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Moyen Orient et Monde - Diplomatie

Philippines et États-Unis, ou l’histoire d’une rupture impossible

Depuis son arrivée au pouvoir, le président Rodrigo Duterte multiplie les sorties à l'encontre de son allié historique américain. Mais derrière ce flot de déclarations, force est de s'interroger sur la possibilité d'une rupture.

Le président philippin Rodrigo Duterte lors de sa visite au Japon, le 27 octobre 2016. Kazuhiro Nogi/AFP

À chaque déplacement son lot de répliques incendiaires. Cela doit être la devise du président philippin Rodrigo Duterte. Le 26 octobre, alors qu'il ne s'était pas encore envolé pour le Japon, le leader se lâchait déjà : « Ne faites pas de nous vos chiens », a-t-il déclaré à l'attention des États-Unis. Une nouvelle sortie qui sonne comme un énième coup de massue dans les relations bilatérales.
Alors qu'il annonçait le 20 octobre une séparation avec les États-Unis, l'homme a dû rétropédaler sans pour autant s'arrêter. La cause de ce retournement ? L'ingérence des États-Unis, qui, depuis l'arrivée au pouvoir du leader, ont dénoncé maintes fois les violations des droits de l'homme provoquées par la guerre du gouvernement philippin contre la drogue. Il semblerait que Washington ne soit plus aussi bien accueilli dans le pays. Mais, derrière cette litanie de menaces, il est nécessaire de s'interroger sur les conséquences d'une possible rupture.

 

Guerre des mots
Derrière ce désamour, au caractère quasi obsessionnel, une histoire tout droit sortie d'un journal intime de collégien. Alors étudiant à l'université, le jeune Duterte aurait souhaité rendre visite à sa petite amie, étudiante aux États-Unis. Par peur que le jeune homme décide de s'installer clandestinement dans le pays, le consul américain à Manille aurait alors refusé de lui octroyer un visa touristique. Anecdote ou fruit de son imagination, cet épisode est quotidiennement relaté par le président philippin. Car si même le fils du gouvernement de la province de Davao, une élite en soi, n'arrive pas à se rendre aux États-Unis, qui le peut...
Peut-être est-ce le meilleur exemple du dédain des Américains pour les « sous-hommes » philippins, commente le spécialiste François Xavier Bonnet, chercheur associé à l'Institut de recherche sur l'Asie du Sud-Est contemporaine. Selon ce dernier, le parcours intellectuel du leader joue beaucoup. De tendance socialiste, Rodrigo Duterte a été influencé par deux mentors. Le premier, Jose Maria Sison, fondateur du Parti communiste d'obédience maoïste. Le second, l'historien nationaliste Renato Constantino, ancien diplomate connu pour sa défiance vis-à-vis des partenaires traditionnels des Philippines. Mais aux vues de ces influences, le président Duterte reste avant tout nationaliste et ne saurait fermer les yeux sur les intérêts que lui apporte son partenariat historique.

 

(Pour mémoire : Duterte « divorce » des États-Unis)

 

Rompre soixante-dix ans de relations
Ancienne colonie américaine, les Philippines comptent près de 4 millions de leurs ressortissants sur le territoire américain. Pour M. Bonnet, les conséquences d'une rupture seraient de fait « dramatiques ». En première ligne, les centres d'appels téléphoniques. Ce secteur mobilise près d'un million de Philippins, dont 70 % travaillent pour des entreprises américaines. Près de 220 000 citoyens américains résident aux Philippines, dont une importante part de vétérans. Les Philippines restent également une destination touristique majeure pour les Américains avec environ 650 000 de visiteurs chaque année.

Le tableau militaire est tout aussi risqué. Troisième bénéficiaire de l'aide américaine en Asie, après l'Afghanistan et le Pakistan, les Philippines n'ont pas coupé le cordon ombilical avec les États-Unis depuis leur indépendance en 1946. Avant l'arrivée de Rodrigo Duterte au pouvoir, le pays était un allié-clé de Washington dans ses déploiements maritimes en Asie du Sud-Est, notamment dans les conflits en mer de Chine. Perdre l'allié philippin entraînerait la perte d'un rempart à l'expansion chinoise. Si la présence de troupe permanente cesse en 1992, le précédent président Noynoy Aquino n'accepte pas de couper les liens et signe un traité d'amélioration de la coopération militaire (Enhanced Defense Cooperation Agreement/EDCA) permettant une présence militaire « limitée et temporaire ». Il y a quelques mois encore, les États-Unis envisageaient le développement de cet accord par la création de cinq bases militaires permanentes.

 

Au-delà du populiste, le stratège
Les Philippins, loin des diatribes de leur président, ne comptent pas renier l'allié traditionnel. Élu à 39 % des électeurs (soit 16 millions sur 54), ce président minoritaire a fondé sa campagne sur l'insécurité et la lutte contre la drogue, balayant toute proposition en matière de politique étrangère. Pour 66 % de la population, l'allié américain est, et restera, le protecteur naturel, affirme le chercheur.
Réelle stratégie, ou tentation surenchériste, Rodrigo Duterte pourrait être, d'après François Xavier Bonnet, un « remarquable pragmatique ». En mettant en avant la possibilité d'un revirement diplomatique, le leader pousse la Chine à investir davantage. Une stratégie qui demeure néanmoins maladroite car « entre ses souhaits et la réalité, il y a un fossé : même si l'on va entendre de nombreuses insultes contre les États-Unis par Duterte durant les six ans de son mandat, il n'y aura pas de rupture diplomatique », avance M. Bonnet. D'après ce dernier, le président Duterte opérerait seulement un rééquilibrage vers la Chine, ainsi que d'autres pays asiatiques comme le Japon et l'Inde.

 

 

Pour mémoire

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