Nayla Debs dans son environnement. Photo Michel Sayegh
Originaire de Zahlé, Nayla Debs a plus d’une passion dévorante. Si la lumière du Liban a toutes les éloquences du monde pour bercer son quotidien, ses questionnements sur le sens d’une vie, par un contexte et un environnement social éruptifs et chaotiques, n’en demeurent pas moins d’une harcelante constance.
Du dessin à la sculpture, en passant par l’équitation, l’amour pour les chevaux, le jardinage et le paysagisme, voilà une économiste (diplômée de l’USJ) incapable, de ses propres aveux, d’entreprendre une opération de soustraction ou de multiplication. Et ce n’est pas tout à fait un hasard si elle se réfugie et se prélasse volontiers au creux des mots et dans la cadence des phrases. «Je suis une usurpatrice», se plaît-elle à dire pour se référer à ses multiples activités, toutes autodidactes.
On la retrouve dans ce carré florentino-vénitien préservé des anciennes demeures des Sursock, au bout de l’impasse du Rétro, devenu par la suite celle de la petite Marée et, aujourd’hui, de l’Aéroclub ou de la Table d’Alfred. Pull rouge, chemisier blanc et jeans délavé pour une silhouette filiforme et des cheveux châtain clair annelés.
Deux labradors dans la niche, un jardin aux grands arbres qui frissonnent aux premiers éclats de l’automne et une fenêtre mi-ouverte d’où s’engouffre la musique des feuilles en prise avec la turbulence du vent.
«L’écriture est venue un jour de pneumonie. Un premier récit que j’ai vomi. Et que j’ai soumis à la lecture de mes proches. Puis est né Sofar blues. Une fiction tirée d’une réalité libanaise où je sonde les amours, en démasquant les clichés sur la psychologie de la parité femme-homme. Je m’exprime simplement, visuellement, comme pour un scénario. J’ai un débit lent et laborieux. Et voilà aujourd’hui mon second opus, Un matin de pluies mauves. Une histoire aux racines réalistes, pour m’entretenir de l’intolérance. Pour ce pays, le nôtre, supposé convivial, multiconfessionnel et communautaire, le slogan reste fallacieux et n’est que poudre aux yeux. J’ai pris comme personnage central Abel, un juif qui fait une croix sur le Liban et quitte ses rives suite à la guerre... Douleur extrême de l’exil, même s’il vit à Paris. Cette dualité de l’être et l’affrontement à une société finalement hostile, c’est cela que je veux cerner, élucider. Cette torture, ce mal-être qui angoissent et abattent. Comment trouver sa place sur terre car, même en France, Abel est loin d’être heureux. Je suis en quête d’un endroit (et ce n’est certainement pas le cas au Liban) où on a le respect de l’homme, de l’animal, du végétal.»
Petite pause. Le temps de dévoiler un amour pour la lecture (Wajdi Mouawad, Henry de Monfred, Kessel et le théâtre de Victor Hugo), ainsi que la musique (les requiems de Mozart, Fauré et Kabalevsky), sans oublier la chanson française contemporaine. D’ailleurs l’exergue du dernier roman en porte l’empreinte, avec la citation des paroles des chansons de Jean Ferrat et Michel Berger.
Pause aussi pour parler des sculptures que Nayla Debs a rangées dans son atelier et sur une console. Une quinzaine de résine et de bronze. Sauf un autoportrait tourné vers un miroir avec une chevelure fournie érigée en frondaison d’arbre taillé en boule, il n’y a là que personnages et torses exclusivement masculins. Minotaures et tête chevaline pour des corps musclés. Ni homme ni animal: une glorification pour une certaine sagesse, gratitude et sérénité.
«Tout a commencé à partir d’un dessin à l’encre de Chine sous la direction de Mounir Najem (l’une de ses toiles est en couverture de son dernier roman). Il a souligné que les formes étaient plus importantes pour moi que les couleurs. J’y ai cru. J’ai exposé au Musée de la poste à Paris et je termine actuellement une statuette intitulée Le Supplicié, dit-elle en enlevant les étoffes qui couvrent les chairs à naître d’un homme nu, comme suspendu par le poignet à une potence.
Retour aux matins pluvieux, à ce roman de l’emprise de la terre de lait et de miel qui mêle confrontations communautaires, judaïsme et souvenirs radieux de l’enfance et de la prime jeunesse. Avec cette quête incessante pour une halte de paix entre soi et les autres.
«Écrire, c’est quoi?»... Elle sursaute à l’interrogation. Comme surprise. «Écrire est un acte égoïste, confie-t-elle, un acte un peu prétentieux, tout en admettant aussi que c’est une libération, une catharsis.» Dernière question: «Aurait-elle d’autres projets d’écriture?» C’est avec un sourire qui éclaire son visage que Nayla Debs répond: «Je rêve d’un bon thriller...».
* Nayla Debs signe son roman, « Un matin de pluies mauves », à la librairie al-Bourj ce soir vendredi, de 17h à 21h.