Le verdict, annoncé mercredi par le Conseil supérieur de discipline, présidé par le juge Marwan Abboud, contre Mona Baalbacki, qui a occupé le poste de chef du département de pharmacie à l'hôpital gouvernemental Rafic Hariri de Beyrouth, n'en finit plus de susciter la stupeur.
Cette fonctionnaire est accusée d'avoir vendu frauduleusement une grande quantité de traitements pour le cancer dispensés par le ministère de la Santé. En remplacement, ce sont des produits périmés ou contrefaits qui étaient administrés aux malades.
Mercredi, le public a non seulement découvert cette fraude monstrueuse avec effroi, puisqu'elle a privé des centaines de malades de traitements adéquats, mais aussi qu'un délai de plusieurs années sépare les faits de l'annonce de la sanction.
Selon une source judiciaire, le début de l'affaire remonte à 2008, date à laquelle une grosse quantité de traitements frauduleux sont introduits dans le pays. Date à laquelle, aussi, Mona Baalbacki remplace des traitements distribués par le ministère de la Santé par des médicaments inefficaces. C'est l'année suivante, en 2009, que cette fraude est constatée et qu'est ouverte une « enquête complète de l'Inspection centrale, menée par un enquêteur connu pour sa compétence et sa probité », selon cette source. L'enquête est bouclée en 2010.
Or il faut attendre 2015 pour que le dossier atterrisse sur la table du Conseil supérieur de discipline. Cet organisme prend environ deux ans pour statuer dans cette affaire, car la suspecte, qui a été écartée de son poste des années plus tôt, passe le plus clair de son temps en Arabie saoudite et n'assiste pas aux séances. Et ce n'est donc que cette semaine que le jugement définitif du Conseil est finalement prononcé, après les aveux de la pharmacienne.
Cette affaire, d'une extrême gravité, est aussi tentaculaire puisque la liste des complices s'avère longue. Selon la même source, près de douze membres du personnel de l'hôpital seraient directement liés à l'affaire. Ils seraient aussi toujours à leurs postes... Sans compter que l'introduction frauduleuse de médicaments contrefaits au Liban a nécessité, à l'époque, un grand réseau qui aurait pu inclure des fonctionnaires du ministère de la Santé, des douanes, des hôpitaux, des médecins, des infirmiers...
« Ce scandale n'est qu'un échantillon de ce qui se passe dans le pays, estime cette source. Il y a probablement d'autres hôpitaux où de telles actions clandestines ont eu lieu. »
À la question de savoir combien de patients pourraient avoir été affectés par cette fraude, la source interrogée parle d'un stock de 3 700 traitements contrefaits dans cette seule affaire. Mona Baalbacki en a acheté 300, revendant à leur place 300 traitements efficaces distribués par le ministère de la Santé. Certaines informations non confirmées font état de l'écoulement du reste du stock de médicaments contrefaits sur le marché syrien.
« La situation a beaucoup changé depuis 2008 »
Que va-t-il se passer après le verdict du Conseil supérieur de discipline. Le dossier, qui concerne bien plus de personnes que cette seule fonctionnaire, a été retransféré à l'Inspection centrale pour une enquête plus approfondie, avant de refaire le chemin vers le Conseil supérieur de discipline, selon cette source.
Toutefois, la fonctionnaire, dont la fraude a pu coûter la santé, et même la vie, à des patients, ne devrait-elle pas être également jugée au pénal ? Le dossier a été transféré devant le parquet en 2014. Par ailleurs, dès la publication du jugement du Conseil supérieur de discipline hier, le ministre de la Santé Ghassan Hasbani a signé un document de retrait de permis – ce qui empêchera définitivement cette femme d'exercer son métier de pharmacienne au Liban – ainsi que le document pour le transfert de son dossier au parquet.
Répondant aux questions de L'OLJ, M. Hasbani, qui devrait consacrer une conférence de presse aujourd'hui à cette affaire, tient à souligner que cette fraude est ancienne, puisqu'elle remonte à 2008. Il assure que la situation a changé depuis et que de telles actions ne sont plus si faciles à commettre. « En ce temps-là, les hôpitaux avaient pris l'habitude de stocker de grandes quantités de médicaments, ce qui rendait le contrôle beaucoup plus difficile, dit-il. L'honnêteté du chef du département de pharmacie était alors cruciale. Un certain chaos régnait également dans l'accès à ces médicaments, ce qui a été réglé depuis, avec la mise en œuvre de mesures nouvelles. Ainsi, actuellement, le patient doit se faire livrer le médicament personnellement, avant qu'on ne le lui administre à l'hôpital. »
Le ministre évoque également un contrôle accru sur les pharmacies et la circulation de médicaments ces dernières années et évoque la mise en œuvre d'outils informatiques pour une meilleure traçabilité du médicament.
Devant le parquet
Reste à savoir quel va être le sort de cette affaire devant le parquet pénal, cette fonctionnaire et ses complices n'ayant pas encore été jugés pour des actes qui ont vraisemblablement entraîné la maladie et la mort. Répondant hier à des accusations de retard dans le traitement de cette affaire, parues dans la presse, le procureur général près la Cour de cassation, le juge Samir Hammoud, a donné des précisions dans un communiqué. Il assure notamment qu' « il n'y a aucun retard dans le cadre de cette affaire », insistant sur le fait que « la procédure judiciaire en vigueur a été respectée ».
« En date du 15 décembre 2014, un dossier est parvenu au parquet de l'Inspection centrale, enregistré auprès de cet organisme en date du 16 juillet 2009, assorti de la décision portant le numéro 123/2014, au sujet des fraudes commises par la chef du département de pharmacie de l'hôpital gouvernemental Rafic Hariri, souligne le juge dans son communiqué. À cette même date du 15 décembre 2014, le procureur général près la Cour de cassation a transmis le dossier au procureur financier conformément à la procédure en vigueur, où il a été enregistré sous le numéro 3747/2014. En date du 26 janvier 2015, le procureur financier a déféré l'accusée devant le premier juge d'instruction de Beyrouth Ghassan Oueidate sous des chefs d'accusation divers, et le dossier a été enregistré auprès du premier juge d'instruction sous le numéro 9/2015, en date du 27 janvier 2015. »
Auprès du public, l'impression générale de lenteur ne s'est pourtant pas dissipée, étant donné que la principale accusée, et surtout ses complices, sont toujours en liberté, voire toujours à leurs postes pour la plupart. De plus, des zones d'ombre demeurent. À titre d'exemple, qu'est-ce qui explique ce délai entre la fin de l'enquête de l'Inspection judiciaire en 2010, qui avait fait la lumière sur tous les délits commis, et la date de transmission du dossier au parquet en 2014 ?
Pour mémoire
commentaires (11)
Crimes sauvages qui ne doivent jamais rester impunis .
Antoine Sabbagha
23 h 34, le 04 août 2017