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Diaspora

Chili : les Libanais sur la route des Andes

Le Chili est l'un des pays où l'émigration arabe, notamment libanaise, est très bien intégrée. Plusieurs émigrés libanais se sont ainsi illustrés à travers le temps.

La capitale Santiago du Chili dominée par les montagnes enneigées.

En retournant au passé, miroir du présent, nous voyons les jeunes Libanais au XIXe siècle traverser l'océan Atlantique et débarquer dans de nombreux ports comme New York, Rio de Janeiro et Buenos Aires. À partir de ce dernier port, quelques Libanais téméraires ont poussé encore plus loin leur chemin, s'aventurant dans la cordillère des Andes, l'une des plus longues chaînes de montagnes du globe, culminant à 6 962 mètres, jusqu'à atteindre le Chili, qui « était le lieu », leur destination finale. Ainsi, à partir de la Méditerranée et après plus de cinq jours de marche à dos de mules sur un terrain dangereux à haute altitude, un espace immense avec la neige en hiver et le dégel au printemps, les premiers émigrés libanais arrivèrent dans la ville de Los Andes, située à 2 575 mètres d'altitude, au nord-est de la région de Valparaiso et à 100 km au nord de Santiago.
La République du Chili, située sur la côte pacifique, a une superficie de 756 900 kilomètres carrés, et comprend l'archipel de Juan Fernández et la fameuse île de Pâques, isolée dans le sud-est de l'océan Pacifique et connue pour ses statues monumentales, inscrites au Patrimoine mondial de l'humanité par l'Unesco en 1995. La capitale du Chili, Santiago, est située aux pieds des Andes et compte plus de 4,5 millions d'habitants, soit le quart de la population du pays. Elle se trouve à 140 km de l'océan Pacifique et à 53 km des grandes stations de ski : là aussi les Libanais se targuent de pouvoir skier le matin et se baigner l'après-midi. Le Chili est considéré aujourd'hui comme l'un des pays d'Amérique latine les plus stables économiquement, fort dans son agriculture, ses élevages et sa pêche marine. Grand exportateur de cuivre, représentant 36 % du marché mondial, ce pays est le cinquième exportateur de vin au monde.
Le Chili est aussi le pays des poètes, dont le plus connu, Pablo Neruda, a reçu le prix Nobel de littérature en 1971. Sa population est constituée d'un mélange de plusieurs groupes ethniques provenant particulièrement des courants migratoires européens et moyen-orientaux. Les Libanais, Syriens et Palestiniens sont estimés à 700 000, les Palestiniens à 400 000, formant la plus grande communauté de la diaspora.
 
Carrières dans le commerce
Les premiers émigrés arabes arrivèrent au Chili dans les années 1880, dont 29 en 1885 parmi lesquels seuls sont connus Santiago Beiruti, du Liban, et Abraham Saffe, de Syrie. À cette époque, l'exploration du salpêtre, au nord du pays, dans un des déserts les plus arides de la planète, était à son apogée. C'était l'un des engrais les plus utilisés au monde avant l'apparition des engrais chimiques, quelques décennies plus tard. Des milliers de mineurs chiliens, péruviens et boliviens travaillaient alors dans ce désert, et les commerçants arabes ambulants - buhoneros - en ont profité pour leur apporter tout genre de produits. Selon un recensement établi en 1930, la population arabe atteignait 15 000 personnes.
Après avoir traversé tout le territoire chilien, les Libanais et leurs compatriotes arabes virent leurs conditions financières s'améliorer et ouvrirent des magasins commerciaux à Santiago, en particulier dans le quartier de Patronato, connu jusqu'à aujourd'hui sous le nom de quartier arabe. Ils passèrent ensuite à l`industrie, et notamment au textile. Dans les années 1980, ils occupaient 23 % du secteur, et en l'an 2000, dépassaient les 33 % dans l'industrie de la confection. Aujourd'hui, ils sont dans toutes les activités et participent activement au développement du Chili.
Au fil des années, les Libanais se sont installés dans le pays et ont fondé plusieurs institutions, comme le « Círculo Libanés » (Cercle libanais), en 1943, le « JOL-Jóvenes Chilenos de Origen Libanés » (Jeunes Chiliens d'origine libanaise), ou le « Club Libanés de Copiapó ». Plusieurs journaux permettent de maintenir la liaison entre le Chili et le monde arabe, comme al-Damir, publié en arabe et en espagnol par la Fundación Palestina, avec des articles culturels et sociaux très intéressants. La rédactrice en chef de cette revue, Carmen Schmitt Yoma, est une Chilienne qui a des origines françaises d'Alsace et aussi libanaises de Deir al-Ahmar. Elle informe régulièrement sur la présence et les activités des Arabes au Chili, dressant entre autres des portraits de Libanais et de leurs descendants devenus chiliens.

