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Actualités - OPINION

L’éclat de rire du chaos

Donc, au commencement, c’était Chaos. Chaos précède non seulement l’origine du monde, mais aussi celle des dieux : Gaïa la Terre, Éros le Désir, Tartare les Enfers, Érèbe les ténèbres des Enfers et Nyx la Nuit. Le père. Chaos c’est la primo-infection, ou l’espoir, la naissance. C’est l’alpha. Ici, dans ce non-pays, cela pourrait être d’abord et surtout l’oméga, la fin, cette masse primordiale, inorganisée et informe que le brave Ovide avait mis au cœur de ses Métamorphoses. L’indépendance du Liban arrachée en 1943 ? Les tirs contre le bus de Aïn el-Remmaneh ? Le gouvernement militaire de 1988 ? Les accords de Taëf ? L’Anschluss syrien ? Les guerres d’Israël ? Le retrait des deux armées ennemies ? L’expansion du mini-État sangsue du Hezb ? L’assassinat de Rafic Hariri par une tonne de TNT ? Le futur tribunal ? Le dépoiement de l’armée au Sud ? Le kidnapping des institutions étatiques ? N’importe quoi : ce ne sont là, malgré l’énormité de leurs impacts respectifs, bons ou mauvais, que de rachitiques secousses, des épiphénomènes isolés, des anecdotes lorsqu’on les compare à l’élection présidentielle 2007. Trois mois presque jour pour jour séparent les Libanais de ce scrutin dont le premier tour a été très généreusement et avec un optimisme débridé fixé au 25 septembre par un Nabih Berry qui risque fort, et dans pas longtemps, de se mordre les doigts jusqu’au coude. Trois mois avant que les Libanais ne sachent si oui ou non un successeur au fastidieux Émile Lahoud sera désigné. S’il sera ou pas le moteur de la résurrection d’un désormais très ectoplasmique printemps de Beyrouth et le courageux Casque bleu à même de jouer le tampon entre les Libanais jusqu’à les réconcilier entre eux et avec eux-mêmes. S’il sera ou pas le garant d’une Constitution pourtant transformée en prostituée accomplie, rodée à tous les outrages, soumise à mille et un macs. S’il imposera ou pas la double, l’incontournable réforme des mentalités et des pratiques. Etc. Trois mois séparent ce pays du chaos. De cette masse inorganisée et informe… Concept-festival que ce chaos. Pour le 14 Mars, un vide constitutionnel ou un transfert des prérogatives présidentielles à un Conseil des ministres quel qu’il soit entraînerait le chaos. Pour l’opposition hyperplurielle, l’élection d’un président sans la présence des deux tiers des députés mènerait au chaos. Pour Michel Aoun, un autre que lui à Baabda provoquerait le chaos. Pour le Hezbollah, si un nouveau gouvernement, flanqué d’un tiers de blocage pour l’opposition, n’est pas formé avant le scrutin, fût-ce le 23 novembre à 23h30 (c’est inouï), ce serait le chaos. Chaos si ce n’est pas un président souverainiste ; chaos si ce n’est pas un président gentiment prosyrien ; chaos si c’est un président consensuel ; chaos dans tous les cas. Donc, à moins d’un miracle perse qui pousserait les bons petits soldats d’ici à accepter un compromis ; à moins d’un renoncement du 14 Mars à toutes ses revendications ou de Michel Aoun à toutes ses ambitions ; à moins d’un surdédoublement de personnalité de Nabih Berry qui ferait que le chef d’Amal se remétamorphoserait en véritable président de la Chambre ; à moins d’un sursaut des opposants qui se rendraient place de l’Étoile pour voter blanc, ce sera donc le chaos. Parce que tout porte à croire que si les députés du 8 Mars refusent de jouer le jeu démocratique, le 14 Mars décidera, à tort ou à raison, de choisir entre la peste et le choléra et élira, à condition que tous ses membres soient d’accord, un président à la majorité absolue. À ce moment-là, la riposte de l’opposition démarrerait sans trop de doutes une réaction en chaîne dont la moindre des répercussions serait l’embrasement d’une guerre civile, au moins blanche, suivie d’un découpage à la tronçonneuse de ces rachitiques 10 452 km2. Pour éviter cela, il y a une possibilité : que le 14 Mars s’inspire de l’homérique, de la mémorable bataille menée par Béchir Gemayel en 1982 pour assurer à la Chambre le quorum des deux tiers. Convaincre 18 députés ou les débaucher démocratiquement n’a rien d’herculéen. Surtout qu’en réalité, ce n’est pas tant le nom du successeur de Lahoud qui pose problème que la rageuse détermination de certains à ce qu’il n’y ait pas d’élection présidentielle. Autre éventualité, plus improbable mais tellement plus radicale : que les assises de Meerab et celles de Rabieh se mélangent à Bkerké et accouchent d’un nom, d’un seul, que les autres communautés seraient bien obligées d’accepter, au nom d’une réciprocité malheureusement bien légitime et dussent-elles le combattre durant six ans. Sauf que de la coupe aux lèvres, il y a là des océans de mégalomanie, des distances intersidérales. Elle est gueuse, l’histoire, surtout quand elle ricane : jamais élection présidentielle ne s’est autant rapprochée d’une libanisation qui obéisse au minimum syndical de toute souveraineté qui se respecte et jamais élection présidentielle n’aura pourtant autant porté en elle les germes d’un éclatement irrémédiable. Reste ce qui ressemble étrangement à une tautologie, hermétique et somptueuse : Pourquoi le chaos est rempli d’espoir ? Parce qu’il annonce une renaissance. De retour du Vatican, l’indispensable Nasrallah Sfeir leur ouvrirait grandes et volontiers les portes de Bkerké, les nourrirait et les logerait jusqu’à ce qu’il en ressorte ce (pré)nom, unique, qui ferait royalement taire le plus grimaçant des éclats de rire. À condition, naturellement, qu’ils lui en fassent la demande, après avoir compris que l’on n’est pas obligé, parce que l’on est (politiquement) chrétien, de rester affaibli, soumis et suiviste, ou stupide. Ziyad MAKHOUL
Donc, au commencement, c’était Chaos. Chaos précède non seulement l’origine du monde, mais aussi celle des dieux : Gaïa la Terre, Éros le Désir, Tartare les Enfers, Érèbe les ténèbres des Enfers et Nyx la Nuit. Le père. Chaos c’est la primo-infection, ou l’espoir, la naissance. C’est l’alpha. Ici, dans ce non-pays, cela pourrait être d’abord et surtout l’oméga, la...