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Lifestyle - Hommage

Charles Corm, le visionnaire

Il fut à la fois un homme d'affaires accompli, même si à contrecœur, un poète, un militant, un patriote nostalgique et avant-gardiste. Charles David Corm a gardé son empreinte dans des univers différents qui dessinent la vision, encore d'actualité, d'un grand mécène.
L'homme était un illuminé, dans le sens le plus noble. À la fois impatient, pressé de faire, et serein devant l'éternité. Les pieds sur terre, la tête dans les nuages, décidé à décrocher les étoiles. Un de ces êtres rares qui passent dans une existence pour ne jamais vraiment en repartir. Il a, certes, laissé pour héritage ses nombreux écrits réunis en 10 volumes de poèmes, La Montagne inspirée, La Revue Phénicienne, une pensée d'un monde plus généreux, d'un État plus libre. Charles Corm était également un grand homme d'affaires autodidacte qui a introduit au Liban les voitures Ford, mais aussi une manière nouvelle et moderne de travailler. Un « original », certains diront même excentrique, qui n'en faisait qu'à sa tête jusqu'à ériger en 1929, selon ses propres plans, le premier gratte-ciel du Proche-Orient, où il installe ses bureaux et salle d'exposition, avant d'en faire sa maison, sur un terrain situé à la croisée de ses nombreuses succursales. Sa vie fut tellement intense, riche en rencontres, défis, en poèmes, qu'elle en devient ainsi des existences multipliées à l'infini, avec des anecdotes, des histoires et des souvenirs étonnants. Et aussi une légende.

L'aventurier
Les témoignages se font nombreux pour parler de l'enfant poète, élève des jésuites de 1906 à 1911, inspiré dès son plus jeune âge, raflant les premiers prix dans toutes les matières littéraires et jusqu'au Prix d'honneur de philosophie qu'il obtient en même temps que son baccalauréat le 14 juillet 1911, au même titre que Michel Chiha et Béchara el-Khoury. À peine avait-il fermé cette première parenthèse qu'il embarque six mois plus tard à bord de l'Olympic, pour une longue croisière qui va le mener vers les États-Unis, alors le pays de toutes les possibilités. Déterminé jusqu'à l'entêtement, le jeune adolescent apprendra le bon anglais et surtout l'accent américain en revoyant la même pièce de théâtre tous les soirs, à New York, pendant un mois ! Pour rencontrer le célèbre constructeur de voitures Henri Ford, car il voyait l'avenir et la modernité prendre de la vitesse, il s'installe face à la secrétaire récalcitrante, un jour, puis un autre... Une vingtaine de visites plus tard, lorsqu'elle cède l'espoir d'un impossible rendez-vous à ce jeune homme obstiné et charmant, Ford, intrigué, accepte de le rencontrer. « C'est où le Liban ? lui demandera-t-il. Avez-vous des routes ? » « Nous en construirons », réplique Charles, avec un charisme hors du commun. Ce qu'il ne manquera pas de faire...

Dualité
La collaboration entre ces deux têtes aura lieu quelques années plus tard. En attendant, Charles Corm rentre au Liban, à la veille d'une Première Guerre mondiale qui augurait du pire. Les affaires patienteront. Les travailleurs et les agriculteurs, la famille et le pays ont besoin de son aide. En 1915, il fonde et dirige « La Maison d'Art » à Bab Idriss, spécialisée dans la vente de fournitures de bureau et matériel de peinture. C'était également le premier magasin à vendre des appareils photo et des machines à écrire, et la première entreprise à faire de la publicité, on appelait cela une réclame, qui paraît dans les pages de L'Orient. L'année suivante, pour remonter le moral des amis, il crée « Les Tréteaux libanais », où il fait jouer et joue des pièces de théâtre en français. En 1918, la grande famine sévissant au Liban, et toujours dans un élan de générosité patriotique doublée d'une vision, il organise et gère la direction du Ravitaillement civil de Beyrouth, sous contrôle français. L'année suivante, enfin, il fonde la Revue Phénicienne et l'Association nationale de la jeunesse libanaise, étendards pacifistes sous lesquels il va se battre jusqu'à son dernier souffle, son dernier mot, pour l'indépendance du Liban.
1920, l'heure du business sonne. Le citoyen reconverti en homme d'affaires crée la Société générale industrielle et commerciale Charles Corm et Cie. Il obtient la représentation des voitures et tracteurs Ford qui lui sont expédiées en pièces détachées et qu'il se charge de monter au Liban. Il vend des milliers de voitures par an entre le Liban, la Syrie et la Palestine. Dans les différents bureaux situés dans ses 34 succursales, un dictaphone se charge d'enregistrer le courrier qu'il laisse aux secrétaires. Il demande des études de marché, également une première, à une société anglaise. Charles Corm, qui travaille « à l'américaine », n'a pas de temps à perdre, s'insurgeant contre le fameux time is money, lui préférant le plus majestueux time is life. Lui qui n'a jamais conduit, ce qui est assez étrange pour un si grand concessionnaire de voitures, il sillonne avec son chauffeur les routes du Proche-Orient, faisant le tour de ses bureaux ! Durant de longues nuits, il dort enroulé dans une couverture à l'arrière de son auto, pour enchaîner avec une réunion de travail le lendemain à 8 heures du matin. Les jours de voyage, il passe des heures à écrire, sans aucune rature, partout, sur des bouts de papier, des feuilles d'emballages de cigarettes, savourant le silence de ces moments qui lui permettent de suspendre, pour quelques instants, sa course effrénée. Ses archives personnelles regorgent de ces pièces d'anthologie.

