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Culture - Scène

« Close to here », la chronique d’un deuil annoncé

Après avoir été présentée à la Biennale de Charjah, la pièce de Roy Dib se joue au théâtre al-Madina les 16 et 17 décembre.

Julia Kassar dans « Close to here ». Photo Sharjah Biennale

Parlant de deuil ou de mort, les Libanais ont l'habitude d'employer la fameuse expression : « Biid min hon » (« Loin de nous »). En écrivant le texte de sa pièce commissionnée par la Sharjah Art Foundation, Roy Dib – réalisateur, homme de théâtre et de cinéma – a pensé à cet intitulé : Close to here, c'est-à-dire Près d'ici, contrairement à l'adage galvaudé. Parce que l'action a lieu et peut avoir lieu dans n'importe quel ville ou pays du Moyen-Orient. Parce qu'elle concerne toute cette partie du monde pris dans la tourmente des actes belliqueux et surtout parce qu'elle ne parle pas de la guerre, mais de l'homme dans la situation de guerre. Cet être humain qu'on oublie et à qui on impose des conflits par lesquels il n'est pas concerné, mais qu'on entraîne comme du bétail à l'abattoir. Close to here rapproche spectateurs et acteurs de la chair de cet homme écorché.

 

Unité de temps, de lieu
L'histoire se déroule dans une ville en état de guerre depuis des décennies ou même des millénaires. Ses habitants ne sont plus habitués à la paix. Ils ont besoin d'être toujours dans cette situation conflictuelle qui donne un sens à leur vie. Les hommes ont depuis longtemps déserté leur cité pour s'en aller à la recherche de combats, ailleurs. Restent les femmes qui y vivent dans un état de deuil permanent. Pour s'y habituer, elles ont instauré une sorte de rituel : faire la répétition du deuil tout comme on répète un spectacle. Ainsi, si l'homme ne revient pas, elles se seraient au moins habituées à leur situation.

Trois actrices portent la pièce sur leurs épaules et renouent, comme le fil d'Ariane, avec les grandes tragédies grecques. On pourrait voir dans Close to here des allusions à Antigone, Œdipe ou encore à cette Pénélope qui cousait en attendant son homme, Ulysse. Julia Kassar est cette Oum Youssef dont le fils est parti à la guerre suivre son père et dont la fille est morte, tuée par un franc-tireur, à l'âge de douze ans. Pour accomplir le rituel, elle a besoin de spectateurs, d'interlocuteurs et la seule personne qui pourrait être là, c'est ce franc-tireur lui-même, qui l'aiderait à faire le deuil. Tout au long de la pièce – structurée suivant les étapes du deuil avec le déni, la colère, le marchandage, la dépression, puis l'acceptation – Oum Youssef, dans un monologue aux paroles colorées et imagées, effectue des gestes nerveux et le spectateur saura à la fin de la pièce à quoi servent ces rideaux qu'elle est en train de coudre.

 

De Pénélope à Julia
Nul personnage n'est présent sur scène : ni le franc-tireur ni Youssef. Seule la fille – interprétée par une Sandy Chamoun toute dans l'intériorisation et qui joue également le rôle de coryphée dans la pièce – intervient auprès de Julia Kassar. Le troisième personnage, incarné par Lina Sahhab, découpe par moments le monologue avec des flashs info sur le temps, la mode, la cuisine ou l'horoscope. Des moments décalés et absurdes qui ajoutent à l'anachronisme de cette tragédie à la fois antique et contemporaine.
« Quand quelqu'un décide d'aller à la guerre, précise Roy Dib, il est certainement responsable de sa décision, mais il séquestre également la vie des êtres aimés qu'il laisse derrière lui, dans cette bulle de haine, de colère et de perdition. » C'est cette bulle que Dib essaye de transpercer en faisant dialoguer la merveilleuse actrice Julia Kassar (quel profil de tragédienne grecque !) avec le meurtrier de sa fille mais aussi avec le public qui devient à la fin du spectacle en position de franc-tireur.

Close to here est une performance théâtrale qui invite à la réflexion. On en sort bouleversé parce qu'elle pousse le spectateur à plonger dans son propre intime. Une histoire individuelle et universelle, sans pathos ni gestes superflus qui ressembleraient à ceux qu'on trouve le plus souvent dans les médias dans les circonstances de deuil. Roy Dib effectue un véritable travail de chef d'orchestre cumulant l'écriture, la réalisation, la production et la scénographie. Et de conclure : « Je n'affiche pas la guerre comme un fait divers pour faire pleurer les gens, mais j'aimerais qu'on réfléchisse à l'homme en tant qu'être humain, oublié en temps de guerre, dont on ne fait que de la chair à canon et dont on se joue des émotions. »

 

Théâtre al-Madina
16 et 17 décembre, 20h30. Billets en vente chez Antoine.

 

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