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Moyen Orient et Monde - Crise / Soudan

L’impasse oubliée du Darfour

Une patrouille miliaire à Tabit dans le nord du Darfour, en novembre 2014. Photo archives Reuters

Le 29 juin dernier, le Conseil de sécurité des Nations unies a voté à l'unanimité la résolution 2363, entérinant la réduction de 30 % des troupes militaires de la mission de maintien de paix au Darfour.

Cette décision intervient suite à l'annonce par les États-Unis, premier contributeur dans les opérations de maintien de paix, de couper 600 millions de dollars dans le budget de l'ONU. Le nombre des militaires passera donc de 13 627 à 8 735 et celui des policiers de 2 994 à 2 500 d'ici au 30 juin 2018. Déployée en 2007, La Minuad, mission conjointe entre l'Union africaine et l'ONU, visait à l'arrêt des combats, à la protection des civils et à la restauration de l'État de droit au Darfour. Cette décision illustre que la crise du Darfour est un « chapitre clos », a indiqué le ministre soudanais des Affaires étrangères Ibrahim Ghandour. Le 20 juillet dernier, Jean-Pierre Lacroix, chef des opérations de maintien de la paix de l'ONU a déclaré : « C'est un fait qu'il y a beaucoup moins de combats au Darfour. » Mais la réalité semble bien moins évidente. Il y a plus d'une dizaine d'années, « le Darfour était la grande cause politique et humanitaire. Je n'ai jamais vu une crise prendre une telle ampleur, et être oubliée aussi vite... Alors que la crise subsiste », confie à L'Orient-Le Jour Gérard Prunier, chercheur au CNRS et spécialiste de la Corne de l'Afrique.

Le 23 juillet, des violents affrontements entre les tribus arabes Maaliya et Rizeigat ont fait dix morts et dix-huit blessés. Ces combats tribaux historiques se répètent dans la région, sur fond de luttes pour la terre et le bétail. « Malgré le fait que la guérilla ne soit plus organisée, il est évident que la zone n'est pas sécurisée, un combat de basse intensité perdure entre tous les groupes ethniques », souligne Gérard Prunier. En attestent les combats persistants dans la région montagneuse du Jebel Marra entre les rebelles et les troupes de Khartoum.

« Les Nations unies prévoient une concentration et une restructuration de leurs troupes dans cette zone instable », avance Mohammad Nagi, rédacteur en chef de Sudan Tribune. Les offensives des rebelles dernièrement apparaissent dans un contexte politique précis : la volonté de réduire les troupes onusiennes et la levée des sanctions économiques américaines contre Khartoum ne semblent pas plaire aux rebelles. Le rapatriement des factions engagées au Soudan du Sud et en Libye tels que l'Armée de libération du Soudan "Minni Minawi" et l'Armée de libération du Soudan "Abdel Wahid al-Nour" a entravé la période d'accalmie. Les troupes gouvernementales les ont décimées, mais leur retour dans la région du Darfour est incontestable.

Négociations paralysées
« Khartoum a sans doute gagné la guerre militairement. Mais aucune solution politique n'est proposée », avance Mohammad Nagi. Les négociations stagnent, les cessez-le-feu se sont jusqu'ici avérés précaires et éphémères. Les rebelles refusent de s'engager dans un traité de paix unilatéral qui ne leur assure aucune place sur l'échiquier politique soudanais. La faction "Minni Minawi" refuse toute négociation : « Les clauses sont rédigées selon les conditions du vainqueur », atteste le groupe. Le mouvement al-Nour accepte désormais d'aller à la table des pourparlers au côté de la faction Justice et Égalité. Cependant, « ils demandent le retour des déplacés, la dissolution des milices et une compensation financière du conflit. Ils négocieront lorsque ces mesures seront appliquées », explique le rédacteur en chef du Sudan Tribune. La démarche est paralysée car le gouvernement souhaite préalablement une ratification de l'accord de paix. La médiation, dirigée par l'Union africaine, juge le processus figé en raison du manque de concessions de part et d'autre. Autour de la table, « les tribus semblent divisées, les antagonismes entre les factions complexifient la résolution du dossier darfourien », ajoute Mohammad Nagi.

Parallèlement aux combats, Amnesty International au Soudan assure que les forces gouvernementales ont commis des crimes contraires au droit international et de nombreuses violations des droits humains. Les milices Janjawid, appuyées par l'État, multiplient exactions, viols, déplacements, pillages et destruction de biens civils. « Entre 30 attaques probables à l'arme chimique avaient eu lieu dans le Jebel Marra entre janvier et septembre 2016 », avance l'organisation. Le président soudanais Omar al-Bachir reste impuni et ce malgré les deux mandats d'arrêts de la Cour pénale internationale pour génocide, crimes de guerres et crimes contre l'humanité.

Le Darfour, qui est une région historiquement délaissée aux plans économique et politique, a été le théâtre de luttes violentes depuis 2003. Le conflit au Darfour a fait plus de 300 000 morts et 2,5 millions de déplacés, selon l'ONU. Khartoum néglige l'émancipation politique des tribus marginalisées. Le sentiment d'exclusion historique de la région va resurgir face au monopole du pouvoir politique par le pouvoir central. Gérard Prunier ayant vécu au Soudan explique que le pays est confronté à « une crise politique profonde et perpétuelle : les Arabes de la vallée du Nil représentent environ 30 % de la population et concentrent tous les pouvoirs. La périphérie oubliée, composée principalement de non-Arabes, se sent marginalisée ». La région du Darfour avait été touchée par les combats entre les minorités ethniques et le régime d'Omar al-Bachir et son gouvernement majoritairement constitué d'Arabes dès 2003. La crise soudanaise s'éternise sur fond de domination sociale et ethnique. Et la communauté internationale ne semble pas faire pression sur Khartoum, lassée de traîner un dossier dans l'impasse depuis quatorze ans. Les provinces du Darfour, sans aucune protection internationale, sont vouées à replonger dans un chaos profond.

 

 

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