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Ces fillettes qu’on marie « pour préserver l’honneur » - Reportage

Formatées pour le mariage

À Siddiqine, bourgade chiite du Liban-Sud, les mariages précoces sont courants. Comme dans bon nombre de villages traditionnels du pays, « une fille n'a pas droit à l'erreur » et doit être mariée avant 20 ans sous peine d'être qualifiée de « vieille fille ».

Cette jeune réfugiée de la Békaa est enceinte de son second enfant. Elle n‘a pas 18 ans.

D'un « oui » à peine audible, elle a donné son accord pour épouser Mohammad, le jeune homme qu'elle aime. Devant le cheikh du village et toute la famille réunie pour l'occasion dans le modeste rez-de-chaussée qu'elle occupe à Siddiqine au Liban-Sud, Ghadir vient de signer son contrat de mariage. Elle essuie des larmes de joie. Conformément à la tradition, le marié couvre son épouse de bijoux. Les familles se congratulent, malgré quelques couacs liés à la rédaction du contrat. Les pâtisseries circulent. Le couple pose gauchement pour la photo traditionnelle. La mariée n'a pourtant que 16 ans et vient tout juste de présenter son brevet. Ses amies de classe l'entourent, l'embrassent, la félicitent. Savamment maquillée, les ongles laqués, vêtue d'une longue robe verte assortie à son voile, perchée sur de hauts talons, elle en paraît bien plus. Le marié, lui en a 24, mais il a l'air d'un adolescent.


Il ne s'agit pas d'un mariage forcé. Ghadir, cette belle jeune fille sans fortune, première de classe, a même dû convaincre ses parents pour obtenir leur accord. À l'issue de la cérémonie, c'est en larmes qu'elle les enlace, comme pour leur demander pardon, même s'ils ne cachent pas leur fierté. « Ils estiment que je suis trop jeune. Mais c'est lui que j'ai choisi », dit-elle timidement. Il faut dire que le jeune homme était pressé d'officialiser son union avec l'élue de son cœur. Il l'avait rencontrée au café que tenait son père. « J'y allais tous les jours pour la voir et lui parler. Elle m'a demandé de l'attendre un an, j'ai refusé », raconte-t-il. L'épousée demeurera chez ses parents le temps que l'appartement conjugal soit prêt à accueillir le jeune couple. Mais elle « appartient » désormais à son mari. Ils peuvent se rencontrer dans l'intimité, sans risquer le déshonneur. Au cas où elle tomberait enceinte, ils devront juste hâter l'annonce de leur vie commune.

 

L'honneur de la famille
Dans ce village rural chiite où chaque habitant garantit l'avenir de ses enfants en leur construisant des maisons, Ghadir est loin d'être une exception. Nombre de jeunes filles se marient ou sont mariées, dès que leur corps est formé. Certaines choisissent l'élu de leur cœur, d'autres sont données à un homme « honnête » choisi ou proposé par le père. Formatées pour le mariage dès leur plus tendre enfance, elles se plient à la coutume et aux exigences familiales, sans avoir été le moins du monde informées de ce qui les attend.
Ici, comme dans tant d'autres villages traditionnels, « la jeune fille n'a pas droit à l'erreur ». Pas question pour elle de fréquenter un jeune homme sans avoir la bague au doigt. Sa réputation en serait ruinée et sa famille déshonorée. Et puis, « marier une fille, c'est la caser, la protéger des aléas de la vie (setret el-bent zijeta) », dit le célèbre dicton populaire libanais. Un dicton repris avec conviction, comme pour expliquer sa décision, par un père de famille qui a marié une de ses filles à 15 ans.


Nisrine avait d'abord refusé la proposition de son cousin, chauffeur de camion, de 4 ans son aîné. Mais elle a vite cédé face à l'insistance de son géniteur. Mère de deux enfants, la jeune femme au foyer de 20 ans ne sourit pas, ou à peine. Son mariage, elle le qualifie de « normal », sans plus. « J'aurais voulu poursuivre mes études, obtenir mon brevet, mais mon mari ne m'y a pas autorisée. Il ne concevait pas que je puisse côtoyer des garçons », regrette-t-elle. « Même ma façon de parler a changé, car il m'a imposé des limites », ajoute-t-elle avec tristesse. Mais elle se ravise aussitôt : « Heureusement, j'habite à proximité de mes parents, je peux les voir tous les jours. »