Portraits de Libanais
Alberto Sfeir, originaire de Rayfoun, Kesrouan, est un parent de l'actuel patriarche maronite Nasrallah Sfeir et vit actuellement au Chili. Né en 1915 à Antofagasta, il a étudié l'odontologie à Santiago puis s'est marié avec Inesita Yunes, avec laquelle il eut cinq enfants : Alberto, Alfredo, Luís Felipe, Miguel et Maria Inés. Parallèlement à son métier, il a été membre actif auprès de plusieurs institutions libanaises au Chili. Il est entré en politique en tant que démocrate chrétien, puis a rejoint la diplomatie. Il devint ainsi le premier ambassadeur du Chili au Liban (1968-1973), inaugurant notamment la rue de la République du Chili à Rayfoun.
Verónica Abud, pédagogue, a créé la « Fondation Fuente » (Fondation Source) dans le but d'améliorer l'éducation à travers les livres : elle a fondé dix bibliothèques publiques dont la première dans un centre commercial d'Amérique latine, ainsi que 68 autres dans diverses écoles, et 46 bibliothèques mobiles dans les zones rurales du Chili, regroupant chacune deux à trois mille livres. Femme de grande érudition ayant reçu plusieurs prix de reconnaissance, sa devise est que « les personnes instruites savent mieux exercer leur liberté ».
Carlos Massad, ancien président de la Banque centrale, a été nommé président honoraire de la collectivité libanaise du Chili en 2008. « Mon père ne nous a pas enseigné la langue, mais nous a transmis son amour pour le Liban », a signalé l'économiste, aujourd'hui âgé de 65 ans.
Adel Abed Chéhab, musicien né au Liban, est arrivé au Chili à l'âge de 7 ans avec ses parents : Georges, un prêtre syrien de l'église d'Antioche, et Marwa, libanaise. En quittant le Liban, son père emporta avec lui 20 tomes d'une encyclopédie de musique byzantine, en grec et en arabe, initiant Adel et ses trois frères, dès leur enfance, à cet art sacré. « Dans ma maison, on parle arabe, on mange arabe, et il y a toujours quelqu'un qui chante en arabe », affirme Adel, étudiant en génie civil qui dirige par ailleurs la chorale byzantine Saint-Jean Damascène, ainsi que la chorale à l'université de Chili. Il a aussi son propre groupe musical, l'« Ensemble Tarab », qui interprète des musiques classiques arabes d'inspiration andalouse. Adel est aussi chanteur-compositeur et joueur de « oud » et de « nay ».
Cindy Harcha Abuhadba, musicienne, descendante de Libanais et de Palestiniens, est la fille de Juan Munir Harcha et d'Isabel Abuhadba Stefan. Elle s'initia à l'art musical dès l'âge de 9 ans, suivant des cours de piano puis de théorie durant cinq ans à l'Université du Chili. Le bandonéon devint alors son instrument de prédilection et, après plusieurs représentations à Buenos Aires en 2008, elle rencontra le pianiste Tatto Miceli, formant avec lui le duo « El Arrime », devenu très vite célèbre dans le monde du tango avec des enregistrements et des concerts en Amérique latine et en Europe.
Alejandro Bitar, actuel chargé d'affaires du Liban au Chili, est très apprécié pour l'impulsion qu'il donne à la culture libanaise dans ce pays. À ce propos, l'ambassadeur du Chili au Liban, Pedro Barros Urzua, précise : « Le Chili est satisfait que sa population originaire du Moyen-Orient soit parfaitement intégrée et constitue une valeur d'appui à la société chilienne. Il est très important pour nous de préserver l'essence du Liban comme centre de dialogue de cultures et de religions. Les échanges commerciaux s'élèvent seulement à 4 millions de dollars, mais nous espérons que la consolidation des institutions de l'État libanais et le relâchement des tensions dans le pays aidera à explorer de nouveaux secteurs économiques et à augmenter le flux touristique. »

Prochain article : Les relations Liban-Chili et les Chiliens au Liban.

 

Savoir plus
Al-Damir, revue de la Fundation Palestina, Chili, 2009.
L. Agar et A. Rebolledo – El mundo árabe y América Latina, Santiago – Ediciones Unesco, 1997.

En retournant au passé, miroir du présent, nous voyons les jeunes Libanais au XIXe siècle traverser l'océan Atlantique et débarquer dans de nombreux ports comme New York, Rio de Janeiro et Buenos Aires. À partir de ce dernier port, quelques Libanais téméraires ont poussé encore plus loin leur chemin, s'aventurant dans la...