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Moyen Orient et Monde - Grand entretien

Jean-Marc de La Sablière : L’ONU est imparfaite, mais rend toujours beaucoup de services

Fort d'une expérience diplomatique de près de 40 ans, dont 11 passés à la mission permanente de la France auprès des Nations unies, le diplomate français est l'un des meilleurs connaisseurs, dans l'Hexagone, de l'ONU, et un défenseur sans faille de l'institution, malgré ses imperfections.

Jean-Marc de La Sablière devant sa bibliothèque dans son appartement parisien. Photo Antoine Ajoury

Jean-Marc de La Sablière est un fervent défenseur des Nations unies. Il faut dire qu'il a passé près de 11 ans à l'ONU. Entré au Quai d'Orsay en 1973, il fait un premier séjour à New York en tant que deuxième conseiller à la mission permanente de la France auprès des Nations unies entre 1981 et 1984. Il occupe, par la suite, le poste de directeur des Affaires africaines et malgaches au ministère des Affaires étrangères, avant de devenir ambassadeur de France en Égypte. Son parcours l'emmène ensuite aux côtés de Jacques Chirac, dont il devient le proche conseiller diplomatique, avant d'être nommé représentant permanent de la France auprès des Nations unies de 2002 à 2007. Il couronnera sa carrière diplomatique en tant qu'ambassadeur de France en Italie, et ce jusqu'en 2011.

Fort d'une expérience de près de 40 ans au Quai d'Orsay, M. de La Sablière a aussi été le témoin privilégié des batailles diplomatiques dans les coulisses du Conseil de sécurité. De la guerre d'Irak à la situation au Darfour, en passant par la guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006, le diplomate français a été aux premières loges. Selon lui, malgré toutes ses imperfections, l'ONU reste indispensable, explique-t-il dans Indispensable ONU, publié en début d'année aux éditions Plon.

 

Vous avez passé quelques années de votre vie au Liban. Que gardez-vous comme souvenirs du pays du Cèdre ? Et comment voyez-vous le Liban aujourd'hui ?
Je garde d'abord le souvenir heureux de mon enfance dans un Liban en paix, où les communautés vivaient dans une certaine harmonie. J'y suis retourné plus tard, après la guerre civile ; Beyrouth renaissait. J'ai aussi en mémoire ma mission à l'ONU, de 2002 à 2007, lorsque la France a beaucoup aidé le Liban. Aujourd'hui, la fragilité du pays me préoccupe toujours ; la guerre syrienne si proche fait sentir ses effets ;
la présence de millions de réfugiés est un fardeau. Mais les Libanais tiennent. Qu'ils restent, malgré tout, suffisamment unis pour déterminer ensemble l'intérêt du pays est mon plus vif espoir.

 

Vous avez été un proche collaborateur de l'ancien président français Jacques Chirac, un grand ami du Liban. Comment avez-vous vécu auprès de lui son intérêt pour ce pays du point de vue personnel, mais aussi d'un point de vue du chef d'État ?
Jacques Chirac pensait qu'un Liban indépendant, plus uni, libéré des ingérences extérieures était un objectif conforme à l'intérêt du pays, de la région et de la relation franco-libanaise. J'étais en phase avec cette analyse. À l'époque, la relation franco-libanaise était confortée par les rapports amicaux et de travail entre le président Chirac et (l'ancien Premier ministre) Rafic Hariri dont l'influence était importante et qui s'est révélé être un véritable homme d'État.

 

Votre riche parcours professionnel vous a conduit dans des pays arabes et européens, mais c'est surtout votre poste à l'ONU qui vous a le plus marqué. Pourquoi ?
Il est vrai que j'ai particulièrement apprécié mes onze années à l'ONU, à New York, dont près de cinq comme ambassadeur, sans doute parce que j'aimais beaucoup négocier et que j'ai eu la chance de siéger au Conseil de sécurité à des moments où tant de choses se jouaient. Cela étant, la diplomatie bilatérale que j'ai pratiquée comme ambassadeur en Égypte et en Italie était également passionnante.

 

Vous essayez dans votre dernier ouvrage « Indispensable ONU »* de défendre une institution critiquée de toutes parts. Pourquoi avoir mis tant d'espoir dans l'ONU malgré ses défaillances ?
Mon livre est effectivement un plaidoyer pour l'ONU qui est imparfaite, mais qui rend toujours beaucoup de services. N'oublions pas que l'ONU, dans le domaine de la paix et de la sécurité, n'est pas toujours bloquée ; n'oublions pas que l'ONU, c'est aussi la COP21 (conférence de Paris sur le climat), le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), le Programme alimentaire mondial (PAM) et l'Unicef qui font par exemple un excellent travail au Liban. N'oublions pas que l'ONU ce sont aussi les institutions spécialisées comme l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI). Il faut y penser quand on prend l'avion en toute sécurité.

