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Euromed : les causes de l’échec, les raisons de l’espérance

Par Jean-Louis GUIGOU, Michel K. MOUBAYED * Le pire est arrivé. Huit chefs d’État sur dix des pays du Sud ne se sont pas rendus à l’invitation des vingt-cinq chefs d’État de l’Union européenne à Barcelone pour célébrer le dixième anniversaire des accords fondateurs de novembre 1995 ; l’UE n’avait rien à leur proposer de neuf si ce n’est des mesures concernant la sécurité en Europe, l’immigration clandestine et le terrorisme. L’Europe apparaît frileuse, incapable de projets d’espérance ; elle vieillit et s’enferme sur ses frontières. Les États-Unis, qui introduisent dans les pays arabes leur politique du Grand Moyen-Orient, sont les gagnants de l’affaire. Un anniversaire qui se présentait mal Nombreux étaient les observateurs qui considéraient que le bilan du processus de Barcelone, sans être négatif, n’était pas à la hauteur des enjeux. Pourquoi ? Parce que l’UE a accordé la priorité à sa propre émergence à l’Est. Parce que le conflit du Proche-Orient a grippé la coopération. Parce que l’immigration, certes non maîtrisée, était fondamentalement présentée comme une menace. Parce que le management de ce partenariat a été davantage technocratique que politique. Parce que les élites et les gouvernements, au Nord comme au Sud, se sont trop souvent satisfaits du statu quo politique et de l’économie de rente. Enfin parce que les pays du Sud n’ont pas mené toutes les réformes économiques et politiques permettant d’en faire des territoires attractifs au même titre que la Chine, l’Inde ou l’Amérique latine. Cinq convictions pour fonder une ambition régionale 1 - Les pays arabes stagnent sur le plan économique, ce qui provoque une émigration massive – y compris de leurs cerveaux – et qui va s’accroître. Face à cela, l’Europe peut développer un instinct de peur. Mais comme elle a pu naguère dépasser la peur de la guerre franco-allemande ou la peur du communisme en les transformant en rêves puis en réalité (amitié franco-allemande, Union européenne, monnaie unique…), nous avons la conviction qu’elle peut transformer sa peur du monde arabe et de l’islamisme en une refondation mobilisatrice. 2 - Il est possible de rapprocher les deux rives de la Méditerranée par l’économie de production, inscrite dans la perspective du développement durable. La croissance économique européenne s’est nourrie, tout au long des XIXe et XXe siècles, d’une part des guerres et de la reconstruction, d’autre part de la colonisation pour s’assurer des matières premières et des marchés. Ces deux leviers sont désormais impossibles. Un autre levier se met en place qui transforme la proximité géographique en atout stratégique. Après avoir accepté le Portugal et chassé la dictature, après avoir intégré l’Espagne et consacré la démocratie, après avoir accueilli la Grèce libérée des colonels, l’économie européenne s’associe à présent celle de la Turquie, à charge pour cette dernière de négocier son intégration politique. D’ici à dix ans au plus, l’Europe économique et commerciale se développera « nécessairement » avec le monde arabe et Israël, donnant naissance à la région du monde méditerranéen – une des régions majeures du globe. Cette interpénétration doit trouver son aboutissement dans une formule politique moderne. 3 - L’avenir de l’Europe et son destin sont liés à celui du Sud de la Méditerranée ; l’avenir des pays de la rive Sud est lié au destin de l’Europe. La proximité historique, géographique et culturelle est trop forte, notre complémentarité économique trop évidente : technologies et savoir-faire, marchés, main-d’œuvre et matières premières. En dix ans, les pays de la rive Sud peuvent et doivent devenir les Dragons du monde méditerranéen. 4 - Les pays de la rive Sud n’ont pas besoin d’argent. Ils en ont. On ne peut ignorer les 1 000 milliards de dollars des pays arabes placés dans les pays de l’OCDE, ni les 50 milliards de dollars du « plan Marshall » algérien (construction d’infrastructures financée par le renchérissement pétrolier), ni les 10 milliards des flux financiers que les immigrés maghrébins envoient chaque année dans leur pays d’origine. Que pèsent les 330 millions d’euros annuels engagés par les fonds MEDA de l’UE dans les pays du partenariat méditerranéen depuis dix ans ? 5 - Les uns comme les autres, au Nord comme au Sud, ont besoin d’une utopie mobilisatrice et d’une espérance, celle de redonner à la Méditerranée son vrai sens : Mare Médi-Terra-Nostrum – le même sens qu’en langue arabe, « al-Moutawasset ». Pour l’avenir de « nos terres » qui entourent cette mer commune et leurs habitants, nous devons voir loin ; anticiper ; proposer un projet à vingt ans. Les peuples n’avancent pas s’ils ne savent pas vers quoi ils vont. Pour une Communauté du monde méditerranéen Comme le souligne Bill Clinton avec raison (Le Monde du 10 août 2005), les gouvernements, prisonniers de leurs frontières, du court terme et de leurs égoïsmes nationaux, tergiversent. Associant les ONG, les universités, les collectivités locales, mais aussi les entreprises, la société civile doit être le moteur, conduire les États à un partenariat auquel ces acteurs sont déjà parvenus dans le Pacifique avec l’APEC, et qui doit trouver en Méditerranée une dimension plus ambitieuse encore. Que soit créée une Communauté du monde méditerranéen, inspirée du modèle de la Communauté européenne, et qu’un dispositif institutionnel minimal garantisse l’efficacité de ce projet paritaire. Qu’un programme ambitieux d’infrastructures économiques et sociales, impliquant une coresponsabilité Nord-Sud, affronte les vrais défis du développement dans les pays méditerranéens : éducation de masse, formation professionnelle, création de champions économiques nationaux et constitution de pôles de compétitivité technologique au Sud, grands équipements. Que deux ou trois politiques communes dans les secteurs d’intérêt régional (gestion durable de l’eau, échanges agricoles, migrations qualifiantes et enseignement supérieur) donnent son sens à cette nouvelle communauté. * Cofondateurs de l’Association Calame – Centre d’analyse et de liaison des acteurs de la Méditerranée, un «think tank» indépendant des gouvernements, qui s’est fixé pour objectif de rapprocher les deux rives de la Méditerranée.
Par Jean-Louis GUIGOU, Michel K. MOUBAYED *

Le pire est arrivé. Huit chefs d’État sur dix des pays du Sud ne se sont pas rendus à l’invitation des vingt-cinq chefs d’État de l’Union européenne à Barcelone pour célébrer le dixième anniversaire des accords fondateurs de novembre 1995 ; l’UE n’avait rien à leur proposer de neuf si ce n’est des mesures concernant la...