Les trains d’approvisionnement des Américains passaient régulièrement dans Arak, le village ancestral de mon père, alors une oasis pittoresque de verdure, de jardins et de vergers. « Chaque fois que nous entendions le train arriver », me raconta un jour mon père, « tous les jeunes garçons du village se précipitaient aussi rapidement qu’ils le pouvaient à travers les vergers de pommes pour...
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Les relations américano-iraniennes peuvent-elles être revitalisées ?
Par Catherine Merlen, le 19 janvier 2005 à 00h00
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats alliés occupèrent l’Iran, se servant du pays comme d’une étape dans le transport de l’approvisionnement entre le Golfe persique et l’Union soviétique. Ce fut là le premier contact des Iraniens avec les Américains. « Ils sont arrivés dans notre pays avec une certaine innocence », raconte Kaveh Bayat, un historien iranien respecté, « et sans aucune prétention coloniale ».
Les trains d’approvisionnement des Américains passaient régulièrement dans Arak, le village ancestral de mon père, alors une oasis pittoresque de verdure, de jardins et de vergers. « Chaque fois que nous entendions le train arriver », me raconta un jour mon père, « tous les jeunes garçons du village se précipitaient aussi rapidement qu’ils le pouvaient à travers les vergers de pommes pour aller saluer les Américains de passage. Ils nous souriaient et nous faisaient des signes de la main, tout en nous lançant les petits cadeaux qu’ils avaient avec eux : des cartes à jouer, de la gomme à mâcher, des bonbons... Ils nous apparaissaient comme des héros venus d’un autre monde. »
Les choses ont bien changé depuis. La révolution iranienne de 1979 s’est débarrassée du régime proaméricain et non démocratique du shah pour mettre en place le régime antiaméricain et non démocratique des religieux. Les relations entre les États-Unis et l’Iran sont devenues officiellement inexistantes depuis qu’un groupe d’étudiants extrémistes a pris d’assaut l’ambassade américaine de Téhéran, il y a 25 ans, retenant soixante-six Américains en otages pendant 444 jours. Soixante ans plus tôt, Arak était un petit village connu des soldats américains pour ses raisins, aujourd’hui les officiers du Pentagone le singularisent comme une ville industrielle qui participe à l’inquiétant programme nucléaire iranien.
Et pourtant, peu de pays ont des relations aussi paradoxales que les États-Unis et l’Iran. Tandis que le régime iranien persiste dans ses attitudes belligérantes et antiaméricaines, le peuple iranien est ouvertement proaméricain. Alors que les gouvernements de Téhéran et de Washington font figure de grands rivaux stratégiques, comme le disait l’ancien secrétaire d’État Henry Kissinger, « il y a peu de nations au monde avec lesquelles les États-Unis ont moins de raison de se quereller ou des intérêts plus compatibles que l’Iran ».
En effet, l’Iran, plus que tout autre pays, a tiré profit des changements de régimes impulsés par les États-Unis en Afghanistan et en Irak, puisque les talibans tout autant que Saddam Hussein étaient les ennemis jurés du pays.
Pourtant, aucun pays n’a profité de l’occasion pour développer ce terrain d’entente, et les relations américano-iraniennes d’aujourd’hui sont toujours aussi antagonistes qu’elles l’ont été par le passé. Pour les États-Unis, les ambitions nucléaires de l’Iran, son opposition à Israël et son soutien des groupes extrémistes sont devenus toujours plus intolérables dans le cadre de la guerre contre le terrorisme.
L’opposition historique de l’Iran aux relations avec les États-Unis est un peu plus complexe que cela. Il est certain qu’une grande partie de la classe dirigeante au pouvoir en Iran a fait ses premières armes en politique lors des troubles anti-impérialistes et anticoloniaux des années 1960 et 1970 et qu’elle s’accroche encore à cette vision du monde. Bien que leur zèle révolutionnaire se soit quelque peu émoussé au fil des ans, ces dirigeants partagent encore la vision de feu l’ayatollah Khomeyni qui comparait les relations américano-iraniennes à celles que le « loup entretient avec l’agneau ».
