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Moyen Orient et Monde

Nous sommes en guerre

Lorsque Paris est attaqué comme il l’a été vendredi dernier, on doit parler de guerre. Personne ne souhaite répéter les erreurs des États-Unis lors du mandat du président George W. Bush ; mais faire de ces erreurs l’alibi qui nous permettrait d’éviter la confrontation avec le monde tel qu’il est aboutirait tout simplement à un autre genre d’erreur, estime Dominique Moisi. Photo Reuters

Depuis les attaques terroristes de janvier contre le magazine satirique Charlie Hebdo et contre un supermarché kasher, les Parisiens savaient que la barbarie guettait au coin de la rue et qu'elle frapperait à nouveau. Mais c'est une chose de savoir, et de s'attendre au pire, c'en est une autre d'y être confronté dans la sombre réalité. Vendredi soir, la réalité nous a frappés de toute sa force. Nous sommes en guerre. Nous aurions tort de ne pas l'admettre – ce serait même dangereux. Et pour gagner, la clarté, l'unité, la fermeté sont indispensables.
La clarté dans l'analyse est aujourd'hui ce dont nous avons le plus besoin. Nous connaissons à peine notre ennemi, hormis l'intensité de sa haine et la profondeur de sa cruauté. Pour comprendre sa stratégie, nous devons le reconnaître pour ce qu'il est : un adversaire intelligent et – à sa manière – rationnel. Depuis trop longtemps, nous le méprisons et le sous-estimons. Il est urgent que nous changions de cap. Au cours des dernières semaines, la stratégie de terreur de l'État islamique a semé la mort dans les rues d'Ankara, de Beyrouth, de Paris et dans le ciel du Sinaï. L'identité des victimes ne laisse aucun doute sur le message. « Kurdes, Russes, chiites libanais, Français : vous nous attaquez, nous vous tuerons. »
Le calendrier des attaques est aussi significatif que la nationalité des cibles. Plus l'État islamique essuie des défaites sur son sol ou perd le contrôle de territoires conquis en Syrie et en Irak, plus il est tenté d'externaliser la guerre pour décourager de nouvelles interventions. Ainsi, les attaques synchronisées de Paris coïncident-elles avec la perte de la ville irakienne de Sinjar. Certes, la cellule terroriste qui a frappé Paris n'a pas été montée au lendemain des derniers retraits de l'État islamique sur le champ de bataille. Elle était déjà en place, attendant (comme d'autres peut-être) qu'on l'active. Cela démontre la flexibilité tactique de l'État islamique, qui dispose de personnes prêtes au suicide. Si l'État islamique a choisi cette fois, à Paris, de prendre pour cibles des gens qui ne sont ni caricaturistes, ni policiers, ni juifs, c'est précisément parce que leur « banalité » les laisse sans protection. Cette fois, les attaquants ont privilégié la « quantité » sur la « qualité » (si l'on peut passer des termes aussi crus). Le but était de tuer le plus de gens possible.
Cette stratégie n'est tenable que parce que le territoire qu'il contrôle fournit à l'État islamique un sanctuaire et un terrain d'entraînement. Les territoires du califat autoproclamé sont pour lui ce que l'Afghanistan sous contrôle taliban était dans les années quatre-vingt-dix pour el-Qaëda. Nous devons absolument lui reprendre ce territoire. Et la destruction des « provinces » de l'État islamique en Libye, dans le Sinaï et partout ailleurs doit devenir pour la communauté internationale la priorité des priorités. Outre la clarté que l'analyse doit dégager, il faut l'unité, et tout d'abord en France, où les citoyens rejetteraient leur classe politique si ses membres devaient persister, à un tournant historique aussi décisif, dans leurs divisions.
L'unité doit aussi être faite en Europe. On nous répète que l'Europe est en pleine crise d'identité et qu'elle a besoin d'un nouveau projet. Eh bien, l'Europe en a trouvé un. Être européen, cela signifie affronter ensemble le fléau de la barbarie, cela signifie défendre nos valeurs, notre mode de vie, notre façon de vivre ensemble, malgré nos différences. L'unité est également nécessaire dans l'ensemble du monde occidental. La déclaration du président Barack Obama après les attaques de Paris montre que ce qui réunit l'Europe et les États-Unis a bien plus d'importance que ce qui nous divise. Nous sommes dans le même bateau, faisons face au même ennemi. Et cette conscience de l'unité doit s'étendre au-delà de l'Europe et du monde occidental, car l'État islamique menace des pays comme l'Iran et la Russie, sans parler de la Turquie, tout autant – sinon plus – que l'Occident.
Certes, nous devons être réalistes. Notre alliance de circonstance avec ces pays ne résoudra pas tous les problèmes entre eux et nous. C'est pour cela qu'outre la clarté, outre l'unité, nous avons besoin de fermeté, tant pour affronter la menace de Daech que pour défendre nos valeurs, plus particulièrement le respect de l'État de droit. L'État islamique attend de nous que nous associions la lâcheté à une réaction excessive. Son ambition suprême est de provoquer un choc des civilisations entre l'Occident et le monde musulman. Nous ne devons pas tomber dans le piège qui nous est tendu.
Mais la clarté prime. Lorsque Paris est attaqué comme il l'a été vendredi dernier, on doit parler de guerre. Personne ne souhaite répéter les erreurs des États-Unis lors du mandat du président George W. Bush ; mais faire de ces erreurs l'alibi qui nous permettrait d'éviter la confrontation avec le monde tel qu'il est aboutirait tout simplement à un autre genre d'erreur. La réponse de l'Europe doit être implacable, mais ne doit pas dévier des principes de l'État de droit. Car nous sommes, malgré tout, engagés dans une bataille politique avec l'État islamique, une bataille où notre amour de la vie doit prévaloir sur leur amour de la mort.

Traduction François Boisivon
© Project Syndicate, 2015.

Depuis les attaques terroristes de janvier contre le magazine satirique Charlie Hebdo et contre un supermarché kasher, les Parisiens savaient que la barbarie guettait au coin de la rue et qu'elle frapperait à nouveau. Mais c'est une chose de savoir, et de s'attendre au pire, c'en est une autre d'y être confronté dans la sombre réalité. Vendredi soir, la réalité nous a frappés de toute sa...

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