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« Les oppositions syriennes » entre division et radicalisation - Témoignage

Une opposition formée d’individus, non de partis politiques

L’individualisme, l’improvisation et le manque d’expérience politique des opposants expliquent leur incapacité à s’unir,
selon un membre des LCC.
Derrière ses lunettes noires, Kinan Ali est assis discrètement dans un café de Beyrouth, sirotant un jus d’orange frais. Refugié au Liban, ce membre des Comités locaux de coordination (LCC) essaie de s’organiser tant bien que mal pour échapper à la surveillance des services de renseignements de son pays.
De ses propos, on distingue immédiatement une certaine amertume et frustration. Sans blâmer l’opposition syrienne, il juge néanmoins avec sévérité son action, dressant un constat d’échec, plus d’un an après le début de la contestation contre le régime de Bachar el-Assad.
Selon lui, « l’opposition syrienne n’a jamais été unie. La révolte actuelle est en fait sa première occasion pour se rassembler ». Le jeune rebelle à la barbe dense et hirsute explique que les opposants syriens ont toujours été des électrons libres. « Avec mon respect pour tous les opposants, aucun d’entre eux n’a vraiment eu un programme clair ou une expérience politique réelle. Leur combat personnel les a menés à passer des années derrière les barreaux », ajoute-t-il, justifiant ainsi leur incapacité à se réunir et à présenter un programme commun.
Kinan Ali revient également sur les opposants en exil dont la principale démarche revenait à lancer des communiqués et à publier des articles dans la presse étrangère. « Depuis la répression des années 80, les militants de gauche et les islamistes qui ont choisi la voie de l’exil ont été complètement coupés du pays. Ils n’ont plus des réseaux efficaces en Syrie, les informations qu’ils reçoivent ne sont pas pertinentes, et évidemment ils n’ont aucune légitimité populaire », ajoute-t-il.
Kinan Ali, un pseudonyme évidemment, revient sur le début de la révolte en Syrie. « Essayant d’imiter l’exemple égyptien, les opposants syriens en exil ont appelé à des manifestations le 5 février 2011. Cet appel, sans aucune préparation sur le terrain, avait entraîné une vague de répression et d’arrestations. Moi-même j’ai été arrêté. Et on a menacé de me casser les pieds si je participait aux manifestations », se rappelle-t-il, avant d’ajouter qu’une telle initiative a besoin d’une préparation logistique bien étudiée à l’avance, afin d’éviter les places sous surveillance policière. « Ce clivage entre les opposants en exil et ceux de l’intérieur a créé des tensions, surtout que les décisions prises à l’extérieur du pays peuvent mettre en danger les citoyens sur place : les appels à manifester lancés depuis Stockholm ou Londres ont été très mal accueillis au début par la population locale », affirme-t-il.
Par la suite, « nous avons décidé de donner une chance aux opposants qui se trouvent en dehors du pays. Toutefois, depuis plus d’un an maintenant, ils n’ont pas pu prouver qu’ils sont aptes à diriger le mouvement de contestation contre le régime. Leur individualisme, leur improvisation, leur tendance à réagir aux situations au lieu de planifier des démarches futures... tout cela a largement entaché l’efficacité d’une opposition désunie et impuissante », déplore-t-il.
On retrouve le même phénomène chez les opposants historiques de l’intérieur. Kinan Ali juge ainsi honteux que deux personnalités comme « Hassan Abdel Azim et Riad el-Turk ne se parlent pas et refusent de s’assoir sur une même table, même s’ils sont tous les deux de fervents opposants à Bachar el-Assad. La nouvelle génération a hérité aujourd’hui des mêmes divisions et de la même mentalité », ajoute-t-il.

Diversité
Le jeune rebelle syrien estime toutefois que la révolte a mis en exergue la diversité des courants politiques dans le pays, de l’extrême gauche à l’extrême droite, à l’instar de toute société normale. Ce qui est, selon Kinan Ali, un phénomène positif et sain. « Les Frères musulmans, les salafistes, les communistes, les nationalistes arabes, tout citoyen syrien a le droit d’exprimer son opinion. Nous ne voulons pas d’une pensée unique », affirme-t-il. Or, aujourd’hui, « il est impossible de dessiner une géographie des forces sur le terrain, surtout que l’opposition syrienne est une opposition d’individus et non une opposition de partis politiques organisés », déplore-t-il. « Avec la répression qui sévit présentement, l’interdiction d’une presse libre, l’inexistence d’observateurs indépendants sur le terrain, il est donc impossible de quantifier objectivement les partisans ou les adhérents de tel ou tel courant », martèle Kinan Ali.
On peut parler de courant politique, comme c’est le cas des Frères musulmans, mais en aucun cas, on ne peut parler dans la situation actuelle d’un parti structuré, avec ses adhérents connus et chiffrés, ses dirigeants légitimement élus, etc. Les islamistes ont subi les affres du pouvoir pendant des décennies, ils ont été emprisonnés ou exilés. Ce qui leur a donné une notoriété, une visibilité et un réseau efficace avec les pays amis. Néanmoins, ils n’ont aucune expérience politique comme c’est le cas des islamistes égyptiens et turcs. Ce qui est un handicap majeur pour eux actuellement. N’étant pas confiants dans leur poids politique, ils se radicalisent et refusent de négocier avec pragmatisme face aux autres courants.

