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Actualités - OPINION

PERSPECTIVE Entre valeurs souverainistes et calculs politiciens Michel TOUMA

Lorsqu’en 2002, le chef du Front national, Jean-Marie Le Pen, s’était qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle, toutes les familles politiques françaises ont estimé que les valeurs républicaines étaient en danger. Elles ont alors toutes réagi spontanément, sans hésitation aucune, et ont fait bloc autour du candidat du RPR, Jacques Chirac, qu’ils ont soutenu comme un seul homme lors du second tour. Aussi bien les socialistes que les communistes ou les écologistes ont mis une sourdine à leur rivalité traditionnelle avec Jacques Chirac et le parti néogaulliste pour barrer la route au danger qui menaçait, selon eux, les valeurs républicaines. Soucieux de préserver ce qui constitue en France des constantes nationales, ils ont su transcender leurs calculs politiques réducteurs et ont eu le réflexe de ne pas faire le jeu de celui qu’ils percevaient comme une menace réelle pour les fondements sur lesquels sont basés le système politique et les valeurs socioculturelles en France. Aucune comparaison n’est, certes, possible entre les traditions démocratiques, et la vie politique en France et au Liban. Mais si l’on se permet, malgré tout, un petit exercice d’extrapolation et de schématisation, l’on peut considérer que dans le contexte spécifique présent, les options souverainistes sont pour le Liban l’équivalent de ce que représentent pour la France les valeurs républicaines – perçues comme un facteur de stabilité interne ou comme des dénominateurs communs régissant le contrat social entre les grandes familles politiques locales. Tout déviationnisme faisant fi de ces valeurs communes devrait entraîner un sursaut national, un réflexe de dépassement des considérations politiciennes étroites pour préserver ce qui devrait constituer le ciment sociopolitique du pays. Or malheureusement, certaines fractions libanaises censées être à l’avant-garde du courant souverainiste ont adopté ces derniers mois une ligne de conduite aux antipodes de l’exemple français de 2002, faisant prévaloir les règlements de comptes politiques au détriment des options stratégiques et nationales de base. En clair, le processus enclenché au printemps 2005 à la faveur de l’intifada de l’indépendance a une dimension historique et nationale qui n’a pas son équivalent dans l’histoire contemporaine du Grand Liban depuis 1920… L’esprit du 14 Mars constitue une étape fondatrice sur la voie de l’émergence et de la consolidation d’une sensibilité « libaniste », d’une sorte de nationalisme libanais qui était jusqu’à récemment l’apanage, principalement, des chrétiens. Mais ces derniers, dans le sillage de la révolution du Cèdre, ont été rejoints dans cet itinéraire libaniste et souverainiste par les composantes sunnite et druze du tissu social libanais. Et si les chiites, dans un tel contexte, ne se sont pas encore associés à cette entreprise nationale, c’est peut-être parce que leur représentativité est pour l’heure prise en otage et monopolisée par un parti dont la structure, la doctrine et le projet politique transcendent fondamentalement les frontières libanaises et revêtent un caractère profondément transnational. Les plus sceptiques rétorqueront que l’adhésion sunnite et druze aux options souverainistes n’est que conjoncturelle et n’est stimulée que par la nature du régime en place à Damas. C’est faire peu cas de la lente mutation perceptible au niveau de ces deux composantes qui a éclaté au grand jour en février-mars 2005. Une mutation sur laquelle il est impératif, en tout cas, de capitaliser, si tant est que l’objectif recherché est d’aboutir à un sentiment national commun, à l’émergence de valeurs libanistes commues, à l’édification d’un État rassembleur, équilibré et véritablement représentatif du pluralisme sociocommunautaire du pays. C’est dans une large mesure cet esprit même que le catholicos Aram Ier a sans doute voulu évoquer dans la déclaration capitale qu’il a faite vendredi à l’issue d’un entretien à Dimane avec le patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir : « Nous devons agir dans