 

Dans votre livre, vous mettez en effet l'accent sur les points positifs de l'action onusienne dans le domaine de l'humanitaire, du développement et du climat, tout en minimisant l'échec du Conseil de sécurité en matière de droits de l'homme, de démocratie et, surtout, de paix et de sécurité (raison d'être de ce Conseil). N'êtes-vous pas trop complaisant envers ses « imperfections » ?
Non, je ne crois pas. Mon objectif est d'expliquer comment fonctionne le Conseil de sécurité en rappelant les fondamentaux. Il a les moyens d'agir, mais il n'est pas obligé d'agir. Il n'a pas été conçu pour être un gendarme. Tout dépend de l'entente entre les grandes puissances. En 1990/1991, elles étaient d'accord et l'ONU a été au cœur de l'action pour libérer le Koweït ; quand elles sont en désaccord, comme pendant la guerre froide, le Conseil est bloqué. Aujourd'hui la situation est intermédiaire : sur certains dossiers stratégiques pour les grandes puissances, comme le Moyen-Orient, il fonctionne mal ; sur d'autres, quand elles y ont un intérêt ou peu de divergences, il fonctionne assez bien : sur les dossiers de la prolifération des armes de destruction massive ou de l'Afrique notamment.

 

À travers sa courte histoire, le Conseil de sécurité a été bloqué durant toute la période de la guerre froide par l'URSS. Aujourd'hui, aussi, avec notamment les conflits syrien et ukrainien, par la Russie. Comment expliquez-vous cette tendance, de la part de ce pays, à bloquer cette organisation internationale ?
Les grandes puissances victorieuses de l'Allemagne et du Japon pendant la Seconde Guerre mondiale ont proposé un système de sécurité collective qui a été accepté. Elles se sont donné un droit de veto sans lequel, il faut être réaliste, il n'y aurait pas d'ONU. Le Conseil de sécurité reflète donc une société internationale qui est inégalitaire. Si les grandes puissances privilégient trop leurs intérêts par rapport à l'intérêt général, elles mettent en danger le système de sécurité collective. C'est ce que fait la Russie sur le dossier syrien. En refusant depuis 2011 toute pression sur Bachar el-Assad, elle a rendu jusqu'à présent impossible la recherche sérieuse d'un règlement. Mais les États-Unis, qui prennent trop souvent des libertés avec les principes de la Charte en ce qui concerne l'usage de la force, comme en témoigne l'intervention illégale et absurde de 2003 en Irak, ont également fait du mal au système de sécurité collective.

 

Les populations du Proche-Orient ont souvent été déçues par l'action de l'ONU. Du conflit israélo-palestinien à la Syrie, en passant par l'Irak, le Yémen et même le Liban, il est difficile de convaincre ces populations que les Nations unies sont indispensables. Pourquoi cette région semble-t-elle être un trou noir pour l'action et l'efficacité onusiennes ?
Tout n'est pas négatif comme le montre le déploiement de la Finul renforcée par la résolution 1701, mais j'ai noté souvent l'impopularité de l'ONU ou le scepticisme à son égard dans la région. Au Moyen-Orient, sans doute plus qu'ailleurs, des puissances régionales n'hésitent pas à violer la Charte et certaines résolutions en bénéficiant d'une protection sans limite de certains permanents (Israël par les États-Unis, la Syrie par Moscou...) rendant impossible l'adoption de mesures contraignantes adaptées, ce qui explique que l'action du Conseil de sécurité soit limitée.

 

Vous dites que « l'absence de l'ONU créerait plus d'instabilité et de chaos ainsi que plus de difficultés pour combattre les nouvelles menaces ». Vous ne trouvez pas que cette justification à travers la peur ou le vide ressemble un peu aux discours de leaders autoritaires qui disent souvent : moi ou le chaos, moi ou les terroristes ?
Tout en considérant que l'ONU est imparfaite, je constate que lorsqu'elle est absente ou faible, c'est souvent le chaos. C'est bien ce qui se passe malheureusement en Syrie. Aujourd'hui l'Afrique, déjà malmenée par les conflits, serait certainement en ébullition sans les opérations de maintien de la paix des Nations unies.

