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Culture - Rencontre

Mouna Bassili Sehnaoui (se) libère (de) ses peintures de guerre

Une rétrospective couvrant plus de quatre décennies de peinture et un livre, tous deux intitulés « Survivre »... À travers cette double présentation, sur cimaises* et sur papier glacé, de quelque 70 œuvres dont elle n'avait jusqu'à présent jamais voulu se séparer, Mouna Bassili Sehnaoui livre sa traversée picturale des années de guerre. Et libère des souvenirs doux-amers de moments qu'elle voudrait ne jamais voir se reproduire...

En couverture du livre, « Furn Sainte-Rita », une gouache sur papier de 1982.

De 1969 à 2014, Mouna Bassili Sehnaoui n'a cessé de peindre ce qu'elle avait très tôt pressenti : l'éclatement du Moyen-Orient, à commencer par l'embrasement du pays du Cèdre.
« Après la guerre de 1967, j'ai eu comme la prémonition que la région allait se déchirer, que plus rien ne serait comme avant », confie l'artiste en pointant du doigt une eau-forte représentant un corps démembré qui ouvre son exposition Survivre à la galerie Aïda Cherfan (ainsi que le livre, éponyme, édité par Antoine). Une œuvre datée de 1969 et qui, paradoxalement, semble être la plus (explicitement) sombre, la plus violente de toutes celles qui suivront. Lesquelles auront pourtant été quasiment toutes réalisées durant les années de guerre. Et d'attentats.
Ce qui frappe, de prime abord, lorsqu'on parcourt l'accrochage des peintures de cette artiste, c'est la sensibilité, l'empathie de son regard posé sur tout ce (et ceux) qui l'entoure. Elle a de la tendresse plein les yeux, Mouna Bassili Sehnaoui. Tendresse pour ce petit pays auquel elle appartient, et surtout, pour ses citoyens ordinaires, héros silencieux d'un quotidien déformé par les bombardements, les combats et les conflits multiformes...

Chroniques picturales
Cette réceptivité aux autres lui a permis de capter, puis de synthétiser sur toiles, à la manière de « chroniques » visuelles, les petites histoires de la vie (de l'amour aussi) en temps de guerre. Des histoires de francs-tireurs aux aguets, de séparations familiales, de deuils, d'exil, de maisons abandonnées, de destins fracassés... Des récits qu'elle va, paradoxalement, représenter au moyen d'un graphisme faussement naïf, inspiré de celui des miniatures persanes, et d'aplats (façon peinture d'icônes) de couleurs vives, gaies et fraîches.
« Je ne voulais pas verser dans le tragique et le noir à la Goya, je pense qu'on peut peindre aussi la guerre autrement », affirme-t-elle. Autrement que des champs de bataille et des cadavres jonchant le sol. En évoquant, par exemple, la tristesse d'un peuple séparé par des combats fratricides au moyen d'un face-à-face (sur diptyque) de deux oudistes absolument similaires. En dépeignant la solitude des femmes, qu'elles soient veuves de guerre ou (grands-)mères restées au pays, par le biais de subtiles allusions, comme cette aquarelle représentant une vieille dame assise à la fenêtre de sa maison aux murs criblés de balles, tentant de lire à la lumière du jour une lettre reçue de ses enfants à l'étranger... En symbolisant l'arrachement au cercle familial, à la terre, aux traditions de toute une génération dans une série, hypercolorée, intitulée Génération Sneakers mettant en parallèle des tapis persans enroulés dans un coin et des baskets jetés négligemment à côté. En figurant aussi le danger et le risque dissimulés dans n'importe quelle activité du quotidien, comme dans la toile intitulée Furn sainte Rita laissant deviner, entre ses différents niveaux de couleurs vives, une silhouette humaine projetée par l'éclat d'un obus... Et puis en introduisant dans ses tableaux quelques notes d'ironie (dans ses évocations des politiques surtout), une bonne dose de poésie, mais aussi ses espoirs et rêveries (d'une douceur et d'une convivialité retrouvées), Mouna Bassili Sehnaoui tenait (parfois) à distance l'angoisse de ces jours de violence.

