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Culture - Rencontre

Massimiliano Locatelli, talent aiguille

Explorateur des matériaux et érudit des formes, cet architecte et designer italien aligne ses bâtis romanesques qui dialoguent avec le paysage. Dans l'église milanaise où il a installé ses bureaux ou de passage à Beyrouth en tant qu'ambassadeur de House of Today, il valorise toujours l'architecture comme une question de vérité.

Massimiliano Locatelli, tonique et avenant. Photo Gilles Khoury

À avoir croisé ses créations organiques et éthérées dans des grandes foires, en l'occurrence ses Lake Tables qui semblent flotter dans l'air, on s'attendait à tomber sur un dandy rêveur. Ou peut-être un timide, un retenu, un éloigné qui serait resté assis à dérouler le fil de ses songes tel un pêcheur de lune. Et puis, surgi d'une courte nuit sans sommeil, un tourbillon avenant débarque à l'entrevue. Massimiliano Locatelli est plus tonique qu'imaginé. Il est débraillé, châtain et chatoyant, quand on aurait pu le croire exilé sur une étoile sauvage comme certains de ses confrères de galerie. Les lunettes, de guingois, encadrent un regard intrigué par la nouveauté et se balancent à mesure que la spontanéité du bonhomme met des mots sur des propos en vrac. Il porte une chemise et un pantalon en soie vert eau, sorte de pyjama qui lui fait une dégaine d'homme au saut du lit, d'homme-papillon prêt à bondir sur des bottes de sept lieues. Et cela sied absolument à celui qui dit se déplacer au « gré du vent ».

 

Le voyage comme un moteur
Locatelli est architecte, il est aussi une figure emblématique du design contemporain, mais il a surtout une passion toute simple : le voyage, le vagabondage, qui « font de moi un être de passage ». Et de poursuivre : « Je suis curieux comme un enfant qui veut toujours voir derrière le mur. » L'une des raisons qui l'ont amené à répandre ses bagages entre Milan, New York, Bombay et le Vietnam, avec cette volonté de ne pas faire de choix ou plutôt celle d'être sur plusieurs terrains à la fois, d'adopter l'insouciance des nomades et leur façon de rejouer la vie au jour le jour. « Je ne passe jamais plus de 10 jours dans une ville, et je me retrouve constamment en train de zigzaguer entre les fuseaux horaires, dans un état de rêve éveillé. C'est le moteur de ma création », ajoute-t-il au cours de cette conversation qu'il entretient comme un feu de bois, avec un peu d'italien, un peu d'anglais, beaucoup de dialectes métissés. Au fond, c'est ainsi qu'il se révèle, unificateur d'idées et de projets, bâtisseur de familles éparpillées sur la planète, voyageur attaché à la mutation des paysages, designer capable de réconcilier des matériaux opposés, « juste pour expérimenter ».

 

Converser avec le paysage
« Si j'accorde tellement d'importance à mes déplacements, c'est parce que je perçois l'architecture comme une discipline changeante, une conversation avec le paysage, une question d'intégrité et de vérité par rapport au client et son environnement. », souligne Massimiliano Locatelli. C'est précisément cette philosophie qui sous-tend son parcours et sa manière d'envisager un projet à partir de CLS architetti, l'étude qu'il a cofondée en 1993 avec trois autres architectes. Depuis, les commissions s'empilent par centaines, entre du commercial, des espaces de bureaux, des conceptions d'immeubles et du résidentiel. Toutefois, c'est ce dernier pan de sa profession qu'il préfère, et il le justifie ainsi : « L'architecture dans l'absolu représente une responsabilité.

D'autant plus lorsque je conçois le chez-soi de quelqu'un, son intérieur. Je me sens investi d'une tâche éthique, c'est presque comme la haute couture ! » Quelque part, grâce à cette contrainte, l'architecte italien a appris à mixer les arts et les philosophies auxquels il s'est trouvé confronté. Et s'il s'estime ouvert culturellement, son désir est justement de saisir la brèche et de construire un projet autour. Car le personnage s'avère aussi charpenté qu'il peut être badaud, aussi cartésien et enraciné que ses créations sont aériennes. Exemple : « J'étais sur un projet résidentiel pour une princesse vietnamienne qui tenait à avoir sa salle à manger dans son espace de séjour, chose qui n'est pas très commune en Europe. ». Du tac au tac, il choisit de créer plusieurs petites tables que la maîtresse des lieux disperserait dans cet espace puis réunirait en un élément au moment d'un repas. La chose ne s'arrête pas là. « J'avais besoin que l'appartement aux grandes baies vitrées compose avec l'extérieur. En regardant par la fenêtre, j'ai vu le lac de Hanoï et il m'a inspiré ma première Lake Table », se souvient le designer.

 

Le défi de l'église
Inspiré par la typologie de ce lac, Massimiliano Locatelli conçoit une table qui s'esquisse comme une péninsule, avec son bois doux aux échos terriens du Vietnam. Plus tard, cette création à la poésie organique et astucieuse découlera sur une série de trois tables conçues pour la galerie milanaise Nilufar. Telle une géographie pour Lilliputiens, « chacune de ces trois tables représente respectivement, par sa forme et son matériau, un lac d'Italie : le lac de Garde, Trasimeno et Specchio di Venere », précise le créateur. C'est d'ailleurs avec cette volonté de dialoguer avec « tout ce qui (l')entoure » que Massimiliano a installé ses bureaux dans une église baroque du XVIe siècle sur la place Sant'Eufemia à Milan. « Je ne suis pas particulièrement religieux, mais l'histoire qui m'a mené à ce lieu ainsi que les énergies qui m'entourent tous les jours depuis sont hallucinantes. Ce lieu, c'est le paradis ! » avance l'architecte alors que ses yeux s'arrondissent. Il explique : « J'ai eu peur d'être écrasé par le baroque des fresques murales et l'obscurité. En choisissant de respecter l'espace, mais tout en y marquant notre présence, nous avons construit une structure sur quatre étages qui permettrait de placer la cinquantaine d'employés dans des sortes de cubes ouverts où circule la lumière. » Le contraste entre la structure et la mémoire des murs, et ce qui résulte de ce brouillage de frontières, prend la forme d'un dispositif en titane musclé qui semble s'élever vers le ciel, créant une sorte de skyline dans l'église. « Le but de ce lieu est aussi de l'ouvrir au monde en y accueillant dans l'un des espaces des expositions d'artistes, d'architectes », précise Locatelli.

Dans cette optique, pour terminer en beauté, au terme de sa visite à Beyrouth en tant qu'ambassadeur de la troisième biennale de House of Today pour laquelle il a conçu deux tables inspirées par l'architecture de l'église, l'architecte-designer s'enthousiasme : « J'aimerais organiser une exposition de House of Today chez nous, dans l'église à Milan. J'ai eu la preuve que le Liban n'a rien à envier à ce qui se fait à l'international ! »

À avoir croisé ses créations organiques et éthérées dans des grandes foires, en l'occurrence ses Lake Tables qui semblent flotter dans l'air, on s'attendait à tomber sur un dandy rêveur. Ou peut-être un timide, un retenu, un éloigné qui serait resté assis à dérouler le fil de ses songes tel un pêcheur de lune. Et puis, surgi d'une courte nuit sans sommeil, un tourbillon avenant...

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