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Culture - Exposition

Entre tradition et modernité, les géants impassibles d’Émilio Trad

Dix-huit toiles, cru 2013, signées Émilio Trad à la galerie Aïda Cherfan*. Méga ou petit format, cet ensemble d’œuvres oniriques jette le défi de faire voisiner la mythologie picturale personnelle de l’artiste avec les images des grands maîtres de tous les temps. Rencontre et confrontation de choc.

Hommage de Trad à «La fille à la perle» de Vermeer.

L’idée n’est certes pas de toute nouveauté, mais l’application à faire (re)sortir ou télescoper les lignes de force des mondes parallèles a quelque chose de saisissant. Retrouver un fragment des tableaux de Vermeer, Da Vinci, Van Eyck, Ingres, La Tour, Vigée-Lebrun, Courbet ou Canaletto tapissant les angoisses ou les rêves de vieux couples aux attitudes surréalistes, entre éperviers sur le perchoir, établis de peinture avec tubes de couleurs, pinceaux et palettes, tous posant devant des villes aux architectures fastueuses et dentelées, voilà qui interpelle.
Songe poreux et troublant, grouillant de vie, sans âge ni frontières, qui ramène à une réflexion sur l’art de peindre, de composer des univers, de diffuser la lumière, de répartir les nuances, de recréer du nouveau à partir de l’omniprésence du passé, de faire fusionner les styles et les techniques.
Auriez-vous jamais imaginé la dentellière de Vermeer traverser les siècles et s’échoir sur un guéridon devant un personnage au regard de pierre, flanqué d’un épervier au nez crochu et aux ailes prêtes à l’envol, tous les deux figés devant une cathédrale à la rosace luttant contre une fine pellicule de brume-pollution ?
Ou bien La fille à la perle (bonjour la beauté de Scarlett Johansson qui l’a incarnée sur grand écran), toujours de Vermeer, entre un pot d’une plante rabougrie et d’un vieillard chauve trônant sur une chaise avec pour fond de décor une Venise vue à travers les carrés en bois d’une fenêtre ?
Que dire alors de la puissance du regard d’artiste de Léonard de Vinci transposée de la Renaissance au cœur du consumérisme frénétique actuel ? Autoportrait d’un visage ridé, scène de la Naissance divine avec Jésus adoré par les Rois mages, David drapant son éclatante nudité par une étoffe cardinalice, Adam offrant sa musculature à l’index de Dieu à la barbe vénérable et blanche. Autant de mise en scène (et de déplacement dans l’imaginaire collectif) pour faire glisser ces images mythiques entre une montagne de canettes de Coca-Cola (clin d’œil aux boîtes de soupes d’Andy Warhol), un lourd clavier de machine à taper Olympia (les écrans des « ordis » sont aujourd’hui autrement plus fascinants et légers !) et des corps désarticulés de poupées indifférentes, dociles et muettes. Mélange d’un espace encombré d’objets hétéroclites sous le regard, impassible mais vigilant, d’un artiste à la collerette bien vissée autour du cou, ami des éperviers bien dressés et secret officiant de fêtes visuelles incongrues, d’un onirisme moderne et improbable où les masques tombent...
Paisible aussi ce tableau du Pont des Soupirs de Venise d’un Canaletto sur un chevalet devant pinceaux, chaise au siège en osier tressé, palette et tubes de couleurs. Et l’artiste, sage et droit, qui attend un feu vert pour opérer une retouche, une restauration, une re-création, une réintroduction dans un monde supposé surprotégé... De même que pour Courbet peignant à côté d’une femme dévêtue. Le peintre est là avec une compagne, tous les deux paradoxalement habillés comme pour un jour de messe, et attendant l’inspiration avec toute la trousse et l’attirail du rapin. Un matériel odoriférant et graisseux pour l’art de manipuler, étendre les couleurs et dégager la vie et les
émotions...
Tableau dans le tableau d’un maître à ses maîtres... Ainsi se présente cette exposition qui ne manque ni de ressource, ni de caractère, ni d’originalité. Si le coup de chapeau pour les grands maîtres est évident, il n’en est toutefois ni servile ni stérile. À travers des espaces structurés en géométrie libre, suggestion réussie de ces immortelles toiles du panthéon pictural universel. Car il ne s’agit pas ici de reproduire ces chefs-d’œuvre intouchables, mais de mêler des mondes différents pour une tentative de réoxygénation, d’aération, de sources nouvelles de
créativité.
Tout en faisant acte de témoignage d’un patrimoine inaliénable, de plongée profonde aux sources premières, de mixage, de présence au cours du temps qui passe, de cadre à réinventer, de formes à ciseler, de chemins nouveaux à fréquenter.
La dernière touche et la dernière note de couleur sont à Émilio Trad qui formule son entreprise en ces termes : « Je pense avec cette exposition conforter cette idée, fruit de quarante années de travail, que la révolution dans la peinture se fera à l’intérieur de la tradition et non en dehors d’elle. Tel est mon credo. »

*L’exposition « Hommage aux grands maîtres de la peinture » d’Émilio Trad, à la galerie Aïda Cherfan – Fine Arts, à la place de l’Étoile au centre-ville, se prolonge jusqu’au 29 novembre.

L’idée n’est certes pas de toute nouveauté, mais l’application à faire (re)sortir ou télescoper les lignes de force des mondes parallèles a quelque chose de saisissant. Retrouver un fragment des tableaux de Vermeer, Da Vinci, Van Eyck, Ingres, La Tour, Vigée-Lebrun, Courbet ou Canaletto tapissant les angoisses ou les rêves de vieux...

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