Pour sa mère, ce mariage est une amère leçon. « Je ne pensais pas que ce serait aussi difficile pour elle. Les grossesses à répétition, les enfants, c'est bien trop de responsabilités pour son jeune âge. Si seulement je pouvais faire marche arrière », lâche-t-elle. Elle fait remarquer à ce propos que « les filles de chez nous sont formées très tôt et ont un look de femmes, alors que ce ne sont que des enfants ». Le père, lui, ne dit mot concernant les rêves brisés de son aînée. Mais il persiste à tenter de convaincre sa troisième fille de 16 ans de se caser elle aussi. Mais en vain, cette dernière s'entête, elle veut obtenir son bac, fréquenter l'université, travailler. « Il est vrai que les choses ont changé, constate-t-il. Autrefois, à 5 ans, la fille était déjà promise et on ne pensait pas lui demander son avis. Aujourd'hui, si un jeune homme bien se présente, je demande à ma fille son avis. Simplement, en cas de refus, je veux savoir pourquoi. »

 

Vieille fille à 20 ans
Le changement est certes palpable. Selon une photographe du village, Mariam Balhas, très engagée auprès de sa communauté, « le changement a été amorcé à l'issue de la guerre de libération ». « Il est devenu normal que les jeunes se fréquentent et vivent des histoires d'amour dans le cadre de certaines normes, estime-t-elle. Il est aussi de plus en plus normal pour les filles de poursuivre leurs études et d'obtenir des diplômes universitaires. » Mais les traditions ont la vie dure. « Une jeune fille de 20 ans qui ne s'est pas mariée est encore qualifiée de vieille fille, déplore-t-elle. De même, une célibataire est toujours invitée à se trouver un mari. » Et d'expliquer que la vie de village favorise les mariages précoces. « Même les jeunes gens se marient tôt, dès lors qu'ils ont un métier et un toit », assure-t-elle, montrant du doigt un adolescent imberbe de 17 ans qui sillonne le village à mobylette, avec un groupe de garçons. « Il est marié à une fille de 14 ans », dit-elle. Une évidence à Siddiqin qui ne connaît pas le chômage, car ses habitants sont propriétaires terriens et travaillent dans la pierre, le bâtiment, l'agriculture, les transports...


Résultat, il n'est pas rare pour une femme d'avoir deux ou trois enfants, bien avant l'âge de 20 ans. « Au moins, mes enfants et moi grandiront ensemble », assure Jamilé qui attend son deuxième enfant, à 19 ans à peine. La jeune femme qui n'a pas choisi son époux, mais accepté sa demande en mariage, car il est « fils de bonne famille (ibn awadem) », fait part de son « bonheur ». Bonheur d'être mariée et mère de famille. « Dès que j'ai su que j'allais me fiancer, j'ai raté ma quatrième. Les études ne m'intéressaient plus », se souvient-elle. Mais elle tait les difficultés, les crises, notamment la première année de mariage durant laquelle elle s'est parfois réfugiée chez ses parents pour fuir un époux autoritaire, au point d'envisager le divorce. « Dans ma famille, toutes les femmes se marient jeunes, sinon à 20 ans, elles sont qualifiées de vieilles filles », note-t-elle, avec résignation.


Jamilé a tenu bon, soutenue par son père, employeur de son époux. « Au début, je ne me sentais pas marié, j'ai mis du temps à réaliser ce qu'impliquait notre union », avoue pour sa part Hussein. Mais d'autres femmes jettent l'éponge, confrontées à des problèmes ingérables. « On ne m'y reprendra plus », lance Zahraa, 21 ans, qui a signé son contrat de mariage à 14 ans, pour s'installer avec son époux à 17 ans. Divorcée, elle évoque avec amertume son échec, son mari volage, sa belle-famille qui lui dictait jusqu'à sa façon de s'habiller, l'enfant qu'elle a perdu. « Je ne savais pas que le mariage me mènerait là », déplore-t-elle, se demandant pourquoi sa mère ne l'a pas laissée vivre son enfance, pourquoi elle ne l'a pas informée des problèmes de la vie. « Pourquoi ai-je lâché l'école ? » se demande encore cette ancienne bonne élève qui envisage de suivre une formation de comptabilité en septembre. Car désormais, elle entend bien prendre sa vie en main, et trouver un emploi. « J'arriverai à surmonter tout ça », se promet-elle. Puisse l'expérience malheureuse de Zahraa servir d'exemple aux autres. Mais, pour l'instant, Ghadir savoure son bonheur tout neuf, en se promettant de poursuivre ses études et de devenir... médecin.'


D'un « oui » à peine audible, elle a donné son accord pour épouser Mohammad, le jeune homme qu'elle aime. Devant le cheikh du village et toute la famille réunie pour l'occasion dans le modeste rez-de-chaussée qu'elle occupe à Siddiqine au Liban-Sud, Ghadir vient de signer son contrat de mariage. Elle essuie des larmes de joie. Conformément à la tradition, le marié couvre son épouse...

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