Une fois de plus, les yeux se tournent vers le nord de la Syrie. L'incursion militaire turque destinée à déplacer les restes de Soulaïman Shah, ancêtre du fondateur de l'Empire ottoman, le sultan Osman (pour l'installer sur un autre territoire syrien, dans un village à la frontière turque, violant ainsi doublement la souveraineté syrienne), ouvre de nouveau les dossiers jamais totalement fermés de la bataille qui se joue autour d'Alep et des relations entre la Syrie et la Turquie. Depuis le début de 2015, la région autour d'Alep, ce qu'on appelle le rif, connaît un regain d'opérations militaires qui en disent long sur l'enjeu essentiel que représente cette région à la fois pour la Syrie et pour la Turquie. À mesure que se précisaient les informations faisant état de la détermination du régime syrien à fermer totalement l'étau autour d'Alep, et plus particulièrement autour de l'important quartier qui est encore aux mains du Front al-Nosra, où cette formation a des milliers de combattants, les forces de l'opposition ont tenté un assaut visant à s'emparer des localités chiites d'al-Nouboul et al-Zahra (au total 60 000 personnes), dans le rif d'Alep, croyant qu'après un encerclement de trois ans, il serait facile de les occuper et de procéder à des massacres qui auraient un impact direct sur le moral des forces du régime et sur l'axe dit de la résistance. L'assaut n'a pas seulement échoué, il a aussi permis aux forces du régime, aidées par des combattants du Hezbollah, de desserrer l'étau qui encercle al-Zahra. Certes, les deux localités n'ont pas été « libérées » comme le disent les médias du régime syrien, et il y a eu, au cours des derniers jours, une contre-offensive qui a permis à l'opposition de reprendre le village de Ratyane (ce qui a poussé les médias proches de l'opposition de prétendre avoir pris en otage des combattants du Hezbollah. Mais celui-ci a immédiatement démenti l'information), mais il est certain que des renforts ont réussi à s'introduire dans les deux localités, alors que le régime syrien cherche à encercler totalement le quartier où sont postés les combattants d'al-Nosra, dans une tentative de rééditer soit l'expérience de Homs (où ils se sont retirés dans le cadre d'un accord supervisé par l'Onu), soit celle d'une partie de la Ghouta (près de Damas), où il y a eu des réconciliations entre les combattants et les soldats.
C'est dans ce contexte que les forces armées turques ont décidé de lancer l'opération pour « délivrer » les restes de Soulaïman Shah qui se trouvent dans un territoire contrôlé par Daech. Près de 40 blindés turcs sont ainsi entrés dans cette enclave que l'ancien président syrien Hafez el-Assad avait accepté de céder à la Turquie par respect du symbole religieux que représentent les restes de Soulaïman Shah pour les Turcs et aussi pour faire preuve de bonne volonté à l'égard de ce puissant voisin. Le président syrien Bachar el-Assad n'a pas remis en question la souveraineté turque sur cette petite portion de territoire et il avait été très loin dans sa coopération avec les autorités turques, leur ouvrant toutes grandes les portes d'Alep, en dépit de la grogne des commerçants alépins, inquiets de la concurrence turque. S'il est certain que le président syrien s'est senti, au début de la crise syrienne, totalement pris au dépourvu par l'hostilité de la Turquie, il a réagi rapidement et, grâce à un réseau d'alliances et d'intérêts, il a pu freiner les ambitions turques dans son pays.
Selon un spécialiste libanais des questions turques, Alep est particulièrement importante pour la Turquie, car depuis l'ouverture avec la Syrie, de nombreux Turcs ont investi en Syrie et en particulier dans cette région. Dès le départ, le rêve de l'actuel président turc Erdogan était de créer une zone tampon dans le nord de la Syrie, qui lui ouvre officiellement les portes d'Alep et de son rif, et qui en même temps lui permet d'affaiblir, sinon de faire chuter, le régime syrien. C'est pourquoi, en très peu de temps, Alep est devenu le fief des Frères musulmans syriens qui au début de la crise avaient formé « la brigade al-Tawhid », officiellement sous la bannière de l'Armée syrienne libre, mais qui s'est rapidement transformée en Front al-Nosra.
Aujourd'hui, les combattants d'al-Nosra sont donc encerclés dans un quartier d'Alep et leur parrain, la Turquie, lance une opération spectaculaire, faute de pouvoir aller plus loin dans l'affaiblissement du régime. Il est clair désormais, estime le spécialiste libanais de la Turquie, que le régime syrien s'est imposé comme un fait accompli, faute d'une alternative qui tiendrait la route. Par conséquent, la manœuvre turque, qui se veut un message musclé au régime syrien, mais aussi à la communauté internationale, ne peut pas changer la réalité sur le terrain. D'autant qu'une invasion turque terrestre du nord de la Syrie a besoin d'un feu vert international ou au moins américain. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, où non seulement les États-Unis annoncent que la priorité n'est pas de faire chuter le régime de Bachar el-Assad, mais, de plus, le président de la commission parlementaire européenne des Affaires étrangères a déclaré indirectement, dans un point de presse au Liban, que ce n'est pas la participation militaire du Hezbollah en Syrie qui pose aujourd'hui problème...
Liban - Décryptage
Nouveau message musclé turc... qui ne change rien à la réalité du terrain
OLJ / Par Scarlett HADDAD, le 23 février 2015 à 00h00
commentaires (6)
MU... S .... CLEF ? TACHTACH...ISTE PLUTÔT !!!
LA LIBRE EXPRESSION
14 h 13, le 23 février 2015