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Actualités - OPINION

IMPRESSION Idoles

Partout ailleurs, quand les jeunes ont besoin d’idéal, ils choisissent leur guide parmi les penseurs, les sportifs, les vedettes de la chanson, de la danse ou du cinéma, les maîtres spirituels, les héros intemporels. Les affiches qui trônent dans les antres des moins de vingt ans sont autant de miroirs qui les projettent dans l’avenir. Portraits de tuteurs imaginaires, ils offrent des contours à l’image un peu floue que l’on se fait encore de soi. Au Liban, l’idole des jeunes est drôlement atypique. Qu’elle porte la barbe et le turban, la soutane, la cravate, la calvitie façon capucin ou le trois-pièces façon grand-bourgeois, elle ne ressemble à rien de familier dans les sanctuaires de la jeunesse mondiale. L’idole des jeunes Libanais habite un bunker imprenable et s’entoure de costauds, holster sous le veston, et tortillon derrière l’oreille avec lequel on peut les téléguider. L’idole des jeunes tient salon, comme au temps de Louis XIV, avec des bancs le long de la pièce où l’on attend son tour pour dire bonjour. Quand elle sort, elle fait beaucoup de bruit pour signifier qu’elle passe, mais ne veut surtout pas qu’on la voie à travers les vitres fumées de sa berline. Autrement, elle n’est visible qu’à la télé, derrière les micros où elle règle ses comptes avec l’idole adverse ou bien vous engueule, oui, vous, parce que vous ne partagez pas ses idées. Ces idoles-là ont longtemps refusé la présence d’écoles ou d’universités dans leur fief. L’instruction de la piétaille, le saviez-vous, sème le doute, crée des ambitions sacrilèges, permet à certaines têtes de dépasser les autres, introduit un virus incontrôlable dans le système huilé de la tradition féodale. Car notre démocratie repose encore sur la structure clanique, et les programmes électoraux ne leurrent personne. Quand je vois des gamines pleurer d’émotion pour avoir été embrassées par Samir Geagea, je me pose des questions. Non pas sur la personne du chef des Forces libanaises, mais sur le phénomène qui induit de telles réactions. À quinze ans ou même un peu plus, cette jeune femme n’a pas connu cet homme puisqu’elle était à peine née quand il fut condamné. D’où vient alors, si l’on écarte la forte émotivité de son âge, qu’elle se comporte comme si elle avait été touchée par la grâce ? Il est vrai que le Liban n’a pas fini de soigner ses blessures, et il faut croire qu’elles sont congénitales, à voir les jeunes en souffrir à leur tour. Mais l’Oriental est idolâtre. Il lui faut des statues. Il lui faut des Nasser, des Saddam, des Assad. Il fabrique ses tyrans, les porte aux nues, ne leur refuse aucun caprice, aucun abus. Il en souffre de son plein gré, sacrifiant son individualité à la survie du groupe comme le font les fourmis. Demanderons-nous un jour à nos dirigeants autre chose que la préservation de notre identité communautaire ? C’est alors seulement que les jeunes, libérés de leurs appartenances, pourront grandir et se rêver en grand. Fifi ABOU DIB
Partout ailleurs, quand les jeunes ont besoin d’idéal, ils choisissent leur guide parmi les penseurs, les sportifs, les vedettes de la chanson, de la danse ou du cinéma, les maîtres spirituels, les héros intemporels. Les affiches qui trônent dans les antres des moins de vingt ans sont autant de miroirs qui les projettent dans l’avenir. Portraits de tuteurs imaginaires, ils offrent des...