louves, les grandes gueules qui n’ont peur de rien, luttent pour leurs droits et ne se laissent pas victimiser. Mais les horaires de bureau ne sont pas un bon cadre pour cet ancien diplômé de l’école buissonnière. Il se convertit en directeur artistique indépendant et trouve auprès du photographe Roger Moukarzel et son épouse Cherine ses nouveaux mentors. Quatre ans durant, il assiste l’un dans ses projets photographiques et l’autre en tant que rédacteur et styliste dans le magazine de l’ABC. « Roger m’a appris à surmonter ma timidité, à savoir me vendre, avoir confiance en moi. Il m’a transmis une éthique du travail », confie le jeune créateur qui, à ce stade, n’a encore aucune idée de l’aventure qui l’attend. 


De « Minus One » à Starch

C’est un sous-sol en béton brut, juste ripoliné de blanc, place Tabaris. Nisrine Faddoul, la propriétaire des lieux, propose à des artistes de son entourage une exposition collective. La galerie s’appelle « Minus One ». Joe Arida s’emballe pour le projet et développe un luminaire conceptuel, « Ill », réalisé avec ses multiples radiographies d’anciens casse-cou. Il expose aussi des coussins et des planches de skate ornés d’impressions digitales. Son idée est de transposer l’esthétique désuète et un peu mièvre de la toile de Jouy sur des objets jeunes et contemporains. La production est presque entièrement vendue et l’incubateur (ou plutôt le radar) Starch créé par Rabih Kayrouz et Tala Hajjar repère aussitôt cet électron libre sans trop savoir qu’en faire. Il est enrôlé avec une consigne terrifiante : réaliser toute une collection pour le défilé de la fondation Fashion Forward qui engage les mannequins et finance l’événement à Dubaï, le mois suivant. Avec ses potes qui sont pour lui une vraie famille, Joe Arida se lance un soir dans un « brainstorming » à la recherche d’un nom de marque. Il ne veut voir sur ses étiquettes ni son nom ni ses initiales. Les idées se succèdent en vain, jusqu’au moment où, voyant à la télévision un ours se jeter sur un moineau, il s’écrie : « La Terre est folle ! »  et le nom est retenu. 


Arrogance milicienne

La première collection de la griffe, présentée à Dubaï, est baptisée « Hustler ». Comme son nom en anglais l’indique, elle est dédiée à l’arsouille, au Gavroche, au petit arnaqueur que le créateur pensait être en faisant ainsi feu de tout bois. Cette collection est entièrement blanche avec un jeu de transparences et d’opacités. 

Elle sera suivie d’une autre, « Blood », qui raconte les liens familiaux, inspirée des goûts aristocratiques européens des grands-parents du désormais styliste : le kimono de soie de sa grand-mère, la veste d’intérieur et la chemise de smoking de son grand-père. Il est temps pour Joe Arida de quitter Starch et de s’ébrouer, histoire de vérifier s’il se trouve dans son duvet quelques plumes capables de voler. En planchant sur « Blood », il constate que la abaya n’est pas un simple vêtement folklorique. C’est le symbole de tout un art de vivre, pilier de la garde-robe des festivaliers d’avant-guerre qui rivalisaient d’élégance pour se rendre à Baalbeck. Il la remet au goût du jour, rebrodant les siennes de vignettes collectionnées çà et là, notamment de soleils et de voitures anciennes qui rappellent les embouteillages, une spécialité libanaise s’il en est. 

À cette ligne s’ajoute une collection commandée par le multimarques festif 6:05 qu’il conçoit comme une ode à la mode libanaise des années de guerre, robes de soirée cousues dans des rideaux, surplus militaires accommodés à la sauce pop, résilles, shorts, harnais de cuir. La ligne s’appelle « Hubris ». Elle parle de l’arrogance et de la démesure de l’esthétique milicienne. C’est un succès. 

Mais la abaya continue à faire florès. Une amie, Yasmeen Farah, fait réaliser la sienne sur mesure pour son mariage et les commandes pleuvent. Quand Starch revient vers lui pour lui proposer de participer à l’exposition Blue Print dédiée au Liban, en marge de la semaine de la mode londonienne, il met en scène sa abaya derrière une sorte d’armure en osier tressé, qui rappelle le cannage des chaises de café traditionnelles, et emprunte sa structure aux fenêtres du vieux Beyrouth. 


Cinq saisons 

À 30 ans, Joe Arida est aujourd’hui un styliste multitâche qui n’a pas renoncé à créer ces petits meubles qui vont si bien avec l’esprit de ses vêtements, valets de nuit, tables d’appoint. Avec cinq collections par an, deux saisons de prêt-à-porter, deux saisons d’abayas et une nouvelle ligne dédiée à la mise en forme, « La Terre est folle de sport », véhiculée par le réseau TrainStation, il a de quoi faire tourner sa planète. Et si l’avenir importe peu à ce jeune homme qui vit à fond le moment présent, il n’en rêve pas moins de développer sous le label « La Terre est folle » une sorte de maison d’édition qui accueillerait toutes sortes de créateurs sous une thématique donnée. L’espace duty free de l’Aéroport international de Beyrouth a fait appel à lui parmi une petite sélection de designers pour proposer ses créations aux voyageurs. Lui qui a réussi à faire un must have d’un simple tee-shirt frappé du mot « Power » en noir sur blanc, ou rouge sur noir, y propose son nouveau cheval de bataille : un autre tee-shirt où les mots « La Terre est folle », illustrés par l’artiste Raphaëlle Macaron, s’étalent dans un décor psychédélique et démentiel rappelant le chaos de Beyrouth. D’ailleurs, la ligne s’appelle « Beirut ». Plutôt que de croupir dans une boutique, les créations « La Terre est folle » s’exposent dans des événements collectifs et se vendent en ligne, notamment sur le site de la marque et Lebelik.com.

Ses abayas se repèrent au premier coup d’œil. C’est une force ; cela signifie que son identité est déjà marquée et son style affirmé. À ses débuts, pourtant, Joe Arida n’avait jamais pensé s’orienter vers la création de vêtements. Avec un diplôme en marketing et une sous-spécialisation acquise à Londres en histoire de l’art, psychologie, publicité et médias, il ne...

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