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Culture - Portrait

Jessy Moussallem, « mi-zaatar, mi-fromage »

Jessy Moussallem a la générosité et la rigueur des premières fois. La réalisatrice de 27 ans raconte avec élan, sagesse et fantaisie, la genèse et les multiples dimensions de son œuvre qui démarre en force avec la réalisation du clip « Roman » de Mashrou' Leila.

Une fana de voyages, à l’affût de sensations qu’elle collectionne pour faire rêver les gens à travers ses films. Photo DR

Elle s'installe comme se calme la tempête et, tant qu'elle fait silence, on la penserait volontiers carnation poupée de porcelaine. Elle a le cheveu sombre et sagement lustré qui encadre son minois au teint d'une page blanche ouverte à tous les possibles. L'œil est marbré par des nuits sans sommeil, mais écarquillé de mascara comme toute Alice émerveillée. Cela dit, cette beauté assez parfaite et très intemporelle n'aurait pas le même impact si l'étoffe de ce classicisme esthétique n'était tramée d'une étrangeté troublante. Sur son buste célébré par un décolleté généreux, Jessy Moussallem est tamponnée d'une marque blanche, « souvenir d'un incident de santé », une cicatrice en croix, comme un refus buté de céder à cette époque qui ne fait que jurer avec un féminisme standardisé et bien dans les rangs. Et c'est vrai qu'on la sent assez gambadeuse, presque ailleurs, sous le feuillage de ses sourcils démêlés et broussailleux, comme des garçons.

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La chose se confirme quand elle se met à déballer en vrac, sans calcul et sans recul, son propos hirsute et qu'elle balaye avec candeur l'ensemble des embarras d'un revers de manche, quand tant d'autres se contentent de fermer à double tour les tiroirs de leur spontanéité. Elle démarre avec un « simplement, je savais depuis toujours que je raconterai des histoires ».

De fait, à l'enfance, quand elle ne joue pas (avec son frère aîné) à retenir les musiques de films, en copilote rêveuse, la future réalisatrice lâche la bride à une imagination déjà impétueuse. « Je regardais les gens dans les voitures autour. Je leur imaginais des conversations, leur créais des vies », se souvient-elle. Sur les bancs de l'ALBA, où elle fait ses classes en audiovisuel, elle tape du pied : « J'ai réalisé que je n'étais vraiment pas faite pour les études. Je zyeutais déjà le terrain, là où les choses se passent et les émotions se créent ! » Majeure de promotion grâce à son premier court-métrage intitulé Les Aiguilles et où elle détaille les sensations nées d'une « relation, à travers un trou dans un mur, entre une couturière et un mathématicien », elle est déjà attendue sur le tournage de Et maintenant on va où ? (de Nadine Labaki) en tant que styliste. Elle s'en souvient de la sorte, avec une reconnaissance teintée d'amertume : « Nadine est une véritable inspiration pour moi, et cette expérience mémorable mais je me suis retrouvée à la mauvaise place en tant que styliste. J'étais frustrée, et avant de le savoir, je croyais que le pays et ses limitations étaient responsables de mon mal-être. »

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C'est ainsi que Jessy Moussallem claque la porte pour Barcelone où elle entame un master en film. Et tant pis, si elle ne va pas jusqu'au bout de ce diplôme, car l'expérience, dit celle qui en est revenue, atténuée d'apaisement, aura suffi à lui infuser constance et confiance. Elle tente d'expliquer : « C'était comme une douche qui m'a libérée de toutes les fioritures. J'ai compris que je ne serai heureuse et vivante qu'en créant des histoires et en faisant rêver les gens. »

Le retour à Beyrouth, un rien suffocant, sera bref et ponctué d'un premier court-métrage Danse à deux temps, que la jeune femme réalise pour le label de mode Vanina, où elle esquisse de son regard aiguisé et aigre-doux une amitié entre deux femmes. Ce fashion film, qui se démarque très vite, ne réussit tout de même pas à amarrer cette fille très dans le vent à son pays. À l'improviste, elle embarque sur le premier avion comme on prend les chemins du hasard pour un an de pérégrinations, qu'elle décrit comme sa plus belle manière d'apprendre.

Car Jessy Moussallem célèbre ces moments creux qui la laissent ouverte au monde. Elle préfère « voir les gens en vrai », affronter le réel des visages et des regards, leurs fêlures et leurs bonheurs ; l'amour qui l'irrigue ; la passion qui la consume et la douleur qui l'inspire. Elle affectionne les instants qui lui battent au plexus et les chairs de poule qui l'électrisent. Toute une pléiade de sensations, glanées ça et là au cours de ses voyages, qu'elle écroue au creux d'une mémoire qui ne lui fait jamais défaut. Mais elle aime aussi les atterrissages qui la ramènent en douce vers son Liban qu'elle conçoit désormais comme un terrain (fertile) de jeu. Elle concède aisément à sa personnalité dont elle inverse sans cesse les polarités : « Je suis dans la dichotomie, je suis passionné de voyages, ils m'irriguent, mais je suis surtout transportée par Beyrouth, à cheval entre chaos et harmonie. Et c'est ainsi que je me décris : moitié zaatar et moitié jebné, mi sage et mi sauvage. » Et d'ajouter : « D'ailleurs, sur mes tournages, je ne suis jamais de storyboard. Le chaos et ses surprises finissent toujours par m'irriguer. »

Exister en tant que femme
Ne pas confondre toutefois cette nature faite de grands écarts avec de la neutralité. Jessy Moussallem est tranchante et tranchée. Elle sait ce qu'elle veut, ce qu'elle ne veut pas, ce qu'elle apprécie, ce qu'elle conteste. Et c'est sans doute pour toutes ces raisons qu'elle a été approchée (à travers Caviar, sa boîte de production anglaise) pour la réalisation du clip de Roman de Mashrou' Leila.

Bien qu'elle y cornaque une centaine de femmes qui brandissent toutes les nuances d'une féminité arabe bigarrée à l'aide de leurs corps accord(é)s sur une chorégraphie suave toute en pastels toniques, la réalisatrice se récrie face à ceux qui l'auraient déjà estampillée féministe. « Il n'y a aucun féminisme, aucun désir d'affranchissement de l'homme. J'ai simplement eu envie de célébrer la femme à travers un clip sorti des tripes du Moyen-Orient. Aussi, une manière pour moi d'exister ni en supérieure ni en inférieure à l'homme. » Et de poursuivre : « De nos jours, il devient de plus en plus facile de créer de belles images au sens le plus vaste du terme. Le défi est de raconter des histoires et d'en engendrer des émotions, du vrai. C'est d'ailleurs pourquoi, tout au long du tournage du clip, je ne regardais jamais mon monitor, préférant m'installer avec les actrices et me frotter à leur jeu. »

Et là voilà déjà partie, se jetant au cour des projets qui patientent dehors, dont son premier court-métrage qui sortira bientôt. Ça s'intitulera What ever is will be was, en référence à l'éphémère, au provisoire, au passager, à cette nostalgie des moments qu'on voudrait faire durer. Comme celui qu'on vient de passer en sa compagnie.

 

 

Pour mémoire

Jessy Moussallem, jeune femme pressée et rassurée

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