La rigidité idéologique à elle seule cependant ne suffit pas à expliquer l’antiaméricanisme souvent gratuit de l’Iran. Pour l’élite politique et militaire iranienne, toute libéralisation accrue qui déboucherait probablement sur une ouverture des liens avec les États-Unis représente une menace envers leurs intérêts. Dans cette perspective, l’Iran est maintenant une chasse gardée, leur chasse gardée, et moins la chasse s’ouvrira sur l’extérieur plus ils y seront heureux. L’Amérique s’étant enlisée en Irak et les prix du pétrole dépassant tous les records jour après jour, les défenseurs de la ligne dure du régime ne sont pas prêts à faire des compromis pour le moment.
Par ailleurs, certains Iraniens puissants, emmenés par l’ancien président Hachémi Rafsandjani, reconnaissent que les relations avec les États-Unis sont inévitables, dans la mesure où l’Iran a besoin de réintégrer la communauté internationale pour faire face à ses lacunes économiques. De plus, le peuple iranien est en grande partie favorable à un rapprochement.
Comme le faisait remarquer l’écrivain Afshin Molavi dans son récit de voyage incisif intitulé Persian Pilgrimages (Récit de voyages persans), les jeunes Iraniens d’aujourd’hui ne sont pas des révolutionnaires idéalistes comme c’était le cas trente ans plus tôt. Ils ont plutôt des exigences concrètes : ils veulent du travail et la liberté politique et civile. Ils veulent impatiemment rejoindre la communauté internationale et se débarrasser de leur mauvaise réputation internationale.
Les intellectuels iraniens ont aujourd’hui entrepris la même mutation, rejetant les idéaux politiques « utopiques » et « nativistes » de leurs prédécesseurs. Parlant de Jalal al-e Ahmad et de son livre Gharbzadegi (« Ouestoxication »), publié en 1962 et devenu depuis le manifeste de la révolution de 1979, un intellectuel laïc de Téhéran me faisait remarquer que « personne ne lit plus aujourd’hui l’œuvre d’al-e Ahmad ». Au contraire, nous recherchons l’interaction avec l’Ouest. Si cela peut nous apporter davantage d’ouvertures économiques, ainsi que la liberté politique et civile, alors soyons « ouestoxiqués ».
Cependant, malgré la demande populaire en Iran et les intérêts stratégiques communs, il pourrait bien s’écouler un certain nombre d’années avant que l’Amérique et l’Iran ne s’assoient à la même table pour faire amende honorable. Après 25 ans de vie séparée, la réconciliation ne sera pas immédiate. Quand elle se produira, il y a de bonnes raisons de croire que les Iraniens accueilleront leurs amis perdus de longue date avec la même chaleur amicale et la même exubérance affichées, soixante ans plus tôt, à Arak.
*Karim Sadjadpour est un analyste de l’International Crisis Group.
” Project Syndicate. Traduit de l’anglais par Catherine
Merlen
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les soldats alliés occupèrent l’Iran, se servant du pays comme d’une étape dans le transport de l’approvisionnement entre le Golfe persique et l’Union soviétique. Ce fut là le premier contact des Iraniens avec les Américains. « Ils sont arrivés dans notre pays avec une certaine innocence », raconte Kaveh Bayat, un historien iranien respecté, « et sans aucune prétention coloniale ».
Les trains d’approvisionnement des Américains passaient régulièrement dans Arak, le village ancestral de mon père, alors une oasis pittoresque de verdure, de jardins et de vergers. « Chaque fois que nous entendions le train arriver », me raconta un jour mon père, « tous les jeunes garçons du village se précipitaient aussi rapidement qu’ils le pouvaient à travers les vergers de pommes pour...
Les trains d’approvisionnement des Américains passaient régulièrement dans Arak, le village ancestral de mon père, alors une oasis pittoresque de verdure, de jardins et de vergers. « Chaque fois que nous entendions le train arriver », me raconta un jour mon père, « tous les jeunes garçons du village se précipitaient aussi rapidement qu’ils le pouvaient à travers les vergers de pommes pour...
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