L'arrêt brutal
Le jour de ses 40 ans, alors que sa secrétaire lui rappelle son anniversaire, et comme il n'avait cessé de le dire, il décide de tout arrêter pour reprendre des activités plus littéraires et sociales. « Entêtement du poète qu'il n'a jamais cessé d'être », diront ses proches, ou fidélité à une certaine idée de la vie, Charles Corm distribue en cette matinée du 4 mars toutes ses agences et représentations commerciales à ses collaborateurs méritants et s'en va, heureux, profiter de l'existence et reprendre sa quête d'absolu. La salle d'exposition est fermée, les pièces de rechange stockées dans son autre vie.
Deux ans plus tard, lors d'une soirée au Grand Hôtel de Sofar réunissant la belle société libanaise et à leur tête le président Émile Eddé, et suite à l'idée lancée par Raymond Eddé d'élire une Miss Liban, un jury dont il fait partie s'improvise sur-le-champ, les plus belles filles du Liban étant présentes ce soir-là, pense-t-il. Samia Baroody remporte la couronne et séduit le célibataire pas encore endurci. Partie à Bruxelles pour le concours de Miss Monde avec une délégation composée des trois compères, elle en revient première dauphine et... amoureuse. Quelques mois plus tard, elle remporte surtout le titre de Madame Corm.
La vie de Charles Corm sera dès lors entièrement consacrée à l'écriture et à la promotion du Liban à l'étranger. « Je voudrais, disait-il, réveiller l'art dans ce pays. » En 1939, à l'Exposition universelle de New York, il construit à ses propres frais le pavillon libanais et l'inaugure. Ce qui lui vaut d'être décoré de la médaille d'or de la ville. C'est dans son étrange et très moderne maison, qui éclaire jusqu'à aujourd'hui la région du Lycée français par sa présence singulière, que Charles Corm écrit ses plus beaux ouvrages poétiques, entouré de sa femme et de ses enfants, David, architecte, Hiram, ingénieur civil, Virginie, designer de bijoux, et Madeleine, architecte d'intérieur. Il écrit la nuit, dort le jour, dissimulé derrière d'épais rideaux noirs qui alimenteront sa légende d'excentrique. Il meurt en septembre 1963 à 68 ans. « Une année chez lui en valait dix chez le commun des mortels... » soulignent ses amis. Il sera enterré dans un cercueil... en acier, acheté trente ans plus tôt, lors d'un de ses voyages aux États-Unis et importé au pays. Il repose près de son ami Raymond Eddé au cimetière de Ras el-Nabeh.
La veille de sa mort, et comme éclairé par l'imminence du grand départ, il rédige Le testament retrouvé près de son lit. Extrait : « Je m'en vais malgré moi, sans peur, mais non sans peine ; Adieu ma femme, adieu mes enfants, mes amis ! N'en pleurez pas. Depuis que mon cœur se démène, la paix et le repos me sont enfin permis !... Je ne veux point de faire-part, de funérailles ; pas de fleurs ni d'encens, de cierge ou de flambeau ; Mais que seul le silence, après tant de batailles qu'il m'a fallu subir, veille sur mon tombeau. »
Un grand homme s'en est allé avec élégance et poésie. Laissant à ses enfants le soin de conserver sa flamme illuminée pour l'éternité. « Je me sens le devoir de poursuivre son combat, conclut David Corm, et, à ma façon, poser une pierre à l'édifice du Liban. »

L'homme était un illuminé, dans le sens le plus noble. À la fois impatient, pressé de faire, et serein devant l'éternité. Les pieds sur terre, la tête dans les nuages, décidé à décrocher les étoiles. Un de ces êtres rares qui passent dans une existence pour ne jamais vraiment en repartir. Il a, certes,...

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