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Liban - Interview

« La collaboration Nord-Sud est cruciale pour la science »

Jean-Paul Moatti, PDG de l'IRD en France, dresse à Beyrouth un bilan très positif du partenariat avec les institutions libanaises.

Jean-Paul Moatti, directeur de l’unité 912 Inserm « Sciences économiques et sociales, systèmes de santé, sociétés (SE4S) », Marseille, et directeur de l’Institut thématiques multi-organismes « Santé publique » (ITMO).

L'Institut de recherche pour le développement (IRD) est une des rares institutions en France – elle n'a pas son pareil ailleurs en Europe – à avoir pour mandat unique la collaboration avec les scientifiques du Sud. C'est ce qui en fait, selon Jean-Paul Moatti, son PDG depuis mars 2015, « une exception française qu'il est utile de maintenir et de faire fructifier ».

Lors d'un passage récent à Beyrouth, M. Moatti a beaucoup insisté sur l'importance de développer cette coopération mondiale avec les pays en développement, pour le bien de la science.

Au Liban, l'IRD collabore depuis plusieurs années avec le Conseil national de la recherche scientifique (CNRS) et avec plusieurs universités, notamment l'Université libanaise, l'AUB, l'Université Saint-Joseph et la Notre Dame University. Parmi les principaux projets, l'Observatoire libano-français de l'environnement, LIA-Olife, ou encore la carte de vulnérabilité sismique des sols à Beyrouth, effectuée avec le CNRS, ainsi que des projets dans le domaine des sciences humaines et sociales.

« Pour que la science serve réellement les objectifs du développement durable, avoir à l'intérieur de la communauté scientifique des personnes qui connaissent bien les sociétés du Sud et travaillent avec les partenaires de ces pays apporte une valeur ajoutée par rapport aux scientifiques généralistes, estime M. Moatti. Il faut comprendre que dans beaucoup de domaines-clés, nous avons besoin de la coopération scientifique avec les Libanais, les Africains, les Latino-Américains, etc., parce que sans cela, la science universelle n'avance pas : la spécificité de l'IRD, c'est que nous faisons de la science comme le CNRS (français) et d'autres, nos laboratoires sont mixtes avec des universités et/ou avec de grands organismes de recherche, mais nous nous focalisons sur la zone intertropicale et méditerranéenne. »

La portée générale des problèmes écologiques explique pourquoi cette coopération est si cruciale. « À titre d'exemple, on ne peut absolument pas comprendre le changement climatique global si on n'analyse pas les phénomènes de mousson qui ont lieu en Asie, mais aussi en Amérique latine et en Afrique, explique-t-il. Les modèles climatiques dont nous disposons sont très robustes, mais dès qu'il faut analyser des phénomènes plus fins, comme l'influence du changement climatique sur les côtes méditerranéennes, par exemple, ces modèles sont beaucoup moins adaptés, puisque nous n'avons pas assez de données empiriques mesurées dans l'océan ou dans les fleuves. »

L'IRD – qui n'est pas une agence de financement, explique d'emblée son PDG – a également sa propre conception de la coopération avec les institutions partenaires. « À la différence d'autres institutions, l'un de nos mécanismes est d'envoyer des chercheurs vivre sur place durant deux ans ou plus, pour travailler au quotidien avec leurs collègues d'autres pays, souligne-t-il. Nous avons la possibilité, entre autres par l'octroi de bourses, de permettre à des chercheurs ou des étudiants libanais d'effectuer des séjours pour travailler dans l'un de nos laboratoires. D'autres mécanismes ont été mis en œuvre en vue de créer, par exemple, des laboratoires en commun. Enfin, nous pouvons présenter des projets conjoints avec des collègues libanais et les soumettre à une recherche de financement. »

En science, le Liban « peut jouer la coupe du monde »
La collaboration, elle, dépend des pays, et le bilan de l'action au Liban est plus que positif. « Au Liban, il y a une qualité d'infrastructure scientifique et d'enseignants chercheurs, notamment dans les universités partenaires, qui est remarquable, affirme M. Moatti. Le niveau est très élevé et se rapproche de celui d'un pays de niveau économique supérieur. En d'autres termes, le Liban peut jouer la coupe du monde de la recherche! Les projets que nous avons réalisés à Beyrouth sont qualitativement très importants, comme l'attestent les papiers que rédigent les chercheurs de l'IRD avec leurs partenaires libanais, et qui sont cités deux à trois fois plus que la moyenne dans des revues scientifiques mondiales de renom. »

Interrogé sur les moyens de développer cette collaboration, M. Moatti estime qu'elle pourrait l'être quantitativement, avec plus de moyens. Il insiste sur la mutualisation des efforts entre différentes institutions françaises dans leur collaboration avec des partenaires tels que le Liban. Côté libanais, il souligne l'importance d'encourager les partenaires locaux à fédérer leur énergie pour décrocher des projets plus structurants.

Y a-t-il des perspectives de nouveaux programmes au Liban ? « Ce qui est ressorti de nos réunions avec les partenaires libanais, c'est qu'il faut absolument poursuivre l'activité de l'observatoire de l'environnement, assure le PDG de l'IRD.

Nous allons étudier la possibilité de développer des programmes dans le domaine de la santé, notamment en ce qui concerne les risques que pose la présence des réfugiés, ainsi que la possibilité de créer un dispositif de collecte de données qui peut être utilisé de façon conjointe par plusieurs équipes de santé dès qu'elles ont besoin d'aborder ces sujets. »

De manière générale, Jean-Paul Moatti reste très attaché à la promotion des projets scientifiques réalisés avec et par les scientifiques du Sud. Il cite une anecdote vécue en juillet 2015, lors d'un grand congrès sur le climat organisé à l'Unesco à Paris. Deux célèbres climatologues français, Jean Jouzel et Hervé Le Treut, se déclaraient agréablement surpris par la qualité des présentations scientifiques de leurs collègues du Sud. « À l'IRD, cela nous a fait plaisir, mais il est triste qu'il ait fallu attendre juillet 2015 pour que les scientifiques du Nord se rendent compte de la qualité de ce qui se fait au Sud », dit-il.

L'Institut de recherche pour le développement (IRD) est une des rares institutions en France – elle n'a pas son pareil ailleurs en Europe – à avoir pour mandat unique la collaboration avec les scientifiques du Sud. C'est ce qui en fait, selon Jean-Paul Moatti, son PDG depuis mars 2015, « une exception française qu'il est utile de maintenir et de faire fructifier ».
Lors d'un passage...
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