Rechercher
Rechercher

Culture - Portrait fictif

Et Julia domina Rome pendant 40 ans

Elles sont cinq reines et impératrices d'Orient à parrainer le Festival al-Bustan cette année. Lequel leur rend hommage à travers des concerts et spectacles qui leur sont dédiés. Pour aider à mieux aborder les œuvres inspirées de leurs personnalités, « L'OLJ » a décidé de brosser leurs... (auto)portraits fictifs.

Buste de Julia Domna en marbre.

En politique, tout est « stratégie de comm. » Élémentaire, diront certains. Oui, mais de mon temps, la politique était surtout le terrain de jeu de prédilection des fins stratèges et des sournois comploteurs. Sans oublier les fratricides, matricides et autres parricides assoiffés d'hémoglobine et de pouvoir. Peu d'hommes comprenaient l'importance d'élaborer des messages-clés afin d'atteindre un public ciblé. Moi, si. Et beaucoup de femmes de ma lignée aussi. Mais revenons à mon incroyable histoire. Moi, Julia Domna (158-217 après J-C), fille de Bassianus, grand prêtre héréditaire d'el-Gabal, le dieu solaire (Baal) d'Émèse (aujourd'hui Homs).

Je suis noble, j'ai du caractère, un peu débauchée (disent les langues de vipères), mais ambitieuse, intelligente et cultivée. Donc née sous une bonne étoile, d'autant plus que les astrologues me prédisaient un destin hors du commun en tant qu'épouse de roi. C'est sans doute alléché par cette prophétie que le sénateur Septime Sévère a fait tout pour m'épouser.

Septime Sévère était un Romain africain, libyen ; issu d'une famille aisée ; un bel homme, d'une cinquantaine d'années, robuste, excellent stratège, spirituel, mais n'y allant pas par quatre chemins. Il avait étudié la philosophie à Athènes et le droit à Rome, mais parlait le latin avec un accent phénicien marqué. Le mariage eut lieu en 187 ; à cette période, il occupait un poste dans le gouvernement de la province lyonnaise.

À Lugdunum, j'ai réuni un salon littéraire où se pressaient les beaux esprits et où j'ai introduit les goûts et les modes de l'Orient. J'ai mis au monde les deux empereurs de Rome, Caracalla et Géta.
Puis mon mari prit le pouvoir à Rome en 193 à l'issue d'une guerre civile. Il régna du 9 avril 193 au 4 février 211, soit un peu moins de dix-huit ans ; durant ces années, il ne s'adressait au Sénat que pour lui donner des ordres, et il passait son temps à guerroyer. Et moi je le suivais partout dans ses campagnes militaires en Asie Mineure, puis en Syrie, puis, après un retour à Rome, en Mésopotamie et en Égypte.

Je ne recule devant rien pour arriver à mes fins. Après avoir éliminé Plautien, conseiller de mon mari, qui m'a accusée d'adultère, j'ai pris une place prépondérante dans la famille impériale. Et même fait le piston pour placer mes amis d'origine syrienne aux postes-clés.

Stratégie capillaire

Quand Septime Sévère est mort en 211, je me suis retrouvée au pouvoir avec mes deux fils Caracalla et Géta, augustes l'un et l'autre, mais qui se détestaient et cherchaient à s'éliminer mutuellement. Je me suis farouchement opposée à un partage de l'empire entre eux, mais ne put empêcher l'assassinat de Géta par son frère en 212. Et là aussi, on murmurait dans les alcôves que je n'étais pas complètement étrangère à ce coup bas. Toujours est-il qu'à partir de cette date, l'empire a été gouverné par moi-même et mon fils Caracalla. Et je l'accompagnais dans toutes ses expéditions, en Germanie, en Asie, en Égypte et en Syrie. Notre couple mère-fils faisait bien évidemment jaser : j'ai eu vent des chansonniers d'Alexandrie qui me représentaient en Jocaste (la mère-épouse d'Œdipe).

Mais voilà, je ne me suis jamais trop souciée des calomniateurs. Je préférais philosopher avec Philostrate, Diogène, Laërce et Élien.

Je me reconnais aussi, car je l'ai conquis, un certain droit au luxe. Une bonne stratégie pour me faire accepter par l'aristocratie romaine. Pour cela, je mettais beaucoup de soins à me créer un look bien particulier dont le point de mire était la coiffure. Ou plutôt la crinière. Un modèle bien à moi, extravagant, excentrique, over, qui fera que mon effigie en marbre ou sur la monnaie sera reconnue d'emblée pour des centaines d'années à venir. Filets, postiches, perruques, tresses, épingles, bouffants, crépons, poudre colorée et d'autres outils étaient nécessaires pour réaliser la coiffure Julia Domna : une longue raie médiane, des crans gonflants très marqués coiffés en direction de la nuque, l'arrière de la tête est plat en nattes.

Je l'avoue : c'était aussi pour ressembler à Faustina...

Mais si mes descendants suivent le système numismatique mis en place autour de ma personne et observent la place de ma maternité dans l'État romain, ils découvriront un autre de mes subterfuges de communication : la propagande sévérienne autour de la famille. Cet attachement au clan vient sans doute de mes origines orientales. Mais il a bien servi l'image des Sévères et m'a permis de régner à Rome pendant 40 ans, directement ou indirectement.

La pièce au Bustan
Lundi 6 mars, dans le cadre du Festival al-Bustan, la pièce de théâtre en arabe, Julia Domna, de Chérif Khaznadar, jouée par Mireille Maalouf et Serena Chami, à 20h30.

 

Lire aussi

Renaud Capuçon et Khatia Buniatishvili, « comme frère et sœur »...

Sémiramis, baby alone in Babylone

Shéhérazade, la nuit je mens...

En politique, tout est « stratégie de comm. » Élémentaire, diront certains. Oui, mais de mon temps, la politique était surtout le terrain de jeu de prédilection des fins stratèges et des sournois comploteurs. Sans oublier les fratricides, matricides et autres parricides assoiffés d'hémoglobine et de pouvoir. Peu d'hommes comprenaient l'importance d'élaborer des messages-clés afin...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut