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Actualités - OPINION

TRIBUNE Les législatives de 2005 : une chance de résurrection démocratique ? *

Par le professeur Pascal MONIN Responsable du Master Information et Communication de l’Université Saint-Joseph Le grand chantier de l’élaboration de la loi électorale bat son plein. Le pouvoir et l’opposition plurielle ont déjà annoncé la couleur en clarifiant leur position respective sur ce plan. Le débat fiévreux a déjà été lancé dans les milieux politiques, à différents niveaux, au sujet du découpage des circonscriptions électorales. Et à quelques semaines du scrutin, la grande question qui se pose est de savoir si la consultation populaire du printemps prochain sera réellement conforme aux critères et aux normes de tout système démocratique sain. L’option du caza comme unité électorale (conformément à la loi de 1960) ayant été retenue, sauf surprise de dernière minute, il serait utile de rappeler les conditions qui devraient être réunies pour assurer le succès du processus électoral. Force est de relever, d’entrée de jeu, que les élections parlementaires d’avant 1992 n’étaient pas idéales. Néanmoins, les Libanais à l’époque ne pouvaient nier l’intégrité du président Fouad Chéhab acceptant le verdict électoral des Kesrouanais, ou bien l’honnêteté du président Charles Hélou reconnaissant en 1968 l’échec des listes loyalistes du Nahj, ou encore la fermeté du président Sleimane Frangié (alors ministre de l’Intérieur) allant jusqu’à menacer de démissionner afin de garantir un processus électoral démocratique et libre. Depuis 1992, « les maîtres du jeu », ignorant la tradition démocratique du Liban, façonnent les différentes lois électorales sur mesure et font preuve d’une imagination remarquable pour doter le pays de formules n’assurant aucune réelle représentativité ni transparence, poussant les citoyens à voter sans élire. Ce serait une lapalissade que de souligner qu’une représentation équitable devrait être la préoccupation première du ministère de l’Intérieur et du pouvoir en général, tout comme la délimitation des circonscriptions avec honnêteté et selon un critère unique. Mais c’est aux juristes qu’il faut confier l’élaboration d’une loi moderne et d’un découpage électoral permettant aux citoyens d’exprimer leur opinion en toute liberté. Dans ce cadre, l’élargissement des circonscriptions, sous prétexte de sauvegarder la cohésion nationale, ne peut que produire des effets néfastes. Ainsi, les minorités se sentiront marginalisées et exclues, alors que le Parlement devrait être la tribune de toutes les parties et tendances politiques, et le lieu idéal pour tout débat ou dialogue. Les injustices des trois dernières lois électorales demeurent présentes dans les esprits. Ainsi, l’élargissement des circonscriptions ne peut que favoriser « le rouleau compresseur » et les « bus électoraux » et donne le mot de la fin « au conducteur », les candidats n’ayant pour seul but que de préserver la confiance du « décideur ». La loi électorale doit assurer une représentativité authentique garantissant l’arrivée au Parlement de députés qui se chargeraient d’introduire les changements nécessaires et de remettre le pays sur la voie de la démocratie, de l’indépendance et de la souveraineté. Cela ne serait possible qu’en assurant un contact réel et direct entre les candidats et les électeurs à travers l’adoption des petites ou moyennes circonscriptions, avec scrutin majoritaire. Notons à cet égard que les circonscriptions moyennes ne doivent pas représenter un simple camouflage des grandes circonscriptions, mais un découpage garantissant un processus rationnel et équitable mettant en valeur les liens de proximité entre électeurs et élus. La proportionnelle et l’uninominale Quant à la proportionnelle, elle demeure un bon choix et pourrait assurer une bonne représentativité. Cependant, la composition confessionnelle de la société libanaise, en l’absence de partis politiques non confessionnels, rend actuellement très complexe l’application de ce système. En ce qui concerne la circonscription uninominale, elle est dans l’absolu la meilleure solution susceptible de garantir la vraie représentation du peuple. Mais son adoption au Liban, en l’absence de partis politiques nationaux et non confessionnels, favoriserait le sectarisme, les antagonismes familiaux, la radicalisation des positions et relancerait les querelles de clochers, influençant le choix des électeurs. Par conséquent, les programmes électoraux ne peuvent que régresser en faveur des relations et des intérêts personnels. Au Liban, en l’absence d’une réelle culture électorale et démocratique, les conditions d’adoption d’un tel découpage électoral ne sont pas encore réunies. En fait, une représentativité effective et authentique est presque impossible dans le cadre de larges circonscriptions, alors que dans les petites circonscriptions (comme les cazas), l’électeur se présente comme maître du jeu puisqu’il y recouvre une liberté perdue. Ainsi, sa voix retentirait dans les urnes et ne serait pas noyée dans une nébuleuse comme c’est le cas dans les grandes circonscriptions. En outre, l’abaissement