Par Carole H. Dagher
C’est avec désenchantement que les Libanais de divers horizons, qui se sont mobilisés du 14 février au 14 mars pour crier leur soif de justice, de vérité, d’indépendance et d’unité nationale, assistent au spectacle affligeant du bazar électoral qui se déroule sous leurs yeux.
Le jeu des alliances électorales, naturel en démocratie, devrait prendre en compte l’union sacrée qui a permis aux Libanais de reconquérir leur indépendance. D’autant que les objectifs pour lesquels cette union sacrée s’est formée sont loin d’être encore atteints :
– les informations de presse régulièrement publiées montrent que le retrait des troupes syriennes et de leurs services de renseignement n’a pas été complété, notamment dans la région de Deir el-Achaer ;
– des zones de non-droit ou de non-souveraineté subsistent sur le territoire libanais, ainsi que les membres de la commission d’enquête de l’Onu l’ont expérimenté il y a quelques jours ;
– la question des détenus libanais dans les geôles syriennes n’a pas encore été réglée ;
– la pratique terroriste des attentats d’intimidation ne s’est pas interrompue, le dernier en date de ces « rappels » ayant visé une institution relevant de l’Église, « la Voix de la Charité » ;
– l’exigence de vérité n’est pas encore satisfaite: le peuple libanais veut savoir qui a tué Rafic Hariri et ses compagnons, parmi lesquels un député de la nation, Bassel Fleyhane. Demander que la vérité soit faite sur cet assassinat politique inqualifiable, c’est affirmer clairement que l’ère des liquidations politiques doit être révolue, au Liban mais aussi dans l’ensemble du monde arabe. Le peuple libanais l’a bien compris en brandissant les pancartes et les signes réclamant la vérité et demandant des comptes aux responsables sécuritaires. En effet, sans vérité, peut-il y avoir justice ? Construit-on un État sur les sables de l’oubli et de l’injustice ? Sans vérité surtout, la menace criminelle sera toujours présente, comme le démontre la récente vague d’attentats.
Ces réclamations qui furent celles de l’opposition, mais, plus généralement, de tous les honnêtes citoyens libanais, devrons-nous nous en décharger sur le dos de l’Onu (commission d’investigation sur l’assassinat de Hariri, commission de vérification du retrait militaire syrien, commission de supervision des élections…) et oublier qu’elles ont uni tous les Libanais? Sous prétexte d’avoir «passé le relais» à l’Onu, allons-nous nous concentrer uniquement sur ce qui nous divise : les élections?
Initialement, ces élections étaient considérées par l’opposition comme une phase transitoire, un moyen de faire aboutir ses demandes, par le biais d’un nouveau gouvernement et peut-être même d’une nouvelle élection présidentielle ainsi que d’une refonte ou épuration de l’administration sécuritaire. Peu importait même la nature de la loi électorale : caza ou mohafazat, l’opposition était sûre de l’emporter. L’exigence de tenir des élections coûte que coûte primait et a constitué l’un des slogans moteurs brandis place des Martyrs, sur la voie du changement souhaité.
Brusquement, ne voilà-t-il pas que la bataille nationale menée par l’ensemble des courants libanais coalisés, chrétiens, musulmans et druzes, se perd et s’enlise dans les sables mouvants du confessionnalisme?
Le combat pour la vérité, la justice, l’indépendance, l’unité nationale, se mue en faux problème confessionnel, pour la plus grande joie des adversaires d’un Liban unifié, libre et indépendant, visiblement toujours aussi actifs et efficaces.
Si les chrétiens et les musulmans ne s’étaient pas unis dans un même élan au lendemain de l’assassinat de Rafic Hariri, les États-Unis, l’Europe menée par la France et l’Onu se seraient-ils émus et se seraient-ils activés pour imposer la fin de la tutelle syrienne sur notre pays ?
La poursuite des objectifs communs de l’opposition ne mérite-t-elle pas que l’on fasse des compromis politiques afin de mener les élections 2005 à leur terme ? Sinon, pourquoi n’avoir pas soumis la loi électorale à un accord préalable entre les divers courants de l’opposition et s’y être tenus de manière définitive et non équivoque, comme une condition essentielle ?
Allons-nous par exemple, au nom du confessionnalisme, remettre en selle, réélire ou défendre ceux qui ont bradé la souveraineté nationale, vendu le Liban, terre et peuple, et renié leurs propres enfants ?
Le critère confessionnel prime-t-il sur l’unité nationale, sur les aspirations des citoyens, sur les exigences de vérité, de liberté, sur la nécessité de voir les responsables, quels qu’ils soient, chrétiens et musulmans, rendre compte de leurs actes ? Le confessionnalisme deviendra-t-il aussi le bouclier garant de l’impunité des uns et des autres ?
Pour ce qui concerne la représentativité communautaire, le communiqué de Bkerké pose de vrais questions et marque un tournant dans notre système électoral tel que pratiqué jusque-là depuis la première indépendance, en 1943. La représentation communautaire qui est à la base du système politique libanais n’a, jusqu’à présent, guère été au bout de sa logique : les élus du peuple, qu’ils soient chrétiens, druzes ou musulmans, sont élus par l’ensemble des habitants de la circonscription électorale, de toutes les communautés. Le principe étant que l’élu, quelle que soit sa confession, est le représentant de la nation et que son discours devrait être un discours non confessionnel mais national.
Mais le paradoxe est que les responsables politiques au Liban occupent leurs postes au nom de leurs communautés respectives. S’il faut adapter le mécanisme de leur élection à la logique communautaire, ils devraient être élus par leurs communautés respectives. Ce régime s’apparente constitutionnellement à un régime de fédération de communautés. Réclamer, comme le communiqué des évêques maronites vient de le faire, que les députés chrétiens soient choisis par leurs électeurs chrétiens, c’est aller jusqu’au bout de la logique communautaire de la répartition des sièges parlementaires (et même autres que parlementaires). C’est exiger que les représentants de la nation soient désormais les représentants de leur communauté d’abord et qu’ils rendent compte aux chefs de leur communauté au nom du peuple libanais.
Si tel est le but recherché et si les Libanais s’entendent sur cette formule, alors il faut œuvrer clairement pour qu’il en soit ainsi et mettre fin à l’hypocrisie d’un système qui n’assume pas ce qu’il est et qui a été consacré par Taëf et par la pratique de la troïka.
En attendant, le «peuple du 14 mars» devrait avoir la maturité nécessaire pour être conséquent avec lui-même et sanctionner aux élections tous ceux qui utiliseront l’argument confessionnel pour torpiller l’unité nationale si magnifiquement retrouvée.
Pour que tous ceux, chrétiens, druzes et musulmans, qui ont crié leur désir de changement, de vérité, de souveraineté et d’unité place de la Liberté ne soient plus des jouets aux mains de ceux qui utilisent la fibre confessionnelle pour les diviser ou qui sont prêts à rallumer une guerre pour un strapontin place de l’Étoile.
Nous n’avons libéré le Liban que par notre unité retrouvée, nous ne le reconstruirons que par elle.
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Par Carole H. Dagher
C’est avec désenchantement que les Libanais de divers horizons, qui se sont mobilisés du 14 février au 14 mars pour crier leur soif de justice, de vérité, d’indépendance et d’unité nationale, assistent au spectacle affligeant du bazar électoral qui se déroule sous leurs yeux.
Le jeu des alliances électorales, naturel en démocratie, devrait prendre en compte l’union sacrée qui a permis aux Libanais de reconquérir leur indépendance. D’autant que les objectifs pour lesquels cette union sacrée s’est formée sont loin d’être encore atteints :
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