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Agenda - Hommage à Careen Audi Rahmé

Tu as gagné ta place au paradis des insoumis

Nous avions 12 ans, nous avions 16 ans, nous avions 18 ans, nous étions invincibles... Du moins le croyait-on.
Les « Mourabitoun » reprenaient le Holiday Inn, pendant que nous reprenions notre souffle en dévalant la pente d'un parking aux virages périlleux sur patins à roulettes ou sur un skate déglingué. Les miliciens suspendaient entre les immeubles des toiles noires pour nous protéger du franc-tireur, pendant que nous dressions une tente dans un sous-sol couvert de suie que nous remplissions de fous rires, de baisers volés et de flirts manqués.
Il pleuvait des bombes, il pleurait des mères, il partait des hommes, seule une partie de ping-pong perdue arrivait à nous arracher une larme.
Le soldat syrien occupait un angle de la rue derrière des sacs de sable prêt à nous tirer dessus. Cela ne nous empêchait pas de traverser, là où le boutiquier – celui qui semblait être né vieux – exposait des glaces à l'eau dans son frigo à porte transparente et coulissante. C'était notre récompense après un après-midi à vélo ou une partie de « mille bornes » disputée dans un couloir, assises par terre entre 4 murs à l'abri de notre enfance volée.
Le gouvernement destituait un président. Un général tentait un coup d'État pendant que nous votions pour le chef de bande, celui qui déciderait à quelle heure commencerait le jeu de piste et quel serait le thème de notre prochaine surprise party.
Nous avions 12 ans, nous avions 16 ans, nous avions 18 ans, nous étions invincibles.
Nous avions tout vécu, nous avions tout vaincu, les cauchemars au son des « Orgues de Staline », les réveils en mortier fracassé sur les murs, les nuits infernales et les journées aux volets clos, les coupures de courant, d'eau et d'innocence.
Nous avions affronté tous les maux, rien ne pouvait plus nous atteindre, jamais. Nous ignorions tout du monde des adultes et un jour tu as dû tout refaire, à toi, toute seule.
Tu as tout refait avec tes propres armes : tes enfants, ton mari, ta famille, tes amis, ton sourire, ta grâce et ta détermination. Tu as refait la guerre pour la gagner, le combat pour résister, les douleurs pour te relever, et les efforts pour ne jamais céder.
Et tu es partie. Mais tu as gagné !
Tu as gagné ta place au paradis des anges, au paradis des forts, au paradis des insoumis.

 

Nous avions 12 ans, nous avions 16 ans, nous avions 18 ans, nous étions invincibles... Du moins le croyait-on.Les « Mourabitoun » reprenaient le Holiday Inn, pendant que nous reprenions notre souffle en dévalant la pente d'un parking aux virages périlleux sur patins à roulettes ou sur un skate déglingué. Les miliciens suspendaient entre les immeubles des toiles noires pour...