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Culture - Exposition

Rached Bohsali : J’ai une cause et c’est mon pays...

Cinquante-neuf ans et une allure de jeune homme. Rached Bohsali, de son métier d'architecte qu'il a un peu mis sous le boisseau pour diverses raisons, a gardé pour ses toiles le sens du détail et la rigueur de la composition. Tournée citoyenne à travers l'art à la Galerie Janine Rubeiz.

Pour Rached Bohsali, la peinture n’est pas un passe-temps ludique. Elle est action et présence.

Une vingtaine d'œuvres (de dimension allant de 2,20 x 1,60 m à 20 x 30 cm), acrylique, encre et traits aux « bic », attestent d'une inspiration fondamentalement et farouchement nationaliste. L'hyperréalisme au service d'un pays et d'une cité en perdition, dérive et dislocation. « La peinture, un acte de survie, de résistance. » Dixit l'artiste.
Crâne rasé comme Tarass Boulba, barbe aux poils blancs de quelques jours, baskets, jeans, tee-shirts, lunettes de myopie accrochées par une lanière au cou et gourmettes en cuir et métal au poignet, Rached Bohsali n'est plus cet aquarelliste aux paysages tendres. Plus de croissant de lune, plus de nuit veloutée, plus de minarets, plus de transparence pour les cafetières aux arômes à la cardamome... Presque un quart de siècle le sépare de son univers doux et calfeutré. Et brusquement c'est un vent d'esbroufe, de révolte, de jactance, d'amère lucidité, de demande de comptes, de rappel et de besoin à l'ordre...
Plus de douze ans qu'il n'a plus exposé, l'artiste. Il y a des périodes où la vie va mal et fait mal. Alors on rentre dans sa coquille et on attend le moment d'être mieux. Pour soi et pour les autres. Mais entre-temps, le dialogue avec la toile n'a jamais cessé pour autant. Comme un journal où on note ses pensées, ses impressions, où sur des pages blanches on se confesse, on reconstruit le monde, on le juge, on le scanne, on le pèse, on le soupèse. On le réinvente pour mieux y vivre...

Bois, barbelés et cailloux
Son univers aujourd'hui sur les cimaises est limité d'emblée, avec barbelés, bout de bois d'arbre fendillé et des cailloux. Dans un (hyper)réalisme qui fait ressortir, dans toute leur ambiguïté, ces objets anodins, mais « décor et cadre familier de notre quotidien », souligne l'artiste. Comme une barrière à la vie, comme un interdit à ce qui est normal et usuel, ces éléments baignent sur un fond coloré, presque fantaisiste et diffus. Avec des bandes et des plages, dérisoires stèles nées de l'imaginaire, où se bousculent taureaux et chevaux. « Les taureaux, c'est le symbole de la liberté et les chevaux, c'est la fuite. Et c'est notre état d'esprit. Nous sommes dans ce ballottement et cette incertitude. Aujourd'hui, pour moi, peindre c'est un acte de survie, de résistance. À la mort, aux choses qui m'assaillent et m'envahissent... » Déclaration simple, mais incendiaire.
Pour cette vague de contestation, de prise de conscience, de revendication, de ras-le-bol et de sursaut qui saisit la palette et le pinceau de l'artiste, qui dit en passant rester quand même fidèle à l'aquarelle (« regardez comme mon acrylique est diluée ! » lance-t-il au milieu de la conversation), l'inspiration fait feu de tout bois. La rue et ses graffitis (Oum Kalsoum qui chante Bouss el-wawa : quelle décadence ! Et danse !) les journaux et leurs titres absurdes : pas de gouvernement, pas de président, on refuse tout renversement... Miteux extraits d'une presse caduque gardée pour nettoyer les vitres, le parquet ou emballer des bricoles. Et qu'on regarde avec effarement et consternation. Ineptie d'une situation vaine et dangereuse. Et que l'artiste reproduit dans une calligraphie étonnante, plus claire et belle que l'imprimerie. Quelle patience et quel labeur. Voilà un tour de force insoupçonné de l'art, qui cache soigneusement ses coutures secrètes, ses plis, replis, doublures et surtout son savoir-faire et sa technique.

La bouche est un abîme...
Mais il n'y a pas que ça dans cette expo bicéphale. Si les tableaux ont des aspects pimpants dans leurs joyeux coloris, la galerie de portraits et de visages en noir, comme un clin d'œil à Archimboldo sans le recours aux légumes, est un témoignage caricaturé, amusant mais quand même émouvant des Libanais. De leurs souffrances, de leurs rides (innombrables et la chirurgie n'y changera rien !) et de leurs appartenances communautaires.
Avec une vidéo de 15 minutes (une musique signée Charbel Rouhana) où s'agglutinent et se tassent les visages comme des pigeons dans un pigeonnier, tandis que volette une colombe, otage sans doute de ses illusions et de sa paisible détermination...
Féru de Dali (bonjour l'hyperréalisme), de Bosch (cette déclinaison à croquer la vie dans ses aspects les plus insolites), de Munch et de Bacon (peur des lendemains), les traits se tirent, le vide donne le vertige, le cri s'effile, la bouche est un abîme où l'angoisse pointe et domine...
La vision de ce que les Libanais et l'Orient vivent est certainement objet de récrimination et de dénonciation. La peinture, ici, n'est pas un passe-temps ludique. Encore moins source décorative ou mondaine. Elle n'est pas non plus simple espace de défoulement. Elle est action et présence.
« J'ai une cause et c'est mon pays, confie Rached Bohsali, sans l'ombre d'une forfanterie. Et c'est la cause de n'importe quel Libanais... »

« Beyond Realism » (Par-delà le réalisme) de Rached Bohsali, à la Galerie Janine Rubeiz, se prolongera jusqu'au 26 mai courant.

Une vingtaine d'œuvres (de dimension allant de 2,20 x 1,60 m à 20 x 30 cm), acrylique, encre et traits aux « bic », attestent d'une inspiration fondamentalement et farouchement nationaliste. L'hyperréalisme au service d'un pays et d'une cité en perdition, dérive et dislocation. « La peinture, un acte de survie, de résistance. » Dixit l'artiste.Crâne rasé comme Tarass Boulba, barbe...

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