Le Premier ministre, Saad Hariri, et le roi Salmane d’Arabie saoudite, à Riyad, mercredi. Bandar el-Jaloud/AFP
La différence est, certes, très nette. La visite du Premier ministre Saad Hariri à Riyad cette semaine n’a rien à voir avec celle de novembre dernier. De ce que l’on peut comprendre et apercevoir des rares informations et images qui fuitent depuis mercredi, l’ambiance semble aujourd’hui bien plus détendue.
Pour rappel, il y a quatre mois, Hariri avait été « prié » par le régime saoudien de se rendre « séance tenante » en Arabie « pour y rencontrer », lui avait-on expliqué, « Sa Majesté le roi Salmane ben Abdel-Aziz dans le cadre d’une réunion de travail ». Contre toute attente, il se retrouvait à son arrivée privé de liberté de mouvement – et acculé à la démission. S’ensuivait un feuilleton semi-surréaliste, où bouderies et entêtements montés en épingle des côtés libanais comme saoudien avaient manqué, en moins de quinze jours, faire de l’événement l’allumette qui aurait mis feu à toute une série de poudres régionales.
Rectification de tir
La stratégie saoudienne dans la démission forcée de Hariri de novembre était claire : provoquer au sein de la classe politique libanaise un choc qui aurait encouragé les sunnites à « enfin » hausser le ton face au Hezbollah, et la chute d’une équipe gouvernementale qu’on aurait alors remplacée par un cabinet dont le parti chiite honni n’aurait pas été autorisé à en faire partie.
La manœuvre allait avoir l’effet contraire à celui escompté. En tentant de pousser les protégés de son rival iranien au Liban vers la sortie, l’Arabie éjectait elle-même de l’échiquier libanais celui qui était jusque-là perçu comme son meilleur client.
Le royaume semble avoir depuis repensé un tant soit peu sa stratégie libanaise. La visite de Hariri à Riyad cette semaine a été placée sous le signe d’une rectification de tir. Premier indicateur, et il est de taille: le dossier libanais a été enlevé des mains du sulfureux Thamer Sabhane, pointé du doigt par de trop nombreuses parties au Liban et à l’étranger comme un pyromane des relations sunnito-chiites. On a donc envoyé à Beyrouth, pour porter cette nouvelle « invitation » en mains propres, un nouveau responsable du dossier libanais, le conseiller au sérail royal Nizar Alaoula. Homme diplomate et affable, il a commencé sa tournée au pays du Cèdre par une rencontre avec le président de la République Michel Aoun. Visite pleine de sens: après avoir été accusé de violation de souveraineté en novembre avec sa tentative de redistribution forcée des cartes politiques libanaises, Riyad reconnaît aujourd’hui, ouvertement et pleinement, les autorités compétentes du pays. De même, si l’effort de réconciliation n’est pas poussé jusqu’à rencontrer des responsables du Hezbollah, l’émissaire saoudien est passé saluer le président du Parlement, Nabih Berry, et s’est dit « ravi » de cette entrevue.
Pour autant, dans la perspective des élections législatives de mai, le royaume ne limite pas son initiative à un effort diplomatique d’apaisement. Plus d’un élément pouvant légitimement l’inquiéter dans sa lutte d’influence au Liban contre le grand adversaire iranien, il se doit toujours d’intervenir, avec d’autres méthodes, pour remettre de l’ordre dans les stratégies de ses alliés, dont certains paraissent dans une posture fragile.
Dosage
Tout d’abord, les amis chrétiens de l’Arabie, notamment les Forces libanaises et les Kataëb, semblent pour l’instant « punis » par un Hariri qui aurait des difficultés à pardonner à leurs chefs d’avoir œuvré contre ses intérêts à l’automne dernier, notamment lors des visites respectives de Samir Geagea et de Samy Gemayel à Riyad en septembre – deux mois avant sa démission forcée. Les tractations sont toujours en cours, mais la présence de candidats de leurs partis sur les listes électorales du courant du Futur devrait s’avérer bien moindre que lors des précédentes élections, une fermeture complète n’étant d’ailleurs pas à exclure à ce stade. Hariri étudiant l’option de s’allier en outre au Courant patriotique libre dans plus d’une région (dès lors que ce dernier n’y serait pas allié au Hezbollah), c’est la part des sièges traditionnellement remportée par les chrétiens du 14 Mars qui risque de se voir significativement diminuée.
Ensuite, à l’évidence, Hariri lui-même apprécierait de bénéficier d’un coup de pouce de la part du mentor saoudien. Sa popularité reste flageolante au sein de sa propre communauté, et ses scores attendus dans des régions traditionnellement acquises à son parti, notamment Beyrouth et Tripoli, sont sérieusement menacés par des rivaux motivés. Hariri a annoncé haut et fort à la cérémonie du 14 février, organisée comme chaque année à la mémoire de son père, qu’« il n’y aurait pas d’argent pour les élections », ce qui risque de détourner une partie de son électorat. Une possibilité dont il semble conscient: durant la même cérémonie, il reprenait un discours radical et virulent contre le Hezbollah. Probablement un nouvel appel du pied financier à Riyad.
Mais l’Arabie doit rester prudente. Pour garantir la réussite de sa politique au Liban, il lui faudra doser correctement son souhait de damer le pion à l’Iran et la pression qu’elle est prête à exercer sur ses protégés au pays du Cèdre : une politique maximaliste ne peut que se retourner contre elle. Le véritable et unique levier dont elle dispose, au sein de la communauté sunnite comme de la classe politique dans son ensemble, reste, bon gré, mal gré, Saad Hariri, seul leader sunnite à être capable de mobiliser le plus grand nombre au sein de sa communauté. Riyad semble avoir du mal à tolérer un compromis entre ce dernier et le Hezbollah, qui reviendrait, même indirectement, à faire du parti chiite le détenteur véritable du dernier mot en politique libanaise. Mais pousser Hariri à une position extrême, c’est condamner celui-ci à subir le veto du Hezbollah lorsqu’il s’agira de choisir le chef du gouvernement qui sera formé au lendemain des législatives. Le royaume doit comprendre que, dans le cas libanais, le pot de terre du carcan national s’avère plus fort que le pot de fer de la contrainte régionale.
Enseignante-chercheuse à Paris-Dauphine (Irisso) et chercheuse associée à l’Université d’Oxford.
Hehehe l’article bien que pas très objectif mais pas mal ... qu’il le veuille ou non hariri vas s’allier avec les FL await and see !! Les FL LES SEULS À VOULOIR D’UN LIBAN LIBRE ET SOUVERAIN
18 h 48, le 04 mars 2018