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Culture - Exposition

Comment faisait-on pour noter l’intime quand Internet n’existait pas ?

Ni journal personnel, ni carnet d'adresses, ni cahier de croquis, ni grimoire, mais un peu de tout cela à la fois : le Little Black Book revient à la page...

Les restaurants favoris de la tisserande Dorothy Liebes.

En ces temps de communication digitale, que restera-t-il de ces petites et grandes choses d'une vie qui sont tantôt sauvegardées, tantôt effacées sur la multitude de nos écrans ? Une question qui ne se posait pas avant l'ère dot.com. Plus précisément, celle des Little Black Books ou LBB qui, aux USA, désignent des carnets noirs, mi-agenda, mi-journal intime, sur lequel on jetait, noir sur blanc, des rappels, des impressions, des rencontres et autres détails professionnels. Ainsi, ils étaient mémorisés d'une façon presque indélébile.
Après avoir feuilleté ceux des célébrités, le musée des Archives d'art du Smithsonian en a fait l'objet d'une exposition, pour l'éclairage qu'ils portent sur certains aspects de la personnalité de leurs propriétaires. Il nous invite à plonger dans les annotations privées et parfois énigmatiques d'artistes modernistes américains du siècle dernier: notamment les peintres Jackson Pollock et son épouse Lee Krasner, Ad Reinhardt, Palmer Hayden, Walt Kuhn, Henry Ossawa Tannerle, le sculpteur Joseph Cornell, «la mère du tissage moderne» Dorothy Liebes et la lithographe Bernarda Bryson. Leurs livrets sont placés sous verre et sont accompagnés d'amples explications.
À propos du titre de l'exposition, Little Black Books, sa curatrice Mary Savig donne la précision suivante: «Il peut sembler provoquant pour une certaine génération, car dans la culture pop, Little Black Book réfère à une compilation de relations amoureuses. Nous avons demandé à des personnes, nées dans les années 90, ce que signifiait, pour elles, cette appellation. Leur réponse: ils n'en ont jamais entendu parler. En réalité, à travers les spécimens que nous présentons, nous allons beaucoup plus loin que la connotation romantique. »

À la manière des réseaux sociaux...
Ces carnets, évoquant d'une manière inattendue des noms connus, sont dans la veine des enregistrements de témoignages historiques, des croquis et des photographies en possession de ce musée. Ces sources, basiques en quelque sorte, offrent un rare aperçu de la vie quotidienne des artistes et de leurs connexions. Et un portail ouvrant sur un temps où les informations privées étaient transcrites sur un modeste carnet, non sécurisé, souvent aux pages écornées que l'on transportait partout. Où l'on inscrit en abrégé les faits, les sentiments et les pensées les plus intimes, les plus mystérieuses qu'on ne veut pas oublier. Ainsi, peuvent être répertoriées, entre autres, une liste des amours cachés, celles des noms des clients d'un magnat des affaires ou même un langage codé.
Chacun son style. La tisserande Dorothy Liebes avait opté, par exemple, pour le classement par ordre alphabétique et le peintre Jackson Pollock se laisse lire... comme un livre ouvert. On retrouve chez ce dernier une énumération prévisible des personnes qu'il fréquentait, dont les peintres de l'expressionnisme abstrait Mark Rothko et Helen Frankenthaler, ou le critique Clément Greenberg. Mais on y déniche également l'identité de ses médecins : une psychothérapeute et un homéopathe qui traitaient l'artiste pour son alcoolisme. Autre trouvaille surprenante : deux noms indiens, Vashi et Veena. Qui se sont avérés appartenir à deux danseuses indiennes accompagnant son ami le peintre Emerson Woelfer, venu un jour lui rendre visite.
Les LBB peuvent aussi faire un pied de nez aux chercheurs, les laissant sur leur soif. Lorsque, par exemple, l'une des figures de proue de l'art féministe, Lucy Lippard, parle de ses proches (amis et famille) ou de ses connaissances occasionnelles, le lecteur n'arrive pas à déterminer, en parcourant son inventaire, quels êtres l'ont plus marquée que d'autres.
À noter que l'idée de cette exposition est venue à sa curatrice, Mary Savig, lors d'une conférence à Paris et qui portait sur l'œuvre intitulée Le carnet d'adresses (1983) de l'artiste plasticienne Sophie Calle. Celle-ci ayant trouvé un carnet d'adresses dans la rue a contacté les noms mentionnés, afin de dresser par ce biais le portrait du propriétaire de ce carnet. Ce qui a alors poussé la curatrice américaine à rechercher les connexions qui pouvaient exister entre les gens regroupés dans un même Little Black Book. À la manière de Facebook.

En ces temps de communication digitale, que restera-t-il de ces petites et grandes choses d'une vie qui sont tantôt sauvegardées, tantôt effacées sur la multitude de nos écrans ? Une question qui ne se posait pas avant l'ère dot.com. Plus précisément, celle des Little Black Books ou LBB qui, aux USA, désignent des carnets noirs, mi-agenda, mi-journal intime, sur lequel on jetait, noir...
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