À la façon de Antar
« J'essayais de représenter des scènes pouvant me replonger dans un semblant de normalité : les fleurs de mon balcon, le vendeur de jus sur la corniche, la simplicité de nos mezzés, le café partagé, le retour de l'oiseau du bonheur... Ainsi que toutes les évocations des splendeurs de cette région à la civilisation millénaire qui partait – et continue de partir – en fumée », confie l'artiste. Et d'ajouter : « J'espérais, ainsi, que toute cette violence vécue durant ces années funestes ne soit qu'un récit de troubadour, comme celui de Antar racontant des histoires du passé. »
Gouaches, aquarelles, acryliques... La majorité des œuvres accrochées auront été réalisées avec ces techniques qui sèchent vite. Et que Mouna Bassili Sehnaoui a naturellement privilégiées au cours de ces années de bombardements, de déplacements impromptus, de nuits et de jours passés dans des abris de fortune. Les huiles viendront plus tard. Les grands formats aussi. Une fois la guerre officielle terminée. Comme ces deux grandes huiles, réalisées en 2014, confrontant, dans un diptyque allégorique, notre statue des Martyrs et celle de la Liberté... « La première est le symbole de tout le sang versé dans ce pays et c'est vers la seconde que se dirigent, en flux réguliers, nos jeunes qui quittent leurs familles », déplore-t-elle avec tristesse. Ou cette toute dernière œuvre intitulée al-Saï qui, malgré ses formes géométriques éclatées, dont celles d'un oud défragmenté, est dédiée à cette inlassable quête de raisons d'espérer, dans ce Moyen-Orient déchiqueté.
« Ce sont des tableaux que je n'avais, pour la plupart, jamais montrés. Je voulais les garder chez moi, parce qu'ils expriment, pour moi, des moments spéciaux. J'ai choisi de les libérer après les avoir regroupés dans un livre pour raconter, à ma manière, avec des bribes de mes souvenirs, cette période de notre histoire. Et laisser ainsi une trace aux générations futures, pour leur dire qu'il vaut mieux privilégier la conversation plutôt que la confrontation », conclut Mouna Bassili Sehnaoui.
Une initiative qui tombe à pic en cette quarantième année du déclenchement de la guerre libanaise. À découvrir jusqu'au 25 juin, à la galerie Aïda Cherfan, ou dans l'album Survivre, à l'avant-propos qu'a signé notre collègue Fifi Abou Dib, disponible à la librairie Antoine.

*Antélias. Horaires d'ouverture : du lundi au vendredi, de 10h à 18h ; samedi de 10h à 13h. Tél. : 04/444111-222.

 

Clefs des songes

Les toiles de Mouna Bassili Sehnaoui, à la veine figurative contemporaine, condensent, au moyen de multiples scènes parsemées de personnages, figures et symboles récurrents, plusieurs espaces-temps. Un langage pictural singulier dont voici quelques clés d'interprétation :
L'oiseau : messager de paix.
Le oud : la douceur, la tendresse aussi de l'Orient.
Les tulipes normales : l'espoir.
Les tulipes à l'envers : elles représentent, aux yeux de l'artiste, la mort.
La main : paume ouverte vers le ciel, c'est la main qui prie et qui supplie.
Les palmiers : désirs secrets, « comme dans les tapis caucasiens ».
La cafetière : c'est ce qui symbolise la différence entre l'Orient et l'Occident. L'esprit collectif de la « rakoué » contre l'individualisme de l'« unidose ».

 

Graphisme patriote

En charge du département d'art graphique du Conseil national libanais du tourisme dans les années soixante, c'est Mouna Bassili Sehnaoui qui a dessiné en 1967 le logo du ministère du Tourisme. Ce fameux Loubnan en lettres arabes stylisées a l'élégance toujours actuelle, près d'un demi-siècle plus tard...

De 1969 à 2014, Mouna Bassili Sehnaoui n'a cessé de peindre ce qu'elle avait très tôt pressenti : l'éclatement du Moyen-Orient, à commencer par l'embrasement du pays du Cèdre.« Après la guerre de 1967, j'ai eu comme la prémonition que la région allait se déchirer, que plus rien ne serait comme avant », confie l'artiste en pointant du doigt une eau-forte représentant un corps...

commentaires (1)

TRÈS BEAU, C'EST DU VRAI...BRAVO ET MERCI

Gebran Eid

12 h 56, le 13 juin 2015

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Commentaires (1)

  • TRÈS BEAU, C'EST DU VRAI...BRAVO ET MERCI

    Gebran Eid

    12 h 56, le 13 juin 2015

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