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Législatives : juin 2009 - Tout le monde en parle

Démagogies d’un jour, ruines de tous les jours

Le titre pourrait paraître excessif, mais force est de constater que le discours politique constitue un témoignage de la valeur qualitative d'une société, de sa maturité, de ses forces et le plus souvent malheureusement de ses faiblesses. Il n'est meilleur exemple de cela que cette explosion verbale de la politique électorale libanaise
avec les promesses, les menaces, les condamnations et bien d'autres choses encore dont l'indécence et le manque de goût des propos et des mots ne sont pas les moindres.
Sans vouloir jouer à la morale, ce à quoi je me refuse, j'ai plaisir à commencer cet article par deux caricatures de Caran d'Ache de la fin du XIXe siècle suffisamment fortes et expressives pour ne pas laisser indifférent, car elles résument les mentalités maladives d'une société.
D'aucuns pourraient s'interroger : pourquoi commencer cet article avec ces deux caricatures ?
Parce qu'au plus fort de l'affaire Dreyfus, quand toute rencontre ou réunion était source de querelles sans fin, Caran d'Ache avait imaginé de résumer toute cette formidable haine qui avait divisé la famille française de l'époque en deux caricatures expressément significatives et qui éclairent bien la situation à laquelle sont arrivés les Libanais.
Dans la première, face à une table propre et bien dressée, le slogan « Surtout ! ne parlons pas de l'affaire Dreyfus » représente un accord préliminaire de silence de tous les participants au repas familial traditionnel dominical. Dans la seconde, le slogan « ...Ils en ont parlé » face à une table en désordre, une vaisselle cassée ou renversée et des plats projetés dans tous les sens représente bien les divisions et les haines n'épargnant personne au sein d'une même famille par le seul fait qu'un des participants ait ouvert le sujet de l'affaire. Pourquoi donc toutes les fois où j'entends nos chers politiciens échanger les meilleures et le plus souvent les pires des épithètes, ces deux slogans me reviennent-ils instantanément en mémoire tant notre société libanaise - et particulièrement cette société chrétienne si décadente - est sensibilisée aux divisions issues des excitations débordant largement sur toute forme de discernement et d'intelligence. Est-ce le sort auquel nous sommes condamnés ? Est-ce parce que le propre de la politique revient à dire, à faire dire, à interpréter en bien ou en mal tout ce qui se dit, s'affirme et même tout ce qui ne se dit pas ? Car, si la politique, « vit de choses injustes », comme se plaisait à le rappeler Paul Valéry en recevant en 1929 au fauteuil vacant du maréchal Foch à l'Académie française le maréchal Pétain encore auréolé de sa gloire et bien loin de 1940, elle est également et surtout faite de procès d'intention, de susurrements à l'oreille, de clignements des yeux et de rictus qui, tout en ne relevant pas de l'essence de la politique, conduit à rabaisser et la politique et le citoyen.
Et c'est pourquoi en cette période de fièvre électorale, où il est bien légitime de considérer que dans la bataille seul le succès mérite attention, il est quand même utile et nécessaire de rappeler que les discours électoraux, sans changer l'histoire, peuvent exacerber les tensions dans la société et laisser des flétrissures marquantes, aux conséquences imprévisibles sur le moment. Notre société libanaise issue des compromis intelligents de l'histoire entre diverses communautés religieuses, familles et clans qui, tout en ne s'aimant pas, ont accepté de coopérer et de vivre ensemble, mérite de rester au niveau des attentes et des valeurs des citoyens et des familles spirituelles du pays. Les mauvais jours n'ont pas manqué dans notre histoire au cours des deux derniers siècles. Chaque génération libanaise, depuis la fin du XVIIIe siècle, a connu les malheurs issus de la fureur des politiques et de l'ambition des hommes : Ahmad el-Jazzar en 1800, Bachir Chéhab et Mohammad Ali avec la conquête du Proche-Orient en 1830, les événements et les massacres confessionnels entre 1840 et 1860, les querelles politiques des mutassarifs, la famine de la Première Guerre mondiale, les bombardements sur les villes libanaises et les opérations militaires sur le sol libanais entre les gaullistes et les Anglais d'une part et les vichystes d'autre part, les guerres israéliennes depuis 1948, les événements de 1958 et cette guerre commencée en 1975 et qui n'en finit plus de finir. Et pourtant le soleil a continué à se lever sur ce sol meurtri et ravagé et il se lèvera le 8 juin, car les citoyens de ce pays, bien plus courageux et bien plus grands que leurs politiciens, savent qu'au-delà des discours et des promesses, il s'agit tout simplement de se comprendre et de s'accepter pour vivre et survivre. Et il est bon que le message politique porte en lui les semences de ce que Lamartine, lors de son voyage en Orient, avait si intelligemment résumé en ces mots : « Le Liban a un peuple. »
avec les promesses, les menaces, les condamnations et bien d'autres choses encore dont l'indécence et le manque de goût des propos et des mots ne sont pas les moindres.Sans vouloir jouer à la morale, ce à quoi je me refuse, j'ai plaisir à commencer cet article par deux caricatures de Caran d'Ache de la fin du XIXe siècle suffisamment fortes et expressives...