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Actualités - OPINION

Des années vingt et de la joie de vivre

Durant les années vingt, ce paradis de Liban dont nous sommes gratifiés était baptisé le Grand Liban par le pouvoir mandataire. J’y suis né tout près du phare qui se dresse depuis bien longtemps à Ras-Beyrouth comme un jalon superbe de ce coin béni de la terre. Béni parce qu’une communauté islamo-chrétienne vit, depuis des siècles, comme une famille prodigieusement heureuse et homogène sur ce magnifique promontoire dominant l’est de la Méditerranée. Un point élevé duquel elle offre au monde entier, sans le moindre artifice, un exemple de convivialité et de tolérance uniques dans leur genre et dont l’humanité a grandement besoin de nos jours. Charles Debbas était alors président et cheikh Mohammed el-Jisr Premier ministre alors que Omar Zeenni se révélait être un grand maître de la poésie populaire. Les « arabiyyete à chevaux » et le tramway étaient encore les principaux moyens de locomotion. D’autre part, une pléiade de beys très dignes, tout de blanc vêtus en été, moustaches relevées à la Guillaume II, montre de poche rattachée à un « kistek » en or et « baston» d’ébène à la main, enjolivait les parages de la Manara (zone du phare). Georges Bassoul, Izzat Edelbi et l’avocat Achou y avaient bâti de très belles villas, et l’aimable Dr Najib Ardati (vivant dans une grande demeure à arcades de couleur rose, qui reste un repère bien connu, face au bain militaire) ainsi que Badr Dimechkieh, Ramez Ghazzaoui, Sleimane Abou Izzeddine et Abdel-Rahim Koleilat, y étaient des figures éminentes. Cela autant que le permet la mémoire de ce Ras-Beyrouthin qui (entre nous soit dit) a un mépris magistral pour les chiffres et les âges (à commencer par le sien, bien entendu). Nous faisions, Victor, son frère Édouard, Barhoum et moi-même, âgés entre huit et neuf ans, une bande d’inséparables dans ce joli coin du monde où, avec les autres gosses du quartier – filles et garçons – nous trouvions toujours mille façons de traduire le temps en joie de vivre. Et les espaces de l’avant-invasion du béton étaient là pour nous encourager à le faire. C’était tantôt la « ghummayda » (cache-cache), tantôt le saute-mouton interminable (bien plus animé) dans les susdits grands espaces. Mais chaque fois que nos parents nous le permettaient, notre bonheur extrême était d’aller faire trempette dans la mer toute proche, prudemment équipés de potirons asséchés comme flotteurs. Concurremment s’ajoutait l’aubaine de la « kharjieh » accordée aussi parcimonieusement que des diablotins le méritent. Ces petites fortunes, nous les dépensions pour savourer les folies de la bicyclette, louée à cinq piastres l’heure, ou pour nous bourrer des «giri-giri gâteaux» d’un vendeur grec ambulant, coutumier des lieux. Ou parfois de bien plus modestes « gazouzas » (aujourd’hui appelées sodas). Sans oublier les réjouissances de la « anzou’ah » (large balançoire pour quatre astronautes en puissance) ni la diablerie consistant à nous accrocher, pour un petit voyage aux frais de la princesse, au pare-chocs arrière du tramway... Et cela jusqu’à la station suivante seulement, mais sans toutefois nous priver d’une récidive-retour. Cependant, le grand jour était celui où un aîné bienveillant de la famille nous emmenait voir un film muet en noir et blanc de Harold Loyd, au cinéma du West Hall de l’AUB, ce haut lieu de la culture au campus féerique et pour lequel les Ras-Beyrouthins ont toujours eu une affection incommensurable, ne serait-ce que pour l’affabilité et la courtoisie sans pareil de ses professeurs. Mais que c’est loin tout ça, et que le monde serait meilleur si l’une de ces belles figures intellectuelles était à la place du cow-boy inculte qui, à présent, use et abuse de la puissance de son pays pour asperger de détresse notre région, sinon le monde entier ! Rachid A. KOLEILAT
Durant les années vingt, ce paradis de Liban dont nous sommes gratifiés était baptisé le Grand Liban par le pouvoir mandataire. J’y suis né tout près du phare qui se dresse depuis bien longtemps à Ras-Beyrouth comme un jalon superbe de ce coin béni de la terre. Béni parce qu’une communauté islamo-chrétienne vit, depuis des siècles, comme une famille prodigieusement heureuse et homogène sur ce magnifique promontoire dominant l’est de la Méditerranée. Un point élevé duquel elle offre au monde entier, sans le moindre artifice, un exemple de convivialité et de tolérance uniques dans leur genre et dont l’humanité a grandement besoin de nos jours.
Charles Debbas était alors président et cheikh Mohammed el-Jisr Premier ministre alors que Omar Zeenni se révélait être un grand maître de la poésie...