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Législatives : juin 2009 - Tout le monde en parle

Nature morte

En attendant la formation du nouveau gouvernement, qui critiquer et quoi, je m'en voudrais d'avoir la plume virtuelle paresseuse ; elle risque de se rouiller en perdant l'appétit d'aligner à la suite quelques mots qui font une phrase.
Évoquer l'humeur de M. Joumblatt est devenu une platitude, les desiderata de M. Aoun un lieu commun, les armes du Hezbollah un problème au niveau planétaire dans lequel je ne me hasarderais pas.
Alors que reste-t-il, non de mes amours, pour le simple mortel que je suis ? La circulation, on en parle à longueur de bulletins télévisés ; l'électricité qui vient ou ne vient pas, l'horaire de l'EDL étant purement fantaisiste, la pollution, les crevasses, l'eau, de tout cela on  a plus que glosé.
Cependant, vaille que vaille la vie continue, les responsables des différents bulletins télévisés se sont, dirait-on, donné le mot pour souligner, en évoquant l'activité de tel ou tel ministre, qu'il fait partie d'un cabinet chargé de gérer les affaires courantes.
Un ministère au rabais en somme.
Point n'est besoin d'appeler la pléthore de fonctionnaires au laxisme et au farniente. Tout comme leurs occupants, certains bâtiments administratifs souffrent d'un délabrement avancé, les murs ne tenant le plus souvent que grâce à quelques lambeaux de peinture résistant aux outrages du temps. Comme si cette décrépitude faisait contagion et déteignait sur tout le pays, pas de gouvernement en vue, et tant pis, ou tant mieux c'est selon : on laisse passer l'été et ses deux millions de touristes. On avisera après. Sagesse sans doute, pour ne pas effaroucher ces visiteurs que nous avons appelés de tous nos vœux. Mais une fois le pli pris, comment oublier les mauvaises habitudes, le dilettantisme et le laisser-aller ?
Du coup, les enchères vont augmenter. Enchères : quel mot abject quand il s'agit de gouvernement, de pays, de nation.
Georges Naccache avait lancé son fameux « Deux négations ne font pas une nation ». Combien de négations n'y a-t-il pas à l'heure actuelle alors que, de son temps, l'équation était plus simple à résoudre.
D'un côté, il y avait grosso modo ceux qu'on accusait à tort de lorgner vers l'Europe, de l'autre ceux qui voulaient s'ancrer à la Syrie.
Il faut souligner d'emblée que l'ombre tutélaire du mandat s'estompait à peine, que le discours politique restait digne, dans le respect des convenances, de la bienséance, bien que parfois surgissaient de belles envolées lyriques. Mais on n'avait pas encore raclé les bas-fonds du langage. On avait affaire à des seigneurs du verbe, des professionnels de la politique. Mon Dieu que nous en sommes loin !...
Et dire qu'avec le temps, l'avancée technologique, la globalisation, la situation géographique de notre pays, Liban carrefour des civilisations, notre caste politique aurait dû se situer à la pointe de la démocratie et se bonifier.
C'est à croire qu'ils ont été contaminés par une petite touche de modernité, tels ces clochers qui dans le temps faisaient querelle et dans lesquels, les cordes ayant  fini par être retirées, le son est désormais déclenché par un simple bouton poussoir. Combien plus simple, vu les diarrhées verbales qui meublent - il est malheureux de le dire - nos soirées culturelles à la télévision.
D'autant plus que, jadis, les clochers étaient l'apanage des gros bras, aux moustaches retroussées et gominées (le plus souvent écervelés), alors que désormais elles font les beaux jours des forts en gueule - côté méninges je réserve mon diagnostic, car ils ne sont  pas tous logés à la même enseigne.
Toujours est-il qu'aujourd'hui, la salade est devenue plus consistante. Je me demande ce qu'écrirait Georges Naccache maintenant qu'outre l'Europe, il y a les USA, et qu'aux côtés de la Syrie se trouvent désormais l'Iran, l'Arabie saoudite, l'Égypte et qui sais-je encore.
Il serait bon de préciser que le plus souvent il n'existe entre ces pays aucun atome crochu ; ils ont simplement pris l'habitude chacun de considérer le nôtre comme leur arrière-cour où ils peuvent déverser leur fiel ou y dénouer leurs différends, qui sont légions et qui d'habitude frisent la haine.
Alors des négations en veux-tu en voilà, il y en a à la pelle, comme ces feuilles mortes qu'on brûle, pour attiser les rivalités locales, ethniques et communautaires.
En corollaire, il serait fort aisé de tirer la conclusion hâtive que notre caste politique est formée de part et d'autre de stipendiés et de vendus. Ce serait aller trop vite en besogne, car pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Le résultat n'en sera que meilleur...
En effet, les mauvaises habitudes ont la vie dure. Cela fait des décennies que nous invitons l'étranger, voisin ou résident à des lieues de chez nous, à partager notre quotidien, prenant son avis sur le moindre de nos faits et gestes, à le mettre en avant, nous cachant derrière lui, rien que pour fuir nos responsabilités.
Ce puérilisme doit cesser. Aucune aide venant de l'extérieur n'est désintéressée ; elle est toujours fonction des bénéfices qu'en tirera le donateur, et plus donateurs il y a, plus les croche-pieds et les coups bas pleuvront, mais les bobos et les bleus c'est nous qui les récoltons.
La preuve ? Plus de 80 jours se sont écoulés depuis les élections législatives, et toujours pas de gouvernement en vue. Reprendre la litanie du qui a gagné ou perdu est devenu ennuyeux ; chez nous c'est un peu l'école des fans où tout le monde sort avec un lot de consolation qui s'appelle maroquin.
Il est des victoires qui sont plus embarrassantes pour le vainqueur que pour le perdant, qui a l'outrecuidance de faire la fine bouche, d'imposer ses conditions et de crier victoire alors que le verdict des urnes fut sans appel.
Cette situation unique était d'autant plus prévisible qu'une large frange de la population n'a pas effectivement participé à la consultation populaire du 7 juin 2009 ; ses candidats ont certes été élus sans coup férir, non seulement faute de concurrents, mais plus encore du fait que les régions où elles se sont déroulées étaient monochromes.
Il faut que cette pression générée par la loi du nombre et la raison du plus fort cesse, la force ne règle rien, les insultes et autres vociférations moins encore, elles ne font qu'envenimer les choses.
Les Libanais l'ont appris à leurs dépens : cette mosaïque qu'est notre pays est ainsi faite qu'il n'y aura jamais ni vainqueur ni vaincu - dommage pour la démocratie... Qu'on ne se leurre pas, sans toutes ses composantes notre pays n'est pas viable. Tout au plus sera-t-il  peut-être un beau tableau où la montagne a les pieds dans l'eau, une nature morte quoi !
Cela, assurément personne n'en veut, à commencer par ceux-là mêmes dont les conditions ne finissent pas d'en finir. Peut-être sont-ils actuellement en position de négocier, mais si Saad Hariri, qui déjà a démontré sa stature d'homme d'État (ayant par ailleurs de qui tenir), à Dieu ne plaise se prenait à jeter l'éponge, il ne resterait rien à marchander.

Georges TYAN
Conseiller municipal de Beyrouth
Évoquer l'humeur de M. Joumblatt est devenu une platitude, les desiderata de M. Aoun un lieu commun, les armes du Hezbollah un problème au niveau planétaire dans lequel je ne me hasarderais pas.Alors que reste-t-il, non de mes amours, pour le simple mortel que je suis ? La circulation, on en parle à longueur de bulletins télévisés ;...