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Culture - À l’affiche

Pourquoi il faut se précipiter sur « The Shape of Water »

Le réalisateur Guillermo del Toro pourrait rejoindre cette année le cercle de ses amis mexicains, poètes non disparus, Alfonso Cuarón et Alejandro González Iñárritu, oscarisés pour « Gravity » et « The Revenant » : « The Shape of Water » a décroché treize nominations.

L’amour sous toutes ses formes. @Foxsearchlight

Film fantastique ancré dans une action on ne peut plus réelle, puisqu’il se déroule en pleine guerre froide, alors que les États-Unis effectuent des expérimentations dans des laboratoires gouvernementaux, The Shape of Water est également un conte de fées et une histoire d’amour absolus et universels. 

Guillermo del Toro l’a bien compris : le XXIe siècle aime encore ces contes de fées, mais n’aime vraiment pas être dupé. Contrairement à La Belle et la Bête, dont on retrouve ici l’inspiration, où la bête se transforme en beau prince au premier baiser de la belle, le baiser chez Del Toro ne métamorphose rien, car malgré la laideur physique de la bête en question (dans ce film, il s’agit d’un amphibie), il demeure une lueur interne invisible à l’œil nu qui le rend beau et qui ne nécessite aucune modification. Et puis il ne s’agit pas d’aimer pour transformer l’autre, mais de l’accepter et de l’aimer tel qu’il est et pour ce qu’il est. Ce n’est pas l’amour qui transforme : l’amour s’adapte et prend la forme de…

(Extra)ordinaires
Un conte de fée moderne, donc, dont les clichés habituels tombent l’un après l’autre : le réalisateur a pris soin d’en démythifier tous les codes linguistiques. Lisa (merveilleuse Sally Hawkins) n’a certainement pas un physique de star, mais elle est une fée. Une fée des temps modernes. Elle ne tient pas de baguette magique, mais a le sourire le plus ensorceleur qui soit. Ce n’est pas une vierge effarouchée, mais une femme qui assume une sexualité décomplexée (elle se masturbe chaque matin dans son bain à la même heure). Guillermo del Toro semble dire : il faut arrêter avec l’hypocrisie de tous les contes de Perrault, d’Andersen ou de Grimm, voici ma nouvelle belle, ma nouvelle sirène. Et là, le réalisateur ne craint ni ne censure le sang ; au contraire, il en met plein la vue. Ce sang existe pour nettoyer les souillures.

The Shape of Water raconte l’histoire de personnages aux destins ordinaires et aux visages ordinaires. Lisa, jeune femme muette qui nettoie les excréments dans le laboratoire en compagnie de son amie Zelda (la non moins formidable Octavia Spencer) habite un petit logement au-dessus d’un cinéma qui porte bizarrement le nom d’Orpheus, le dieu connu pour avoir été maître de nage dans une légende grecque. Elle a pour ami un homosexuel incarné par l’ordinaire mais à la fois extraordinaire Richard Jenkins. À eux deux, ils ont appris à unir leurs solitudes et à vaincre l’isolement. Ils vont même jusqu’à reproduire dans leur petit habitat les gestes et mouvements des films de l’époque. Le cinéaste mexicain ne pouvait pas ne pas rendre hommage à ce 7e art, source, pour lui, de vie. Il est la vie – peut-être alternative. Mais rien ne le sépare de la vraie, sauf deux ou trois étages aux murs perméables. Il y transpose le spectateur en toute fluidité.
 
Qui est la vraie bête?
L’arrivée du monstre (?) va transformer leur petit parcours sur terre ; le rendre fabuleux. Del Toro, qui avait signé le Labyrinthe de Pan, parsème son œuvre de repères, de petites clefs qu’on s’amuse à utiliser petit à petit. S’il prend soin de déstructurer les anciens codes, il en réinvente de nouveaux. Les tic-tac des montres, des horloges, les agendas muraux indiquent le temps alors que toute son œuvre repose sur l’intemporalité. De plus, l’eau dans laquelle plonge l’amphibie, dans laquelle Lisa s’adonne à son plaisir solitaire, et dans laquelle elle fait bouillir ses œufs, n’est autre que cette autre atemporalité, polymorphe qui plus est : fleuves, pluie, mer et même petites gouttelettes... Et enfin, qu’est-ce que l’œuf, sinon cette coquille sèche qui renferme une vie ?

L’œuf joue un rôle dans la pensée de nombreuses cultures en tant que source de vie nouvelle née de matière inanimée – beaucoup croient que le monde a été créé à partir d’un œuf. Déjà dans l’Égypte ancienne, il était vénéré comme l’origine du monde, et dans la Grèce et la Rome antiques, on suspendait des œufs colorés et on les offrait au mois de mars pour célébrer le début de l’année. À partir du IVe siècle, des œufs ont servi comme offrandes funéraires dans des tombes romano-germaniques, afin de souhaiter la résurrection aux défunts. Le christianisme l’a aussi adopté comme symbole de fertilité, de résurrection et de vie éternelle. De l’extérieur, il semble mort et inanimé, alors qu’à l’intérieur, une autre vie prend forme. Comme un tombeau, il enferme la vie, symbolisant le Saint-Sépulcre de Jérusalem duquel Jésus-Christ est ressuscité le matin de Pâques.

C’est dans toutes ces croyances et légendes que Guillermo del Toro a puisé des exemples pour construire son propre conte. L’œuvre évoque également d’autres plus contemporaines, comme celle de Jean-Pierre Jeunet (La cité des enfants perdus et Amélie Poulain), mais aussi l’univers des métamorphoses de David Cronenberg (La Mouche ou Crash). Mais elle n’en demeure pas moins pour autant une œuvre unique. Sensuelle et sensorielle. L’amour physique est très clairement décrit dans ce film qui fait appel à tous les sens, tant dans l’auditif, où la superbe musique d’Alexandre Desplat contrebalance le mutisme de Lisa, que dans le visuel, dans l’odorat (avec les doigts de l’enquêteur, incarné par le magnifique et bestial Michael Shannon) et dans le tactile (les écailles de l’amphibie). Tous ces sens qui rendent la vision de l’eau aussi bien que de l’amour réelle et onirique.



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