Critiques
Ce membre des LCC revient en outre sur la performance médiocre du Conseil national syrien (CNS). Il critique ainsi l’appel de ce dernier à une intervention militaire internationale. « Cette décision dénote une faillite sur le plan politique. Le CNS, influencé par les Frères musulmans, a prouvé qu’il n’a aucune feuille de route, aucun plan. À la question : que faire ? ils ont opté pour la mauvaise réponse, faute de vision et de programme clair et précis », s’insurge ainsi Kinan Ali.
Ce dernier estime par ailleurs que l’Armée syrienne libre (ASL) n’existe pas en tant que structure. « Il s’agit de milices armées formées de soldats dissidents qui ont refusé de tirer sur la population civile, ou qui se sont organisés pour défendre leur quartier contre l’offensive militaire du régime », explique-t-il. Leur situation est très délicate, puisque leur priorité est d’abord de se protéger contre l’armée régulière qui les considère désormais comme des traîtres. Ils n’ont aucune stratégie de défense, pas de moyen de communication, surtout que, jusqu’à présent, des défections ont lieu à titre individuel.

Le rôle de la communauté internationale
Le drame syrien, affirme Kinan Ali, est que la révolte a commencé un peu tard. Les acteurs internationaux ont ainsi dépassé l’effet de surprise qui a eu lieu en Tunisie et en Égypte. La Syrie devient ainsi un terrain fertile aux tiraillements politiques entre les puissances mondiales et régionales. Il craint donc que le conflit dure dans le temps jusqu’à ce qu’un « deal » entre eux soit conclu.
Il estime en outre que le printemps arabe n’est pas terminé. « Les révolutionnaires (en Égypte, en Tunisie et au Yémen) ont réussi à décapiter la tête du régime, toutefois ce dernier n’est pas encore mort. Il est toujours vivant d’une autre façon », estime-t-il, tout en restant sur ses gardes concernant l’appui occidental aux révoltes arabes.
Selon lui, les Américains et les Européens œuvrent en fin de compte pour leur propre intérêt et non pas pour promouvoir la démocratie et les droits de l’homme. Et tout soutien – surtout militaire – venu d’un pays tiers, qu’il soit occidental ou arabe, pourrait entraîner à l’avenir une emprise de tel ou tel pays sur les acteurs locaux, biaisant la volonté du peuple syrien.
Concernant la Russie, « Moscou a toujours soutenu les causes perdues, du Kosovo à l’Irak, en passant par la Libye. Leur appui à Damas n’est que la conséquence de leur crainte de voir briser leur influence dans la région », estime-t-il.

Construire l’avenir
Pour Kinan Ali, l’opposition syrienne ne peut s’unir, ni sous la pression de la rue ni sous la pression extérieure, avant d’avoir un programme politique pour l’avenir : « Faire chuter Bachar el-Assad n’est pas suffisant comme but commun. Il faut trouver une alternative avant de changer le pouvoir. »
Enfin, « l’opposition doit apprendre à discuter avec les partisans du régime actuel. Ils sont aussi des citoyens syriens qui ont aussi des craintes concernant leur avenir. Il faut sortir de la logique de vengeance quand il faut bâtir un pays. L’opposition doit prôner solennellement le recours à la justice pour juger les anciens du régime, y compris le président. En se réunissant pour entamer la construction d’un nouveau régime, on signe de facto l’arrêt de mort de la dictature actuelle », conclut-il.
Derrière ses lunettes noires, Kinan Ali est assis discrètement dans un café de Beyrouth, sirotant un jus d’orange frais. Refugié au Liban, ce membre des Comités locaux de coordination (LCC) essaie de s’organiser tant bien que mal pour échapper à la surveillance des services de renseignements de son pays.De ses propos, on distingue immédiatement une certaine amertume et frustration....