le cadre du concept de la nation et celui de l’État, et non pas dans celui du communautarisme étroit », le Liban n’étant pas « simplement un pays de coexistence entre les communautés ». « Lorsque les diverses communautés qui forment la famille libanaise vivront une vie authentiquement commune, c’est alors que la nation deviendra un État fort », a ajouté le patriarche arménien-orthodoxe. En filigrane, ces propos mettent en évidence, implicitement, l’importance d’aboutir à une double maturation interne : l’émergence de valeurs libanistes et d’un sentiment national commun partagés par toutes les composantes de la société ; et l’édification d’un État équilibré, réellement souverain, politiquement indépendant. Cela implique obligatoirement de faire barrage à toute tentative étrangère de noyauter ou de torpiller cette entreprise de construction de la « maison libanaise ». Cela rejoint, dans son essence, l’esprit du 14 Mars, le processus fondateur de la révolution du Cèdre. Or, c’est précisément ce processus qui est la cible, depuis près de deux ans, d’une contre-offensive syro-iranienne qui se manifeste quotidiennement sous les aspects les plus diversifiés. Faire le jeu de cette double contre-offensive pour régler des comptes politiques ou pour tenter de se frayer un chemin vers Baabda est une attitude qui ne saurait être passée sous silence. C’est comme si, pour reprendre l’exemple français de 2002 – et toute proportion gardée –, les communistes ou les socialistes avaient adopté lors de la présidentielle une attitude augmentant les chances de succès de Jean-Marie Le Pen dans le seul but de régler leurs comptes avec Jacques Chirac, menaçant ainsi les valeurs républicaines pour lesquelles ils ont eux-mêmes lutté. Le cas présent du Liban est, à l’évidence, beaucoup plus grave que le précédent de la présidentielle française de 2002. Ce qui est reproché, encore une fois, au général Michel Aoun, c’est d’avoir, ces derniers mois, suivi une ligne de conduite (en tous points politicienne) qui, objectivement et pratiquement, a facilité grandement, et facilite toujours la tâche aux Syriens et aux Iraniens dans leur entreprise de sabotage du projet politique pour lequel le chef du CPL a lui-même longtemps lutté. Et tout récemment, c’est le même reproche qui a été fait à la direction du parti Tachnag à l’occasion de la partielle du Metn. Que le Tachnag veuille régler ses comptes avec le Courant du futur pour se venger de la marginalisation, certes inacceptable, dont il a été victime depuis le début des années 90, cela est de bonne guerre. Mais ce qui est moins compréhensible et admissible, c’est que – à l’instar du général Aoun – le directoire du Tachnag fasse objectivement le jeu de l’axe syro-iranien et qu’il tire un trait sur les options souverainistes dont il était lui aussi, traditionnellement, le premier défenseur, dans le seul but de défendre des intérêts électoraux et politiciens. Tout le monde se souvient en effet que depuis les années 60, le Tachnag se rangeait systématiquement dans le camp de l’État et de l’option souverainiste, refusant de faire le jeu de ceux qui tentaient de saper les fondements de l’édification des institutions étatiques. Il est par voie de conséquence troublant de voir le parti arménien se démarquer de cette ligne de conduite traditionnelle au moment bien précis où le projet souverainiste est menacé par des visées extérieures. Avoir suffisamment de discernement et de clairvoyance pour savoir dissocier, en période de crise aiguë, les calculs tactiques des options stratégiques, l’approche micropolitique de la vision nationale globale : telle est la ligne de conduite que des fractions telles que le CPL et le directoire du Tachnag sont appelées à adopter. Dans l’esprit du catholicos Aram Ier. Et du précédent de la présidentielle française de 2002.
Lorsqu’en 2002, le chef du Front national, Jean-Marie Le Pen, s’était qualifié pour le second tour de l’élection présidentielle, toutes les familles politiques françaises ont estimé que les valeurs républicaines étaient en danger. Elles ont alors toutes réagi spontanément, sans hésitation aucune, et ont fait bloc autour du candidat du RPR, Jacques Chirac, qu’ils ont soutenu...