à 18 ans du droit de vote s’avère être une nécessité pour assurer aux jeunes un espace démocratique où ils pourraient s’exprimer et exercer leurs responsabilités dans le choix de leurs représentants et par conséquent de leur avenir. Quant à la femme libanaise, elle devrait pouvoir participer pleinement à la vie politique du pays. Or ceci s’avère toujours difficile au Liban en ce début du XXIe siècle. Il est temps donc d’élargir la représentativité de la femme au Parlement, de sorte qu’elle puisse partager les responsabilités politiques (par l’adoption d’un système de quotas, du moins dans un premier temps, en attendant l’évolution des mentalités). De même, un nombre de députés devrait être prévu pour permettre aux Libanais de l’étranger d’avoir leurs propres représentants au sein du Parlement (à l’instar des sénateurs des Français de l’étranger). Pratiquement, cela serait possible à travers la création d’un Conseil supérieur des Libanais de l’étranger permettant, dans un deuxième temps, aux Libanais de la diaspora d’élire leurs députés dans leurs consulats, sans considération régionale mais avec répartition communautaire. Quant au Conseil constitutionnel, il faudrait reconsidérer son rôle et ses fonctions en lui octroyant le droit d’examiner la constitutionalité des lois de sa propre initiative (sans recours), comme c’est le cas dans de nombreux pays démocratiques. Cette instance sera ainsi plus efficace et totalement libre de ses décisions pour arbitrer les recours en invalidation qui lui seraient présentés et pour contrôler d’une manière indépendante le processus électoral et sa transparence. La gestion du processus électoral Indépendamment de l’ensemble de ces facteurs, force est de relever que l’adoption de la loi électorale ne suffit pas à elle seule. La gestion de tout le processus électoral paraît aussi importante pour assurer la liberté totale aux candidats et aux électeurs. Le déroulement du processus électoral, les candidatures, la composition des listes, les alliances, l’établissement des listes des électeurs, le dépouillement des voix et l’annonce des résultats sont autant d’éléments majeurs qui garantissent l’arrivée au Parlement des vrais représentants du peuple. Dans ce contexte, il faut souligner l’importance de l’isoloir qui assure à l’électeur une plus grande liberté de choix. Pour cette raison, l’isoloir ne peut être considéré comme une procédure formelle, mais comme une condition essentielle à des élections libres (dans certains pays, comme la France, lors des dernières législatives, l’absence de l’isoloir a conduit à l’annulation des élections de certains candidats). Dans le cadre de la gestion des élections, il serait important et nécessaire de créer un organe ou un conseil des élections, composé à titre d’exemple des bâtonniers de l’Ordre des avocats, des présidents des Ordres de la presse et des journalistes, ainsi que d’un nombre de juristes, d’académiciens et de représentants de la société civile. Leur expérience et leur indépendance contribueraient à améliorer la préparation et le déroulement des élections dans la transparence et la sérénité. En l’absence d’un gouvernement neutre ou d’observateurs internationaux, il serait bon également d’avoir recours le plus tôt possible, et durant la phase préparatoire, à des instances internationales indépendantes non gouvernementales, à l’instar de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ou l’association présidée par l’ancien président américain Jimmy Carter, afin de profiter de leurs expériences en matière de démocratie représentative. De même, il s’avère impossible d’assurer l’intégrité des élections si les dépenses des campagnes électorales demeurent sans plafond. En effet, le Liban connaît une grave crise économique et l’influence de « l’argent politique » n’aura qu’un effet négatif dans ce processus. Il faudrait donc limiter les dépenses et trouver le moyen efficace de les contrôler afin de garantir l’égalité des chances pour tous les candidats. Enfin, il faudrait élaborer les textes juridiques nécessaires à la communication et à la publicité électorales, pour que les médias ne se transforment pas en une arme entre les mains des candidats fortunés ou influents. En définitive, le succès de la prochaine échéance électorale exige un environnement sain à tous les niveaux. Dans ces circonstances de bouleversements régionaux et internationaux, c’est au pouvoir d’assurer les conditions d’un tel climat de transparence. Il serait alors possible d’espérer que le mois de mai 2005 marque la résurrection de la démocratie libanaise et les prémices du rétablissement d’un État souverain et indépendant. Le dernier mot revenant évidemment aux urnes. * Extrait d’un ouvrage à paraître, intitulé : « La voie vers la liberté et la démocratie ».


Par le professeur Pascal MONIN
Responsable du Master Information et Communication de l’Université Saint-Joseph

Le grand chantier de l’élaboration de la loi électorale bat son plein. Le pouvoir et l’opposition plurielle ont déjà annoncé la couleur en clarifiant leur position respective sur ce plan. Le débat fiévreux a déjà été lancé dans les milieux politiques, à...