 

Concernant une éventuelle réforme de l'ONU, vous soulignez, après en avoir énuméré les réformes nécessaires, que le texte de la Charte a néanmoins été bien « verrouillé ». Cela veut-il dire, en termes moins diplomatiques, que cette réforme est impossible ?
L'ONU a certes besoin de réformes au-delà de ce qui s'est fait, ce qui n'est pas négligeable, mais dont on parle peu. S'agissant du Conseil de sécurité, la réforme de sa composition est nécessaire pour que les grands États émergents y trouvent en permanence leur place. Le statu quo convient aux plus grandes puissances, mais elles n'en sont pas vraiment responsables. On ne peut exclure que la réforme se fasse un jour à moyen terme. En revanche, s'agissant du droit de veto, j'ai la certitude que les grandes puissances n'accepteront jamais d'y renoncer. Dans ces conditions, l'avenir de l'ONU dépend de leur comportement. Si elles savent coopérer, comme lors de la libération du Koweït en 1990/1991, le monde sera plus sûr ; si elles respectent davantage les principes concernant l'usage de la force, les autres puissances les respecteront aussi. Elles tiennent donc en main l'avenir des Nations unies. Espérons que leurs dirigeants sauront, mieux qu'aujourd'hui, coopérer pour préserver une institution qui est toujours indispensable pour les peuples.

*« Indispensable ONU », éditions Plon, 2017.

 

Pour mémoire

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Jean-Marc de La Sablière est un fervent défenseur des Nations unies. Il faut dire qu'il a passé près de 11 ans à l'ONU. Entré au Quai d'Orsay en 1973, il fait un premier séjour à New York en tant que deuxième conseiller à la mission permanente de la France auprès des Nations unies entre 1981 et 1984. Il occupe, par la suite, le poste de directeur des Affaires africaines et malgaches au...

commentaires (4)

L,ONU EST UN MAL NECESSAIRE QUI ALLEGE D,AUTRES MAUX !

LA LIBRE EXPRESSION

22 h 22, le 27 juillet 2017

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Commentaires (4)

  • L,ONU EST UN MAL NECESSAIRE QUI ALLEGE D,AUTRES MAUX !

    LA LIBRE EXPRESSION

    22 h 22, le 27 juillet 2017

  • "Il dit que le résultat obtenu est tout à fait le contraire de ce qui s'y passe en ce moment ..." Veuillez m'excuser d'avoir écrit dans la précipitation et corriger cette phrase impropre par : Il dit que le résultat escompté était tout à fait le contraire de se qui s'y passe en ce moment .... Merci.

    FRIK-A-FRAK

    13 h 26, le 27 juillet 2017

  • Rien ne pourra me convaincre que l'onu n'est qu'un gros machin qui ne mérite qu'un bon coup de pied au derrière . tony blair s'est excusé publiquement en admettant sa faute d'avoir suivi un ivrogne en Irak , il admet ses erreurs et présente ses excuses en reconnaissant ses responsabilités dans ce massacre sans nom . Il dit que le résultat obtenu est tout à fait le contraire de ce qui s'y passe en ce moment , et l'onu-machin le regarde , libre de se mouvoir , alors que sa place devrait être dans une prison humide d'un pays du tiers monde , lui et son complice ivrogne américain .

    FRIK-A-FRAK

    12 h 45, le 27 juillet 2017

  • ""Au Moyen-Orient, sans doute plus qu'ailleurs, des puissances régionales n'hésitent pas à violer la Charte et certaines résolutions en bénéficiant d'une protection sans limite de certains permanents (Israël par les États-Unis, la Syrie par Moscou...)"" IL FALLAIT DIRE , SANS FAUSSE HONTE que ce sont LES GRANDS de ce monde qui violent la charte de l'onu avec ou sans la participation des petits. un cote qui peut etre n'a pas ete aborde dans ce livre: les delires financiers de l'onu, pareil de la BM, le FMI et beaucoup de ONG : pour ceux qui ont eu a collaborer avec tout ce monde.... savent bien les montants depenses genereusement MAIS INUTILEMENT, en salaires exhorbitants, depenses diverses luxueuses, etc.... pt't en reformant ce cote -ci l'onu pourrait au moins encore mieux faire du point de vue aide humanitaire. quant aux autres ( BM, FMI ) pt't ils seraient moins cupides lors de leur programes d'aides aux 3 eme monde.

    Gaby SIOUFI

    09 h 55, le 27 juillet 2017

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